Ciné-club ukrainien

Ciné-club Ukrainien : septembre 2008 - juin 2013

Le ciné-club a été organisé et animé par Lubomir Hosejko, historien du cinéma, spécialiste du cinéma ukrainien
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Espace culturel et d’information de l’Ambassade d’Ukraine
22, avenue de Messine, Paris 8ème


Mardi 4 juin 2013, 19 heures



SEULS LES ANCIENS VONT AU COMBAT
(В БІЙ ІДУТЬ ТІЛЬКИ СТАРИКИ)
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Léonide Bykov dans le rôle du capitaine Tytarenko




Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, 1973, 92 mn, nb.

Scénario : Léonide Bykov, Yevhen Onoprienko, Alexandre Satskyi

Réalisation : Léonide Bykov

Photographie : Volodymyr Voїtenko

Décors : Heorhiї Prokopets

Musique : Victor Chevtchenko

Son : Nina Avramenko

Inteprétation : Léonide Bykov, Olexiї Smyrnov, Victor Mirochnytchenko, Volodymyr Talachko, Roustam Sagdoullaiev, Eugénie Symonova, Olga Matechko, Serge Ivanov, Serge Pidhornyi, Vano Yantebelidze, Alexandre Nemtchenko, Viloriї Pachtchenko, Alim Fedorynskyi, Youriï Sarantsev, Valentin Makarov, Léonide Martchenko, Boris Boldyrevskyi, Hryhoriї Hladiї

Genre  : comédie musicale dramatique

Récompenses : Prix du meilleur rôle masculin à Léonide Bykov, Prix du Festival et Prix du Ministère de la Défense VII Festival Pansoviétique de Bakou (1974) ; Médaille d’argent Alexandre Dovjenko ; Grand Prix Festival de Zagreb (1974) ; Prix de l’Association de l’amitié soviéto-tchécoslovaque Festival de Karlovy Vary (1974) ; Prix national d’État Taras Chevtchenko, 1977

Synopsis
Pendant la Seconde guerre mondiale, une escadrille livre tous les jours un combat acharné contre les Allemands. Pour se soutenir mutuellement, les pilotes de chasse forment un groupe de musiciens et de chanteurs, dirigé par le commandant de l’escadrille, le capitaine Tytarenko. Les anciens ont à peine 20 ans, alors que les bleus, formés à la hâte, ne sont pas encore prêts au combat. Mais bientôt viendra le jour où, suivant l'ordre « seuls les anciens vont au combat », ils devront monter dans leurs avions, prêts à décoller.

Opinion

Conçu dans la tradition du music-hall soviétique, Seuls les anciens vont au combat est une comédie musicale réalisée d’une manière inédite dans le cinéma ukrainien, à une époque où celui-ci traverse une profonde crise au niveau du film d’auteur et de la liberté de création. Il est l’un des rares à s’inscrire dans la perspective antihéroïque, qui hante ou fascine les auteurs de films de guerre, et à cibler un public de vétérans de plus en plus nostalgiques. En ces temps de remise au pas idéologique, il est renforcé par un élément laissé jusque-là en veilleuse - le chant, utilisé en contre-point pour doper une image à laquelle le lyrisme ou l’âpreté ne suffisent plus. Appartenant à une génération pour laquelle la guerre ne représenta pas fatalement une tragédie personnelle, Léonide Bykov est de ces auteurs-réalisateurs de la stagnation brejnévienne qui, par le biais de la comédie musicale, s’emploient à revitaliser une épopée sur un ton peu cocardier. Engagé tantôt par la Lenfilm, tantôt par la Mosfilm, mais bientôt sans travail, il est repéré par le directeur du Studio Dovjenko de Kiev Vassyl Tsvirkounov qui l’encourage à venir travailler en Ukraine, sa terre natale. Parce que l’image de l’acteur-soldat lui colle à la peau, Léonide Bykov se voue au film de guerre où il exprime ses thèmes de prédilection sans se départir de son humour ukrainien : l’amour de la vie, la camaraderie, la solidarité, l’aversion pour la guerre.

Sorti sur les écrans en 1974, Seuls les anciens vont au combat, son premier grand film dédié aux pilotes de chasse qui ne revinrent pas, s’appuie sur un canevas musical thérapeutique. C’est, en effet, grâce au chant que les Icares de l’escadrille du capitaine Tytarenko – la deuxième chantante – luttent contre le stress et s’aguerrissent aux rigueurs des combats. Récompensée dans plusieurs festivals, cette comédie dramatique est un clin d’œil au cinéma des années trente où musiques et chants emplissaient les écrans, mais aussi le baptême du feu et de l’écran pour plusieurs acteurs, notamment les futures stars Hryhoriї Hladiї, Serge Ivanov, Volodymyr Talachko, Olga Matechko. Acteur de formation et enfant chéri du public, Léonide Bykov sera sacré meilleur acteur de l’année pour l’interprétation du rôle du capitaine Tytarenko. Il rééditera son formidable succès en 1976 avec Une, deux, les soldats marchaient sur un mode plus héroïque. En 1979, alors qu’il procédait aux bouts d’essai de L’Étranger, un film de science fiction, il décède à l’âge de 51 ans dans un accident de voiture.

On retiendra de ce grand classique, dont le scénario fut boudé un certain temps par le Conseil artistique du Studio Dovjenko pour son manque de patriotisme, le refrain de La Brune, remis au goût du jour, et d’autres célèbres chansons ukrainiennes et russes, sans lesquelles le film n’aurait pas obtenu le succès escompté. Le film draina plus de 44 millions de spectateurs les douze premiers mois d’exploitation – à l’époque chiffre record dans l’histoire du cinéma mondial. La légende, selon laquelle la direction du Studio Dovjenko de Kiev avait incité Léonide Bykov à réaliser ce film en couleurs, est farfelue. En réalité, la colorisation du film, fut faite en 2008 par le studio Trade Entertainment et la compagnie américaine Legend films. Émaillée d’erreurs, notamment au niveau des tenues et attributs militaires, la version colorisée fut diffusée le 9 mai 2009 sur les chaînes de télévision ukrainienne et russe, à l’insu des ayants droit, ce qui provoqua un scandale dans la communauté artistique.


Lubomir Hosejko



Mardi 7 mai 2013, 19 heures



CONSCIENCE
(СОВІСТЬ)
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Anatoliï Sokolovskyi et Victor Malarevytch dans le film Conscience




Production : Studio Alexandre Dovjenko, Institut théâtral Karpenko-Karyi de Kiev, 1968, 80 mn, nb, film restauré en 1989

Scénario : Volodymyr Denyssenko, Vassyl Zemlak

Réalisation : Volodymyr Denyssenko

Photographie : Alexandre Deriajnyi

Son : Anatoliï Tchornootchenko

Inteprétation : Anatoliï Sokolovskyi, Victor Malarevytch, Mykola Oliїnyk, Mykola Houdz, Alexandre Didoukh, Vassyl Bohosta, Viatcheslav Krychtofovytch, Volodymyr Denyssenko, Dmytro Dieiev, Nina Reous, Halyna Dovhozviaha, Valentyna Hrychokina, Halyna Nekhaievska, Loubov Louts, Tetiana Touryk

Genre  : drame

Récompenses : Prix (posthume) pour l’éminente contribution au cinéma ukrainien à Volodymyr Denyssenko, Prix du Jury au Premier Festival panukrainien de Kiev (1991).

Synopsis
Pour venger des personnes innocentes froidement exécutées, le jeune Vassyl tue un officier allemand. Blessé, il est transporté par son ami dans un village voisin. Les Allemands préviennent la population qu'ils attendront jusqu'au matin pour qu’on leur livre l’assassin. Taraudé par sa conscience, Vassyl décide de se rendre. Mais ce sacrifice s’avérera inutile. Tous les villageois seront fusillés sans pitié.

Opinion

Volodymyr Denyssenko est de ces auteurs-réalisateurs appartenant au cinéma identitaire poststalinien qui se concrétisa par l’édification de l’École poétique de Kiev dans les années soixante. Sa carrière professionnelle, qui s’étale sur un quart de siècle, se résume en douze films éloquents de portées sociale et historique esthétiquement aboutis. Étudiant à l’Institut théâtral de Kiev, Denyssenko en fut exclu dès la deuxième année pour nationalisme ukrainien. Déporté en Russie dans un camp de travail et de rééducation en 1949, il fut amnistié en 1953 et réintégra l’Institut pour y finir ses études. Réhabilité en 1956, Volodymyr Denyssenko fait ses premières armes en qualité d’assistant sur le film de Marc Donskoï Le Cheval qui pleure (1957), Le Poème de la mer (1958) de Youlia Solntseva, et réalise son premier long métrage La Soldate, en 1959. En 1964, aux prémices de la nouvelle École poétique, il confie le rôle du poète Taras Chevtchenko au débutant Ivan Mykolaїtchouk dans son film Le Songe, puis il entreprend la réalisation de deux films de guerre, Conscience et En direction de Kiev, qui sortiront tous deux en 1968. Cinéaste non conformiste, intransigeant sur es principes de la morale et de la déontologie professionnelle, Denyssenko ne se sent jamais aussi libre qu’à ce moment de sa vie. Elève d’Alexandre Dovjenko, auquel il dit un jour que sa génération en avait assez de faire des films de guerre, il écrit pourtant avec Vassyl Zemlak l’un des scénarios les plus poignants sur cette époque, où la tuerie est traitée du point de vue de l’absurde. Inspiré d’un fait réel de la vie de Vassyl Zemlak, Conscience narre de façon très complexe mais laconique l’histoire de deux jeunes partisans qui commettent un attentat contre un officier allemand, à la suite duquel des représailles seront lancées contre les habitants d’un village. Réalisé avec le concours désintéressé de 18 élèves comédiens et techniciens de l’Institut théâtral de Kiev, où Denyssenko enseigne la mise en scène, le film est immédiatement interdit, le négatif détruit. En réalité, Conscience fait peur aux autorités. Il ne répond pas aux normes idéologiques et touche au thème tabou de la culpabilité vis-à-vis des populations innocentes. Coupé en épisodes, il sera montré dans des séminaires de cinéma et utilisé pour les cours d’opérateur de prises de vues. En son temps, Denyssenko voulut même vendre son film au Derjkino pour une diffusion commerciale. On lui rétorqua que le rôle du Parti communiste et du komsomol était absent dans le film et que de tels événements ne purent se passer, parce qu’il n’y en avait jamais eu. Ce reproche des autorités était en contradiction totale avec l’Histoire : d’identiques épisodes séquencés dans maints films soviétiques avaient fait l’unanimité de la critique et du public.

Tourné en noir et blanc, Conscience est l’un des rares films de l’École de Kiev à montrer l’Ukraine steppique. Du point de vue stylistique, il fait penser aux premiers films de Léonide Ossyka, où le facteur économique, comme ce fut le cas pour le néoréalisme italien ou la Nouvelle vague française, est révélateur : les films ont un devis serré, les réalisateurs tournent avec des stagiaires en observant strictement l’unité de temps, d’action et d’espace. Effectuées avec des moyens de fortune, les prises de vues se déroulèrent dans le village de Kopyliv, dans la région de Kiev, où eurent lieu des événements similaires rappelant ceux d’Oradour-sur-Glane. L’opérateur Alexandre Deriajnyi, étudiant en deuxième année, ne disposait que d’une prise par plan et d’un objectif à longue focale de 500 mm. La pellicule négative à haut contraste permettant de traduire un nombre réduit d’écarts de luminosité fut dénichée chez des pilotes de chasse. Il n’y avait pas de prise de son direct, les travellings s’effectuaient à bicyclette. Si l’abominable histoire était relativement restreinte en action - escarmouche, menace du massacre et massacre lui-même -, une tension constante régnait dans la progression dramaturgique, ponctuée de dialogues courts. Paradjanov dira à propos de ce chef-d’œuvre bâillonné que c’est le film le plus puissant de toute l’histoire du cinéma ukrainien, et le critique polonais Janusz Gazda le jugera stupéfiant, parce qu’il se différenciait de tous les autres films de guerre de l’époque. Les futurs acteurs Mykola Houdz et Halyna Dovhozviaha prétendront avoir vécu une expérience pédagogique inoubliable, notamment pour la scène du massacre à laquelle prirent part 500 figurants du village.
En 1984, Denyssenko meurt subitement à l’âge de 54 ans, peu avant le début de la perestroїka. Deux ans plus tard, l’Union des cinéastes d’Ukraine organise une projection du film, sachant que les seuls tabous, motifs à une interdiction, restent la divulgation des secrets militaires, les thèmes racistes, les atteintes portées à la Constitution. Mais l’unique copie du film obtenue auprès de la famille du réalisateur disparaît mystérieusement. Après deux années de recherche, la famille assigne en justice le syndicat des cinéastes. Trois jours plus tard, les agents du KGB balancent sur le pavé deux boîtes contenant la copie endommagée. La restauration du film sera effectuée, en 1989, par Alexandre Denyssenko, le fils du réalisateur disparu, et par le réalisateur Roman Balaїan. Conscience sera montré pour la première fois à l’étranger au Festival de Montréal, en 1990, puis au Festival de Turin, en 1991, ainsi qu’au Premier Festival panukrainien de Kiev la même année. Depuis, il n’a fait l’objet d'aucune présentation commerciale en salles, hormis des projections confidentielles dans quelques ciné-clubs. Aujourd’hui encore, en Ukraine, le film reste inconnu du grand public.


Lubomir Hosejko



Mardi 9 avril 2013, 19 heures.



suivi d’une intervention de Galia Ackerman,
écrivaine, historienne et journaliste,
auteure de Tchernobyl : retour sur un désastre (Folio Gallimard, 2007)


TCHORNOBYL, CHRONIQUE DES SEMAINES DIFFICILES
(ЧОРНОБИЛЬ, ХРОНІКА ВАЖКИХ ТИЖНІВ)
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Les opérateurs Victor Kriptchenko et Volodymyr Tarantchenko




Production : Ukrkinokhronika, 1986, 52 mn, nb/coul.

Scénario : Volodymyr Chevtchenko

Réalisation : Volodymyr Chevtchenko

Photographie : Victor Kriptchenko, Volodymyr Tarantchenko, Volodymyr Chevtchenko, Volodymyr Koukorentchouk, Igor Pyssanko, Anatoliï Khymytch

Son : Lev Riazantsev

Genre  : documentaire



Tchornobyl, chronique des semaines difficiles est le premier documentaire ukrainien sur la catastrophe nucléaire de Tchornobyl, survenue le 26 avril 1986. Dès le 14 mai, lorsque Gorbatchev déclare la situation sous contrôle, les autorités laissent les cinéastes pénétrer dans la zone interdite. Les équipes du réalisateur Volodymyr Chevtchenko et de Roland Serhienko sont les premières sur le site. Remarqué par son documentaire sur le voyage de Gorbatchev en Ukraine en 1985 Avec le Parti, avec le peuple, Chevtchenko est le mieux placé et le plus à même de se lancer dans la fournaise comme simple cinéaste réserviste parmi les liquidateurs du rang ou appelés. Jusqu’au mois de septembre, il tourne avec ses fidèles cameramen Victor Kriptchenko (ce dernier avait filmé l’inauguration de la centrale lors de sa mise en service en 1977), Volodymyr Tarantchenko, Volodymyr Koukorentchouk, Igor Pyssanko et Anatoliï Khymytch, ne rentrant à Kiev que certaines nuits pour les travaux de montage, rendus difficiles faute de plans concernant les premiers jours de la catastrophe. Franchissant les protections en béton, il lui arrive de prêter son épaule à la caméra du cadreur ou de la brandir lui-même devant le mastodonte. Il filme le ballet des hélicoptères, le réacteur détruit, en plongée verticale, les robots inopérants sur le toit jonché de graphite où les compteurs Geiger crépitent comme des pistolets-mitrailleurs, la construction du sarcophage où gît le corps de Valeriï Khodemtchouk, en service la nuit de la catastrophe. Il photographie les fameux robots verts, recrues envoyées de force vers une mort certaine, les donneurs de sang et de moelle épinière, la terre que l’on ensevelit, les maisons, les puits, les forêts, le drapeau rouge qui flotte au-dessus du quatrième bloc.

Chevtchenko avoue vivre quelque chose d’unique et rechercher des sensations élyséennes, regrettant de n’avoir pu enregistrer cette luminescence qu’ont vue les premiers témoins. Le film débute en noir et blanc, montrant la désolation, l’évacuation de la population. La radiation n’a pas de couleur, ni d’odeur. Seuls les dosimètres parlent. Puis vient la couleur. La vérité. Le réalisateur veut démontrer de façon absolue que la radioactivité casse les barrières psychologiques et bureaucratiques, le non-dit. Il fait un film polémique et transparent, assiste aux réunions du Parti où sont dénoncées l’irresponsabilité, la dissimulation de l’ampleur de la catastrophe, l’incurie, la débandade générale. Par la voix du comédien Mykola Olanine, le commentaire d’Igor Malyshevskyi s’en prend aux falsificateurs, aux déserteurs qui n’obéissent qu’à l’instinct de conservation. Devant le Soviet régional de Prypiat, la foule conspue les communistes qui, les premiers, ont pris la fuite. Chevtchenko parvient à grand peine à filmer l’exclusion du Parti d’un des leurs pendant que l’on inscrit un nouveau membre qui se distingua sur les lieux de la tragédie. L’antinomie n’est pas nouvelle dans le cinéma soviétique, mais cette fois-ci terrifiante, assez proche du montage idéologique qu’utilisait Alexandre Dovjenko.

Le 2 octobre, le réalisateur monte à Moscou pour faire avaliser le film qui est accepté sur-le-champ. Mais en Ukraine, le film est jugé trop critique, et l’on essaie par tous les moyens d’empêcher sa diffusion. Après s’être battu contre le réacteur, Chevtchenko se bat contre les instances cinématographiques d’Etat qui bloquent tout. En réalité, tout le monde tremble, oubliant la glasnost. Pendant quatre mois et demi, Chevtchenko bataille avec la commission de censure qui l’oblige à revoir sa copie : il faut refilmer certains plans qui peuvent choquer, montrer impérativement les nouveaux logements pour les personnes évacuées, les réunions de l’Agence internationale pour l’énergie atomique, insister sur le moratoire appliqué par l’URSS, enlever les séquences de l’exclusion du Parti. Soumises au diktat du lobby de l’industrie nucléaire, le Glavatom, les autorités ukrainiennes montrent leur incurie en matière de décision. Déniant le caractère social, éthique et philosophique du film, le Glavatom exige 152 coupures images/son alors que tout est relaté, analysé, discuté dans la presse officielle, que la chasse aux responsables est lancée et que le documentaire moscovite L’Avertissement passe sans encombre à la télévision. Refusant toute concession, Chevtchenko trouve enfin le soutien du Goskino, réformé grâce à la nouvelle direction. Les coupures sont minimes bien qu’inacceptables, notamment la séquence enregistrée dans la troisième tranche : 1500 mètres utiles du film obtiennent le visa de sortie.
Le 14 février 1987, à la Maison du cinéma à Kiev, a lieu la première de Tchornobyl, chronique des semaines difficiles, alors que les exigences du Glavatom menacent toujours la liste de montage du film. Le documentaire sort avec plus de quatre mois de retard, avec seulement quatre copies pour toute l’Ukraine. Il sera acheté par 132 pays. Fortement irradié et se sachant inexorablement condamné, Volodymyr Chevtchenko expire le 29 mars 1987. Son combat mortel contre le réacteur, son abnégation de robot humain, frappent les jurys de nombreux festivals. En Italie, au Festival de Pantelleria, l’Association internationale du cinéma scientifique créera le Prix Chevtchenko récompensant la meilleure œuvre sur le thème de l’environnement et de la paix.


Lubomir Hosejko



Mardi 2 avril 2013, 19 heures.



en présence de la réalisatrice Michale Boganim
et de
l’actrice Olga Kourylenko
(sous réserve)

LA TERRE OUTRAGÉE
(ЗЕМЛЯ ЗАБУТТЯ)
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Olga Kourylenko dans La Terre outragée


Production : Les Films du Poisson, ARTE France, Nikovantastic Film, Apple Film Productions, 2011, 108 mn, coul.

Scénario : Michale Boganim, Anne Weil, Antoine Lacomblez

Réalisation : Michale Boganim

Photographie : Yorgos Arvanitis, Antoine Heberlé

Décors : Bruno Margery

Musique : Leszek Możdżer

Son : Frédéric de Ravignan, François Waledisch

Inteprétation : Olga Kourylenko, Andrzej Chyra, Illya Iosifov, Serhiї Strelnikov, Viatcheslav Slanko, Nicolas Wanczycki, Nikita Emshanov, Tatiana Rasskazova, Julia Artamonov, Natalia Bartyeva, Maryna Bryantseva, Vladyslav Akulyonok.

Genre  : drame

Récompenses  : Prix du public: Festival du Film d'Angers, Prix du public du 29ème Festival International du Film d’Environnement. Scénario lauréat de la fondation GAN.

Synopsis
Alors qu’Ania et Piotr célèbrent leur mariage à Prypiat, non loin de Tchornobyl, un accident se produit à la centrale nucléaire. Piotr, pompier réquisitionné, n’en reviendra pas. Alexeï, ingénieur à la centrale, tente d’alerter la population, mais il est condamné au silence par les autorités. Dix ans plus tard, Ania est devenue guide dans cette ville fantôme érigée en site touristique.

Opinion
Seconde fiction prenant pour sujet la catastrophe de Tchornobyl, après La Désintégration (1990) de l’Ukrainien Mykhaïlo Biélikov, La Terre outragée est aussi le premier long métrage de Michale Boganim, cinéaste franco-israélienne, remarquée pour son documentaire Odessa… Odessa. Il retrace les destins croisés d’individus qui ont vécu la tragédie et qui en portent les séquelles physiques et psychiques. Sorti sur les écrans en même temps que Un Samedi comme les autres du Russe Alexandre Mindadze et le film d’épouvante Chroniques de Tchernobyl de l’Américain Bradley Parker, il diffère de ces films décalés par son message sur la survivance mémorielle des êtres et des faits.

Tourné en français, en russe et en ukrainien, selon le rôle et l’origine des personnages, le film porte le titre ukrainien La Terre oubliée (Земля забуття) dont le sens est relié à Tchornobyl - sémantiquement herbe de l’oubli -, et semble générer un sentiment de terre devenue étrangère à tous ses habitants et où le temps semble arrêté. À vrai dire, le titre français paraît plus juste. Maintes fois outragée, la terre d’Ukraine vit une nouvelle fois une calamité anthropique, la plus grave que puisse connaître l’humanité. Pourtant, cette calamité est évoquée de manière distanciée, rejetant tout élément spectaculaire, morceau de bravoure ou effets spéciaux de film-catastrophe. Le film n’a rien de didactique, sa narration suit un schéma linéaire, avec une absence totale d’héroïsme individuel ou collectif, et le regard de la caméra ne constitue pas forcément le regard de la mort. Si héroïsme il y a, c’est le combat contre l’amnésie, aussi insidieuse que les radiations. En dépit des diverses contraintes de la part de l’administration ukrainienne dans l’enregistrement de certaines scènes in situ, les techniciens ont eu le mérite d’avoir effectué un travail approfondi et soigné sur le son. Dès les premières minutes, on devine une sourde explosion dans le lointain qui se perd dans les grondements de l’orage et le bruit des sabots de cerfs galopants. Puis vient le silence qui tel une chape de plomb s'abat sur la ville de Prypiat. Parfois, dans ce silence, on distingue un bruit de fond provenant non pas de la radioactivité naturelle permanente, mais d’une tension sourde, d’un son extra diégétique généré en surface par un mal invisible.

Le choix de la réalisatrice d’effectuer une ellipse dans le temps, dix ans après la catastrophe, reste louable, mais peut paraître anachronique au vu des événements. En réalité, en dehors des expéditions scientifiques, le tourisme à Tchornobyl avait débuté clandestinement pour les amateurs de l’extrême dès les années 90, et avait fini par rejoindre cette banalisation bien monnayée en 2011, l’année où les excursions furent autorisées dans un périmètre de sécurité défini et proposées par des agences spécialisées basées à Kiev. Au contraire, pour la réalisatrice tout ne se passe pas comme si le tourisme permettait de fixer l’état catastrophique des lieux dans un décor évolutif. Elle nous fait pénétrer dans un lieu de glaciation où la vie reste hypothétique pour ceux qui y ont vécu et continuent à y vivre. Dans un monde marginal qui essaie de se reconstruire se dégagent deux personnages d’exception. Ania, guide touristique dans la zone interdite qui ne quittera pas son pays pour un étranger, mais y restera, résignée, pour témoigner et lutter contre l’oubli ; Alexeï, ingénieur à la centrale, déterminé à se battre contre l’inconscience, le déni de la radioactivité ambiante, et qui ne pourra plus vivre avec le mensonge d’État dans un système qu’il croyait transparent. Le personnage d’Ania est incarné par Olga Kourylenko, révélée dans le rôle de la James Bond girl dans Quantum of Solace de Marc Foster. Elle interprète le rôle émouvant d’une très jeune veuve qui ne parvient pas à faire son deuil et vit deux histoires d’amour, l’un avec l’ami ukrainien de son mari défunt, l’autre avec un Français. Le rôle d’Alexeï est tenu par l’acteur polonais Andrzej Chyra qui incarna le célèbre syndicaliste Lech Walesa dans le téléfilm L’Héroïne de Gdansk de Volker Schlöndorff. Effondré par l’ampleur des événements, il est atteint de folie, et ne sera jamais délivré de son errance métaphysique.

La Terre outragée est aussi celle de l’Ukraine profonde, soviétique et post-soviétique. Ici et là, quelques clichés émaillent son imagerie: femmes lavant le linge dans la rivière, vol de cigognes, repas sur les tombes le dimanche de Pâques, photo de mariage sous la statue de Lénine, malanka et son cortège carnavalesque… Cependant, cette imagerie n’est nullement un album de chromos kitsch, tant il est vrai que ces lieux communs s’insèrent dans la trame reconstituant la vie à Prypiat, avant et après l’accident, et ne sont aucunement des raccords spatio-temporels pour appuyer la fascination du désastre. Outre ces tableaux ethnographiques, le film abonde de références cinéphiliques. C’est le pommier planté par le père du petit Valéry, la veille de la catastrophe - clin d’œil à l’univers panthéiste rencontré dans La Terre d’Alexandre Dovjenko, et à la séquence tarkovskienne, où un cheval mange des pommes (L’Enfance d’Ivan). Et c’est bien de cette terre contaminée, qui reprend légitimement ses droits, qu’un vieux garde forestier offre des pommes aux touristes sans le moindre souci. Par analogie au film du Japonais Shohei Imamura Pluie noire (1989) dans lequel une pluie noire s'abat sur la mer et sur les passagers d’une embarcation, la scène de la noce reste sans doute la plus frappante. Ceux que cette pluie a souillés ne savent pas encore qu'ils ont été irradiés. Ceux de la noce sur les bords de la rivière Prypiat, non plus. Même si dans la réalité il n’y eut ni orage, ni toute autre intempérie ce jour-là dans la région de Tchornobyl, la référence au film japonais est juste et puissante. Elle est le premier marqueur radioactif venant d’un élément qui va frapper sournoisement la population, dans une nature où lentement la mort s'installera.

Cette honnête fiction est nourrie parfois de correspondances métaphoriques, tel le rappel biblique du paradis perdu, d’où l’Homme est chassé sans espoir de retour. Conquise par les animaux sauvages, squattée par des clandestins chassés eux-mêmes par les humains, cette terre devrait devenir dans cent ans une future mégapole et ville-musée, comme veut le faire croire le maire de Slavoutytch dans un discours captieux vantant le tourisme industriel. Mais l’Ukraine, dont la terre a été violée pendant des siècles, son tchernoziom emmené un temps par convois entiers, ses populations affamées et déplacées, peut-elle encore prétendre rester un pays de cocagne ? La réponse ne se trouve ni dans l’Apocalypse de Saint-Jean dont les commentateurs s’étaient saisi, ni dans une fable à valeur cathartique… Ou alors, dans l’ultime plan du film effectué en travelling latéral sur des flaques d’eau toujours gorgées de substance radioactive. Réalisé un quart de siècle après la catastrophe de Tchornobyl, La Terre outragée est déjà perçu comme un film-paradigme pour d’autres fictions au postulat identique, dont la toute récente du cinéaste japonais Sono Sion Terre d’espoir.


Lubomir Hosejko



Mardi 5 mars 2013, 19h.



L’ARC-EN-CIEL
(РАЙДУГА)
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d’après le roman éponyme de Wanda Wasilewska










Natalia Oujviї dans le rôle d’Olèna Kostiouk





Natalia Oujviї dans le rôle d’Olèna Kostiouk




Production : Studio de Kiev, 1943, 91 mn, nb, restauré en 1966 au Studio Gorki

Scénario : Wanda Wasilewska

Réalisation : Marc Donskoï

Photographie : Boris Monastyrskyi

Décors : Valentyna Khmelova

Musique : Lev Schwartz

Son : Alexandre Babiї

Inteprétation : Natalia Oujviї, Nina Alissova, Olèna Tiapkina, Valentyna Ivachova, Anton Dounaїskyi, Mykola Braterskyi, Alik Letychevskyi, Hanna Lyssianska, Nina Li, Hans Klering, Vitia Vynohradov, Emma Perelchtein, Volodymyr Tchobour, Vova Ponomarev.

Genre  : film de guerre

Récompenses  : Prix Staline à Marc Donskoï, Prix d’État à Natalia Oujviї, Nina Alissova, 1943 ; Prix des critiques des USA (Prix pour l’exceptionnelle contribution à la compréhension universelle), 1944 ; Prix spécial du meilleur film antifasciste au Festival International de Karlovy Vary, 1970.

Synopsis
Pendant l’hiver 1941-42, dans le village de Nova Lebedivka, où ne survivent que des femmes, des enfants et des vieillards, la garnison allemande est constamment harcelée par les partisans. Revenue enfanter au village, l’agent de liaison Olèna Kostiouk est dénoncé par le staroste au commandant Kurt Werner. Celui-ci propose de laisser la vie sauve à son enfant en échange de renseignement sur les partisans, mais, devant son mutisme pendant l’interrogatoire, il tue le nouveau-né. Torturée, portant à demi-dévêtue son enfant martyr, elle est emmenée puis exécutée devant les villageois impuissants. Werner essaie en vain de se renseigner par l'intermédiaire de sa maîtresse Poussia auprès de sa sœur Olga. Bientôt, jaillit un arc-en-ciel annonçant, comme le veut l’ancienne croyance, un heureux présage. L’arrivée de l’Armée Rouge.

Opinion
Comme la plupart de ses collègues cinéastes, Marc Donskoï se retrouve en Asie pendant l’occupation allemande de l’Ukraine. En juin et en août 1941, les Studios de Kiev et d’Odessa sont déplacés respectivement à Achkhabad et à Tachkent, où s’organise dans des conditions climatiques souvent difficiles une production liée à l’effort de guerre. L’accusation de l’agression et de la barbarie nazies, l’incitation à la vengeance, deviennent les thèmes essentiels qui régissent le cinéma de guerre soviétique. La tragédie du peuple ukrainien sous le joug allemand trouve un exutoire dans la haine de l’ennemi, dans l’héroïsme aveugle et le dévouement pour la patrie. Réalisé par Donskoï, L’arc-en-ciel en est l’illustration la plus émouvante, où s’exprime toute la colère absente de ses deux films précédents. Jusque-là, dans sa retraite au Turkménistan, le réalisateur avait participé aux fameux ciné-recueils, sorte d’albums cinématographiques de guerre qui se composaient de deux à cinq courts métrages plus ou moins romancés sur les actes héroïques des partisans ou les exactions nazies. Le neuvième de ces recueils comportait trois films, dont Le Signal de Donskoï, l’histoire d’une femme qui incendie sa maison côtière pour indiquer le lieu de débarquement à une unité soviétique. Dans la foulée, Donskoï réalisa en 1942 Et l’Acier fut trempé, d’après le célèbre roman du même nom de Nicolas Ostrovski, puis, en 1943, L’Arc-en-ciel, sur un scénario de l’écrivaine et combattante polonaise de l’Armée Rouge Wanda Wasilewska, un sujet terrifiant sur la femme pendant l’occupation. À travers une étonnante analyse psychologique, Donskoï y réunit plusieurs types de femme, à commencer par le personnage d’Olèna dont le comportement héroïque a des effets pervers. Sa fibre maternelle, annihilée jusqu’à l’horrible sacrifice par le sadisme de l’officier allemand Werner, porte l’abominable calvaire à son comble. Chacun de ses gestes, chacune de ses paroles découlent d’un seul concept : probité et dévouement à la patrie. L’opérateur filme fréquemment ses yeux en gros plan. Ce sont les yeux de l’actrice Natalia Oujvij qui interprète ici l’un de ses plus grands rôles dans le cinéma ukrainien. Ils sont au centre de l’image, assez longtemps pour pénétrer le regard du spectateur et lui communiquer sa terreur. Maloutchykha (Hanna Lyssianska), une autre mater dolorosa, semble plus proche de millions de mères accablées et résignées devant la mort. Poussia (Nina Alissova), la maîtresse de Werner, abattue froidement par son mari, lieutenant dans l’Armée Rouge, est le personnage épisodique grotesque que Dovjenko décrit par ailleurs en ces termes : « À Belgorod, 80% des jeunes femmes épousent des Allemands. Nous les punirons pour cela. Nous fusillerons les traîtres et les bâtards que nous avons nous-mêmes engendrés. » Et, enfin, l’inévitable harangueuse de service, Féodossia la kolkhozienne (Olèna Tiapkina), dont le discours final sur la justice reste trop rhétorique pour une femme du peuple.
Projeté dans les unités de combat, L’Arc-en-ciel provoque des meetings allant jusqu’à la prestation de serment d’anéantir l’ennemi, qui n’est plus la masse compacte et indisciplinée, caricaturée dans les ciné-recueils, mais un adversaire plus subtil. Hans Klering, l’acteur fétiche dans les rôles de fasciste des années 30, incarne avec brio l’archétype nordique usant de la torture psychologique. Émotionnel sur tous les plans, le film tient autant de la symbolique païenne que de l’analogie biblique : sacrifice piaculaire, miracle et délivrance.
Pour oublier qu’ils travaillent au Turkménistan sans hiver, Donskoï et ses comédiens eurent recours à la méthode Stanislavski. Les décors extérieurs furent habilement reconstitués, notamment la neige et la glace, obtenues avec du coton matelassé, des plumes, du sel, de la naphtaline et du verre. Le film sortit en janvier 1944, et le 20 octobre à Paris. Grand classique du cinéma de guerre, encore que contesté par certains pour son austérité et sa cruauté, le film connut une carrière internationale, notamment en Europe et aux USA, où il fut récompensé comme meilleur film étranger. De retour dans la capitale ukrainienne, Marc Donskoï réalisera en 1945 Les Indomptés, qui, avec Et l’acier fut trempé et L’Arc-en-ciel, formera une trilogie propre au cinéma de guerre.


Lubomir Hosejko



Mardi 26 février 2013, 18 heures



DEUX JOURS
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Production : Voufkou, Studio d’Odessa, 1927, 60 mn, nb, muet puis sonorisé en 1932, vostf

Scénario : Salomon Lazourine

Réalisation : Heorhiї Stabovyi

Photographie : Danylo Demoutskyi

Décors : Heinrich Beisenherz

Musique : Boris Latochynskyi

Inteprétation : Ivan Zamytchkovskyi, Serge Minine, Valeriï Hakkebouch, Marie Taut-Korso

Genre  : drame psychologique



Synopsis
Antoine, vieux concierge chargé de garder la propriété abandonnée par ses maîtres, ne partage pas les idées politiques de son fils André. Dès le retour des Blancs, André est dénoncé par le fils du propriétaire, puis condamné à mort. Antoine décide alors de le venger en incendiant la propriété.

Opinion
Parmi les metteurs en scènes qui précédent la venue d’Alexandre Dovjenko, Heorhii Stabovyi se taille une place enviable dans le cinéma ukrainien. Journaliste de formation et dramaturge travaillant dans les théâtres de Kiev, de Kharkiv et d’Odessa, Stabovyi est engagé par la Voufkou en 1924, d’abord comme scénariste puis comme metteur en scène. Elève et collaborateur de Tchardynine, il signe son premier grand film sur un scénario de Salomon Lazourine, Deux jours, qui, avec Le Cocher de nuit de Heorhiї Tassine et Zvenyhora de Dovjenko, donnera au cinéma odessite ses premiers chefs-d’œuvre. Comme au studio de Yalta le scénario de Lazourine n’intéressait personne, ce n’est qu’au bout de six mois que la Voufkou en confia la réalisation au jeune débutant. Passionné par le sujet, Stabovyi réussit si bien dans son entreprise que l’interprétation des personnages, plutôt rares à cette époque, amène la critique à comparer l’acteur Ivan Zamytchkovskyi au grand acteur allemand Emil Jannings. Zamytchkovskyi, qui a connu dans sa vie une tragédie similaire, campe un vieux concierge, chargé de veiller sur la propriété de ses maîtres, investie par les bolcheviks sous la conduite de son fils. Thème favori de Stabovyi, la guerre civile n’est plus traitée ici à la manière des agitfilms, complaisantes chroniques théâtralisées toujours en vogue à cette époque. L’action se déroule en 48 heures avec une efficacité dramaturgique sans affectation ni artifice idéologique, dans l’intimité des caractères et leur transformation. Le réalisateur se focalise sur la fracture psychologique qui s’opère dans l’âme et la conscience du héros. L’opérateur Danylo Demoutskyi, qui venait de signer la photographie des deux premiers opus de Dovjenko, Vassia le réformateur et Petit fruit de l’amour, travaille avec des optiques douces, maîtrisant le clair-obscur dans toute la profondeur du champ. Les intertitres sont courts, le montage limpide. Dès sa sortie en Ukraine, le film fut commercialisé en Occident, et fut le premier film ukrainien à être montré aux USA. En 1932, ce film, qui portait aussi un autre titre (Un père et son fils), fut sonorisé et accompagné d’une musique symphonique de Boris Latochynskyi. Il est l’un des tous premiers à comporter quelques éléments de bruitage et de chants.


Lubomir Hosejko



 

LE MIRABEAU
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Copie restaurée en 2012








Production : Ukraїnfilm, 1930, 55 mn, nb, muet, vostf
Scénario : Anton Agalarov, Arnold Kordioum, Kostiantyn Matiach

Réalisation : Arnold Kordioumo
Photographie : Joseph Rona, Youriї Tamarskyi, Alexandre Pankratiev

Décors : : Volodymyr Kaplounovskyi
Inteprétation : Lidia Ostrovska, Serge Minine, L. Negri, Petro Massokha, Volodymyr Sokyrko, Volodymyr Lissovskyi, Arnold Kordioum, Dmytro Loubtchenko, N. Reimers, M. Mykhaїlov, K. Stepanov, R. Orlov

Genre  : drame historico-révolutionnaire



Synopsis
Venue soutenir la contre-révolution en Ukraine, la marine française impose le blocus du port d’Odessa. Mais la fraternisation des rouges avec les marins du cuirassé Mirabeau va empêcher le massacre des ouvriers et des paysans par les forces interventionnistes et oblige ces dernières à lever le blocus. Lancés sur leurs tatchankas, les détachements de la Première Division de la Steppe foncent vers la ville.

Opinion
D’abord responsable du Parti aux Studios de Yalta et d’Odessa, Arnold Kordioum réussit à s’imposer en tant que metteur en scène dès 1926 avec des films à thème internationaliste, notamment Le Mirabeau qui connaîtra un remake en 1966 avec L’Escadre appareille vers l’Ouest de Myron Bilinskyi et Mykola Vinhranovskyi. Ce drame historico-révolutionnaire, consacré à l’intervention des forces de l’Entente pendant la Guerre civile en Ukraine, fut l’un des tout premiers films, où l’image de la France apparaît dans la production cinématographique ukrainienne.
Au début du mois d’avril 1918, les troupes sous l’autorité de l’hetman Pavlo Skoropadskyi envahirent la Crimée au grand soulagement d’une partie de la population, qui voyait ainsi un semblant d’ordre revenir. Mais le 13 novembre, quelques jours après l’armistice du 11 novembre 1918, une flotte franco-anglaise composée notamment de cinq cuirassés français, franchit les Dardanelles, afin de défendre les intérêts des Alliés et chasser les unités allemandes qui occupaient le territoire de l’Ukraine suite à la Paix de Brest-Litovsk. Sous le commandement du vice-amiral Dejay, l’escadre française se présenta devant Odessa avec les cuirassés Mirabeau et Justice. Le 17, le Général Borius débarqua des troupes et installa le général russe Grichine-Almazov comme gouverneur de la ville, après avoir chassé les derniers contingents ukrainiens et allemands. Après une occupation relativement calme, la ville fut reprise par les troupes de l’ataman Grigoriev en avril 1919.
La notion de solidarité internationaliste étant un trait caractéristique du cinéma soviétique, Arnold Kordioum exploite un argument non fallacieux : grâce à la propagande bolchevique, les marins français refusent de tirer sur les ouvriers. Comme les matelots du cuirassé Potemkine, ils n’obéissent pas à leurs officiers et hissent sur le mât du croiseur Mirabeau le drapeau rouge. Cependant, il semble bien que, dans la réalité, ces mutineries n’avaient rien de spontané mais, bien au contraire, qu’elles avaient été préparées par différents mouvements politiques et syndicaux. Une centaine de mutins furent condamnés dont plusieurs à des peines de détention. En juillet 1922, une amnistie générale libéra l’ensemble des mutins de la Mer Noire, sauf André Marty qui le sera en 1924. Il y a, à vrai dire, un véritable absent dans ce film : le personnage de Jeanne Labourbe, une communiste française vivant à Odessa qui tenta de rallier à la cause des soviets les soldats occidentaux et qui fut faite prisonnière par les blancs puis passée par les armes. Elle est relayée par une ouvrière bolchevique œuvrant dans la clandestinité. Un timide face-à-face entre les forces belligérantes se résume à de gros plans de gueule de canons obturés ou de baïonnettes pointées vers un ennemi lointain. Malgré l’excellente interprétation de Lidia Ostrovska, la clandestine, de Serge Minine, le chef de l’organisation bolchevique, et quelques scènes de masse bien réglées, l’intensité dramatique du sujet ne parvint pas à pallier une ligne conductrice quelque peu étriquée. Ayant appris le métier sur le tas, Kordioum avait une fâcheuse tendance au mimétisme. Dans Le Mirabeau, l’influence du Cuirassé Potemkine d’Eisenstein paraît on ne peut plus saisissante, et la dramaturgie moins pathétique.


Lubomir Hosejko



Mardi 19 février 2013, 19 heures



COURTS MÉTRAGES



LA TERRE DESSÉCHÉE
(ПЕРЕСОХЛА ЗЕМЛЯ)
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Production : Studio Zoloti Vorota, Cinémathèque Nationale d’Ukraine, 2004, 25 mn, coul.

Scénario : Taras Tomenko

Réalisation : Taras Tomenko

Photographie : Mykhaïlo Markov

Décors : Vitaliї Chavel

Musique : Kipras Machanausas

Son : Maxime Demydenko

Montage : Natalia Lebeda

Inteprétation : Mykhaïlo Holoubovytch, Serhiї Syplyvyi, Olena Hal-Savalska, Victor Olexienko, Mykhaïlo Jonine, Oleg Primohenov, Lala Jemtchoujna, Natalia Morozova, Anastasia Kyreieva, Vitalii Chavel

Genre  : drame psychologique



Libre transposition cinématographique du conte de l’écrivain colombien Gabriel García Marquez Un monsieur très vieux avec des ailes immenses, le troisième opus de Taras Tomenko, La Terre desséchée, promène le spectateur du rêve au fantasme en passant par ses préoccupations métaphysiques. Dans le désert, un homme découvre un ange avec une seule aile. Il pense à l’apprivoiser et le met en cage. L’ange devient un objet de curiosité pour les badauds. S’en suit un spectacle décoiffant où les éléments magiques et surnaturels amplifient un visuel surréaliste. Humour, sarcasme, excitation et liesse de la populace, gens du cirque portés par l’alcool et la défonce orgiaque offrent un jeu absurde dans un décor carnavalesque. À eux deux, les acteurs Mykhaïlo Holoubovytch et Serhiї Syplyvyi réalisent une performance dominée par le merveilleux. On pense au baroque fastueux et grotesque de Fellini, mais encore aux lubies surréalistes d’Illienko, immergés dans un réalisme magique et naturalisme dévoyé. Bien avant Taras Tomenko, plusieurs histoires de Gabriel Garcia Marquez avaient inspiré des cinéastes, tels Francesco Rosi (Chronique d’une mort annoncée), Mike Newell (L’Amour au temps du choléra). Pour Babylone XX, Ivan Mykolaїtchouk utilisa le langage imaginaire par le prisme de la fable, du folklore et des mythes populaires rencontrés dans le célèbre roman du Colombien Cent ans de solitude.


Lubomir Hosejko



 

LE PREMIER KARAOKE
(ПЕРШЕ КАРАОКЕ)
vosta




Production : Sampled Pictures, 2005, 4 mn, nb

Réalisation : Oleg Tchornyi, Hennadiї Khmarouk

Musique : Hymne National de la RSS d’Ukraine, Anton Lebedynets

Remix : Alexandre Kokhanovskyi

Genre  : drame psychologique



Oleg Tchornyi appartient à la génération refoulée des années 90. Remarqué dans plusieurs festivals européens pour ses courts métrages, il crée avec Hennadiї Khmarouk sa propre maison de production en 1996, la Sampled Pictures, spécialisée dans le cinéma expérimental. Le Premier karaoké reste un joyau du found footage reformaté en un montage critique sur les actualités de l’époque soviétique. Tchornyi se prête à un geste iconoclaste en exhumant la version originale de l’hymne de l’ancienne République Socialiste Soviétique d’Ukraine, exécuté par un chœur dirigé par le compositeur de l’hymne lui-même Anton Lebedynets. La bande son remixée par Alexandre Kokhanovskyi offre un effet de bootleg, enregistrement pirate en live pour des cercles d’initiés. Les paroles de la troisième strophe de l’hymne, écrites en 1949 par le poète d’obédience stalinienne Pavlo Tytchyna (Lénine éclaira le chemin de la liberté, Staline nous conduit vers des cieux lumineux) furent modifiées en 1978 par son collègue Mykola Bajane (Lénine nous emmena victorieux, d’Octobre vers des cieux lumineux). Selon l’argumentation implicite du réalisateur, Staline serait l’inventeur du karaoké. Le petit père des peuples en offrit le tout premier à la nation ukrainienne.


Lubomir Hosejko



 

LE SERMENT
(КЛЯТВА)
vosta






Production : Université Nationale du théâtre, cinéma et de télévision, 2007, 14 mn, coul

Scénario : Maryna Vroda

Réalisation : Maryna Vroda

Musique : Anton Babakov
Son : Macha Nesterenko
Montage : Taїssia Boїko
Interprétation : Assia Kylyvnyk, Valérie Bohdanova, Olexiї Loboda, Lessia Samoieva, Alexandre Kobzar

Le Serment est le film de fin d’études de Maryna Vroda, tourné en 2007, où l’on distingue le penchant de la réalisatrice pour l’univers de l’adolescence. C’est l’histoire d’un premier amour qui débouche sur un drame. Deux enfants, Aliocha et Assia, viennent de se jurer fidélité, mais ils sont rattrapés par la vie : Aliocha doit suivre sa famille qui déménage. À l’instar du destin d’Aliocha, l’avenir de la cinéaste restera-t-il incertain ? En 2010, l’année où elle fut assistante sur le film de Serge Loznytsia My Joy, Maryna Vroda réalisera un téléfilm (Souris, lorsque les étoiles pleurent) sous un nom d’emprunt (Margarita Krassavina). En 2011, elle obtiendra la Palme d’or du court métrage au Festival de Cannes pour Cross.


Lubomir Hosejko



 

COMMENT LES FEMMES VENDAIENT LEURS MARIS
(ЯК ЖІНКИ ЧОЛОВІКІВ ПРОДАВАЛИ)
vosta




Production : Kievnaoukfilm, 1972, 9 mn 30, coul.

Scénario et réalisation : Irène Hourvytch


Au début des années 70, le cinéma d’animation en Ukraine atteint un essor considérable. Les réalisateurs Yevhen Syvokigne, Volodymyr Dakhno, David Tcherkaskyi, Alla Gratchova, ont chacun leur propre style, mais leurs sources divergent rarement des traditions nationales et de l’art folklorique. Pour Comment les femmes vendaient leurs mari, Irène Hourvytch s’inspire directement d’une chanson populaire comique, sujet s’associant à la célèbre foire de Sorotchyntsi. La bande est réalisée telle une broderie courant le long d’un interminable chemin de table, amalgamant des situations entre époux les plus cocasses.


Lubomir Hosejko




Mardi 8 janvier 2013, 19 heures

 

LE CHEVAL QUI PLEURE
(ДОРОГОЮ ЦІНОЮ)
vostf











Production : Studio de Kiev, 1957, 98 mn, coul.

Scénario : Iryna Donska

Réalisation : Marc Donskoï

Photographie : Mykola Toptchiї

Décors : Mykola Reznyk

Musique : Lev Chvartz

Son : Léonide Vatchi

Inteprétation : Vira Donska, Youriï Didovytch, Ivan Tverdokhlib, Olga Petrova, Pavlo Chpringfeld, Maria Skvortsova, Stepan Chkourat, Palladiï Bilokin, Alexandre Romanenko, Fédir Ichtchenko, Kostiantyn Nemolaiev, Volodymyr Vassyliev, Ivan Markevytch, Lélia Hrehorach, Dania Volocheniouk, S. Chychkov

Genre  : drame social



Synopsis

Ostap et Solomia s’aiment, mais leur seigneur décide de marier Solomia au haïdouk Stepan. Menacé de conscription, Ostap s’enfuit au-delà du Danube. Solomia part le rejoindre le jour de ses noces. Fuyant une terre inhospitalière, ils sont traqués par des patrouilles sur le Danube, puis recueillis par des tsiganes. Mais leur bonheur ne dure guère. Lors de la fouille du camp, Ostap est arrêté. Avec l’aide d’Ivan, un compatriote, Solomia décide d’enlever Ostap. Un combat s’engage sur le fleuve. Ivan et Solomia périssent. Ostap est livré aux autorités.


Opinion

Après avoir connu une période de disgrâce due à l’eugénisme culturel imposé par Jdanov et à l’antisémitisme ambiant, Marc Donskoï effectue, en 1953, un retour discret dans les studios de Kiev avec un sujet footballistique qui passe inaperçu, Nos champions. Hors cet intermezzo alimentaire, Donskoï livre au cinéma ukrainien deux de ses créations majeures, La Mère (1955) et Au prix de sa vie (1957). Sortie en France sous le titre Le Cheval qui pleure, cette dernière reste son œuvre sans doute la plus aboutie. Elle représente aussi la fusion panthéiste entre Mykhaïlo Kotsioubynskyi, auteur de nouvelles cinégéniques, et un cinéaste enraciné dans le terroir et la culture ukrainienne, fidèle à un style sobre, inaltéré par les fluctuations politiques et les modes. C’est dans les deux premiers plans de ce chef-d’œuvre que l’on découvre le Donskoï humaniste, féru de littératures russe et ukrainienne, liant dans son épigraphe une citation de Gorki : « Ce que nous aimons, nous l’aimons jusque dans la mort » à celle de la poétesse Lessia Oukraїnka : « Qui n’a pas vécu dans la tourmente, ignore le prix et la force des choses, ignore que les hommes ont toujours aimé la lutte et le labeur ». L’action se déroule en Ukraine dans les années 1830, où, écrasés par le servage, les paysans fuyaient par milliers vers les vastes steppes de la Bessarabie et tombaient dans les mains des patrouilles riveraines. Fouettés, marqués au fer rouge comme du bétail, ils étaient renvoyés enchaînés aux seigneurs, enrôlés de force dans l’armée ou exilés en Sibérie.
Sous la houlette du directeur de la photographie Mykola Toptchiї, Donskoï déploie des tableaux contemplatifs au lyrisme pur, des marines et des ciels impressionnistes d’une beauté absolue. Des images baroques s’égrènent des deux côtés du Danube, avec des fêtes rituelles et foraines, accompagnées de danses endiablées. Exécuté magistralement par l’actrice Olga Petrova, le solo de la Tsigane Marioutsia s’inscrit dans les chorégraphies les plus célèbres du cinéma. Entourés de comédiens du théâtre Romen, les protagonistes Vira Donska-Pryssiajniouk (Solomiїa) et Youriï Didovytch (Ostap) transcendent chaque moment de leur amour fou dans une société plus folle encore. Le titre français du film provient de la séquence où, voleurs de chevaux peu scrupuleux, les Tsiganes décident de revendre leur dernier cheval après avoir masqué ses défauts. Le riche marchand qui l'achète découvre la supercherie et, après avoir arraché la fausse crinière, bat le pauvre cheval qui se met à pleurer. Par sa passion pour les paysages et la générosité humaine, Donskoï fait parfois penser à Mizoguchi et à Renoir, et davantage au cinéma de l’Ukraїnfilm des années 30. Novateur, son film influe sur les jeunes cinéastes, notamment sur la future École poétique de Kiev. Andriech et Les Chevaux de feu de Paradjanov en subiront l’influence initiatique la plus manifeste. Les assistants de Donskoï, Volodymyr Dovhagne et Volodymyr Denyssenko, lui devront d’avoir appris le métier sur un film où les sentiments priment sur le social.
En 1958, Le Cheval qui pleure est récompensé en Grande-Bretagne et obtient un succès commercial en France, accompagné de critiques élogieuses. Henri Agel le définira en tant qu’élégie dramatique, contée comme une légende d’un Tristan et Iseult d’Ukraine, et rangera le réalisateur parmi les romantiques apparentés à Dovjenko. Paradoxalement, en Ukraine, son chef-d’œuvre fut considéré comme un film passéiste, tant sur le plan technique qu’esthétique. Il en fut de même pour les films réalisés à cette même époque d’après les récits de Kotsioubynskyi, Aube sanglante d’Olexii Chvatchko, Sur le four de Volodymyr Karassiov et Les Chevaux sont innocents de Stanislav Komar. On crut un moment que Marc Donskoï allait reprendre le flambeau de la cinématographie ukrainienne après la mort d’Alexandre Dovjenko, survenue en 1956, mais le cinéaste fut réintégré au Studio Gorki de Moscou, où il réalisera sept films jusqu’en 1977.



Lubomir Hosejko



Jeudi 6 décembre 2012, 18 heures
Séance précédente : Mardi 4 décembre voir ci-dessous

 

LE COCHER DE NUIT
(НІЧНИЙ ВІЗНИК)
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copie restaurée en 2010

musicalisé par Arsène Trofimov









Production : VOUFKOU, Studio d’Odessa, 1929, nb, muet, 55 mn

Scénario : Mykhaïlo Zats, Heorhiї Tassine

Réalisation : Heorhii Tassine

Photographie : Albert Kun

Décors : Heinrich Baisenhertz, Josef Shpinel

Inteprétation : Ambroise Boutchma, Marie Ducimetière, Karl Tomskyi, Youriï Choumskyi, Mykola Nademskyi

Genre  : drame social



Synopsis

Durant la guerre civile, la ville d’Odessa se retrouve aux mains des interventionnistes. Pendant que le cocher de nuit, Hordiї Yarochtchouk, conduit les officiers blancs dévoyés, sa fille Katia imprime des tracs à son insu, aidée par le jeune bolchévik Boris. Hordiї, qui a fini son labeur plus tôt qu’à l’ordinaire, décide d’aller la chercher à la sortie de son travail. Il apprend que Katia a quitté son emploi depuis deux mois. Furieux, il rentre chez lui, aperçoit Boris et va le dénoncer. Par malchance, c’est Katia que le commissaire arrête, et Hordiї doit amener lui-même sa fille à la morgue où elle est tuée sous ses yeux. Le vieil homme erre toute la journée dans la ville. À nouveau interpellé par le commissaire qui vient d’appréhender Boris, il se rachète en faisant signe au prisonnier de sauter en marche avant de précipiter son attelage du haut de l’escalier Potemkine.


Opinion

Tourné au Studio d’Odessa en 1928, année bénie du cinéma muet en Ukraine avec plus de trente longs métrages de fiction, Le Cocher de nuit est considéré comme l’une des œuvres majeures de l’époque. Réalisé par Heorhiї Tassine sur un scénario de Mykhaïlo Kats, ce film, ainsi que Deux jours de Heorhii Stabovyi, sont de ceux qui vont ouvrir la voie au réalisme en décentrant l’individu par rapport à la masse et en plaçant le héros au cœur des événements. Né du rejet de la représentation abstraite et symbolique de la réalité que véhiculent les films allégoriques, ce nouveau courant psychologique manifeste un intérêt pour le destin des individus, leurs drames personnels et leur interaction avec le milieu social. L’histoire du vieux cocher Hordiї Yarochtchouk, qui voiture pendant la nuit les officiers blancs dans Odessa, semble être celle d’un homme fermé à tout ce qui est hors de sa sphère familiale et ne veut pas entendre parler de politique. Mais à la suite d’une tragédie personnelle, son histoire devient le récit d’un héros qu’une prise de conscience pousse au courage civique. En dénonçant Boris (Karl Tomskyi), l’ami bolchevique de sa fille Katia (Marie Ducimetière), il la dénonce involontairement. Le rôle-titre est tenu par la star du cinéma de l’époque Ambroise Boutchma, venu du théâtre de Lès Kourbas. À cette époque, entre 1926 et 1930, Boutchma travaille exclusivement pour le cinéma en tenant les premiers rôles dans les films de Tchardynine, Okhlopkov, Tassine, qui lui donnent une liberté artistique totale, notamment dans les rôles de composition où il campe tantôt un Français, tantôt un Anglais ou un Américain. Son partenaire Youriï Choumskyi, qui a connu les affres de la guerre civile, interprète avec brio celui de l’officier des services secrets. Cette œuvre émotionnelle de portée socio-politique, qui marque un tournant dans le cinéma ukrainien, soulève le problème des populations prises en otage par l’ennemi, thème qui sera exploité jusqu’à l’écœurement dans le cinéma soviétique. Le Cocher de nuit fut très vite comparé au film Le Dernier fiacre de Berlin de Karl Boese, et le jeu de l’acteur Ambroise Boutchma à celui d’Emil Jannings dans Le Dernier des hommes de Friedrich Murnau.

À l’instar de la plupart des films odessites, Le cocher de nuit fut tourné in situ. Le réalisateur ne se servit pas de la ville comme d’un décor pittoresque, mais comme d’un élément constitutif de l’intrigue et du jeu des acteurs. Les séquences principales furent enregistrées dans un splendide ensemble urbain, partant du Palace Vorontsov jusqu’au boulevard Primorsky (à l’époque boulevard Feldman) et la Place Catherine. Selon le témoignage d’Ambroise Boutchma, la scène finale, qui se déroulait sur les escaliers Potemkine, fut amputée pratiquement de sa totalité. Tassine avait pour principe de ne pas truquer ses scènes et demandait à ses acteurs de ne pas être doublés. Un cheval d’une caserne de pompiers bien entraîné fit l’affaire devant plusieurs caméras installées sur les marches. Boutchma lança sa monture au galop en dirigeant la calèche dans les escaliers. Il sauta de celle-ci lorsque le cheval, devenu fou, se brisa les jambes sur un palier intermédiaire. Enregistrée à l’aube, cette ultime scène se terminait par la mort de l’officier et du cocher, les yeux fixés sur les nuages moutonnant dans le ciel.

Le Cocher de nuit fut présenté avec un accompagnement musical live d’Arsène Trofimov au Premier Festival du cinéma muet d’Odessa Mute Nights’ Silent Films Festival, le 18 juin 2010.



Lubomir Hosejko



 

Ciné-concert

L’HOMME À LA CAMÉRA
(ЛЮДИНА З КІНОАПАРАТОМ)
vostf



musicalisé par Volodymyr Shpinov







Production : VOUFKOU, Studio de Kiev, 1929, nb, muet, 1h.07mn

Scénario : Dziga Vertov

Réalisation : Dziga Vertov

Photographie : Mikhaïl Kaufman, Gleb Troyansky

Montage : Elizaveta Svilova, Dziga Vertov

Genre  : documentaire


Distinction : œuvre citée parmi les douze meilleurs documentaires de tous les temps au Festival International de Mannheim en 1964.


Synopsis

Un jour de la vie à Odessa. La ville s’éveille le matin. Un homme filme tout à l’improviste : les rues animées, le travail, les machines, les loisirs. À midi, la pause, puis le rythme reprend de plus belle, l’agitation grandit, la caméra s’emballe, les images se bousculent. Un œil mécanique se ferme, le soir tombe, la ville s’endort.


Opinion

Après lui avoir commandé, en 1928, la réalisation d’un film de propagande, La Onzième année, la Direction générale photocinématographique d’Ukraine (VOUFKOU) apporte une nouvelle fois son soutien à Dziga Vertov pour sa création la plus audacieuse et la plus achevée, L’Homme à la caméra. Dans ce film expérimental proche de l’écriture automatique, où le montage joue un rôle central, se chevauchent quatre lignes conductrices : l’opérateur en quête d’images, la vie au quotidien du citoyen lambda, la monteuse rivée à sa table de montage, le spectateur observant l’écran. La destruction volontaire du récit, assurée par un montage d’une complexité rigoureuse, et l’absence totale d’inter-titres, n’altèrent en rien le relevé diégétique spatio-temporel : une grande ville d’Ukraine sous la NEP – le film est tourné sur le vif à Kiev, Kharkiv et Odessa -, en plein processus institutionnel dit de l’indigénisation. Partout, l’ukrainien envahit progressivement le paysage socioculturel. Enseignes, calicots, panneaux publicitaires, administrations, journaux, signalétique sont photographiés au hasard, non pas pour les besoins d’une propagande superflue, mais en tant qu’éléments différentiels, témoins iconiques d’une volonté qui s’opère plus en surface qu’en profondeur. Surchargés d’allitérations visuelles, de collages, de surimpressions à échelles différentes, de dédoublements ou d’inversements de l’image et, en guise de bouquet final, d’un enchaînement ultrarapide de plans courts, le film reste incompris du public, rejeté par la critique pour fétichisme technique et infantilisme. Ce film fondateur de la théorie sur le ciné-œil reste un hommage de l’homme à sa nouvelle conquête mythique - la caméra, qui, sous l’aspect technique et esthétique, se conjugue à la première personne. Vertov cherche, en réalité, à en faire une sorte d’essai sur la morphologie filmique en s’interrogeant sur les capacités de l’œil humain et du médium lui-même. En réinventant l’espace quotidien de la vie d’une cité, ce manifeste futuriste préfigure, en quelque sorte, le futur dispositif de vidéosurveillance des grandes agglomérations d’aujourd’hui. Lubomir Hosejko



Lubomir Hosejko



Mardi 4 décembre 2012, 19 heures

 

L’ÉTÉ INDIEN
(ТАКА ТЕПЛА, ТАКА ПІЗНЯ ОСIНЬ)
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Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, 1981, 90 mn, coul

Scénario : Vitaliї Korotytch, Ivan Mykolaїtchouk

Réalisation : Ivan Mykolaїtchouk

Photographie : Youriï Harmach

Décors : Vitaliї Volynskyi, Mykola Rieznyk, Serhiї Khotymskyi

Son : Sofia Serhienko

Inteprétation : Ivan Mykolaїtchouk, Halyna Chtchebyvovk, Petro Mykhnevytch, Borys Tsymba, Natalia Soumska, Nadia Dotsenko, Hryhoriї Hladiї, Lès Serdiouk, Fedir Stryhoun, Yaroslav Havrylouk Taїssia Lytvynenko, Valentyna Saltovska, Farida Muminova

Genre  : mélodrame



Synopsis

Michael Rousnak, émigré de Bucovine, a passé toute sa vie près d’une base aérienne au Canada. L’air y était tellement pollué qu’il le rendit aveugle. Cinquante ans plus tard, Rousnak revient au pays avec son ami noir Jackson et sa petite-fille Oryssia. Tout ce qu’il ne peut plus voir de ses propres yeux, il le revoit avec son âme et sa mémoire : les chemins vicinaux, le lit du ruisseau disparu, sa terre à laquelle il demande pardon à genoux. Cette terre promise sur laquelle Oryssia jette un regard curieux et désabusé à la fois, déçue par une idylle sans lendemain.


Opinion

En 1965, lors du Festival de Mar del Plata où il présenta Les Chevaux de feu, l’acteur Ivan Mykolaїtchouk avait rencontré un vieil émigré ukrainien frappé de cécité évolutive, qui voulait revoir sa patrie avant de mourir. Par l’intermédiaire du comédien, celui-ci obtint un visa de séjour. Mais en retrouvant sa famille, le choc fut tel qu’il perdit définitivement la vue. De cette histoire vraie, Mykolaїtchouk tira en 1973 un scénario original qu’il dut, sous la pression des censeurs, coupler à une nouvelle de Vitaliї Korotytch à coloration politique prenant pour sujet le séjour en Ukraine d’une jeune femme d’émigrés nationalistes. Il en sortit un scénario artificieusement arrangé, souffrant d’une imagination indigente et confuse, car trop d’années avaient passé entre l’idée même et sa réalisation. Entre temps, le monde avait changé, les esprits et les rapports avec l’Occident aussi. La jeune génération de la diaspora ukrainienne, qui ne connaissait pas le pays de ses ancêtres, y était perçue comme étrangère, et ses connaissances parcellaires. Élevée dans une société multiculturelle et ouverte, Oryssia (incarnée par la jeune première Halyna Chtchebyvovk) ne peut accepter de se fondre dans une culture dominée par un groupe qui la rejette. Certes, Mykolaїtchouk et Korotytch avaient voyagé à l’étranger, senti la souffrance de leurs compatriotes mais en tant que touristes soviétiques, surveillés, n’approchant que la communauté progressiste de la diaspora. Trop de clichés convenus émaillent ce mélodrame, notamment les scènes hyperthéâtralisées d’outre-Atlantique ressemblant à un rite maçonnique, le laquage topographique de la Bucovine soviétique, les tribulations des agents de l’Intourist, les chants, les danses désynchronisées. L’erreur du réalisateur ne fut pas tant de débiter des lieux communs – la nostalgie, l’amour de la patrie, le pacifisme – que de les amalgamer et les détourner au profit du thème de l’expatriation. Tout patriote qu’il fut, Mykolaїtchouk restait étranger au thème de la perte de la mémoire, de l’abandon de la terre natale, de la recherche du temps perdu. Seule la superbe séquence du carnaval sauve in extremis ce film : on y retrouve le grand Mykolaїtchouk de Babylone XX, son premier film où il semblait renouer avec les traditions de la célèbre École poétique de Kiev. À l’évidence, en demi-teinte par rapport au personnage de Fabien dans Babylone XX, l’acteur-réalisateur semble s’être consumé par la complexité du sujet : trompé par une nature tardivement refleurie, l’homme est comme un bourgeon stérile à l’automne de sa vie. Dernier hommage à la Bucovine de l’enfant du pays, L’été indien aurait gagné la sympathie du public s’il avait pu être coproduit avec le Canada, utopie qui deviendra réalité à la fin de la décennie. Mais Ivan Mykolaїtchouk n’était plus de ce monde.



Lubomir Hosejko



Mecredi 7 novembre 2012, 18h30

Séance dédiée au Holodomor

 

CHRONIQUES DU HOLODOMOR 1933
(ЛІТОПИСНИЙ ВІДЕОМАТЕРІАЛ ГОЛОДОМОР 1933)
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TÉMOIGNAGE DE VALENTYNA HAVRYLIVNA KOULYNYTCH
Свідчить Валентина Гаврилівна Кулинич


Production : Studio des films documentaires d’Ukraine, Service cinématographique d’État, Ministère de la Culture d’Ukraine, 2008, 17 mn, coul.

Réalisation : Suzanna Chapovalova

Photographie : Alexandre Mokhnatko



TÉMOIGNAGE DE MARIA MYKYTIVNA VYNOGRADOVA
Свідчить Марія Микитівна Виноградова


Production : Studio des films documentaires d’Ukraine, Service cinématographique d’État, Ministère de la Culture d’Ukraine, 2008, 15 mn, coul.

Réalisation, photographie : Volodymyr Vassyliev



TÉMOIGNAGE DE PETRO MAXYMOVYTCH KOUKHARTCHOUK
Свідчить Петро Максимовитч Кухарчук


Production : Studio des films documentaires d’Ukraine, Service cinématographique d’État, Ministère de la Culture d’Ukraine, 2008, 12 mn, coul

Réalisation photographie : Volodymyr Vassyliev



TÉMOIGNAGE DE YEVDOKIA MYKHAÏLIVNA DOUBININA
Свідчить Євдокія Михайлівна Дубініна


Production : Studio des films documentaires d’Ukraine, Service cinématographique d’État, Ministère de la Culture d’Ukraine, 2008, 22 mn, coul.

Réalisation photographie : Volodymyr Vassyliev



Genre  : documentaire

Courts métrages basés sur des documents filmiques, photographiques et phonographiques, datant de l’époque du Holodomor 1932-33, ainsi que sur des témoignages de rescapés, enregistrés dès l’avènement de la perestroïka jusqu’à la Révolution Orange.



Mardi 6 novembre 2012, 18h30

 

LE CHIEN PIE QUI COURT LE LONG DE LA MER
(РЯБИЙ ПЕС, ЩО БІЖИТЬ КРАЄМ МОРЯ)
vostf



suivi d’une intervention d’Anne-Victoire Charrin, anthropologue arctique, spécialiste des cultures et des littératures des peuples autochtones de la Sibérie







Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, Allianz Filmproduktion, Regina Ziegler Filmproduktion, ZAF, 1990, 136 mn, coul

Scénario : Tolomouch Okéiev, Karen Guevorkian

Réalisation : Karen Guevorkian

Photographie : Igor Biélakov, Roudolf Vatinian, Karen Guevorkian

Décors : Yevhen Striletskyi, Heorhiї Oussenko

Musique : Sandor Kalloś

Son : Alexandre Kouzmine

Inteprétation : Boiarto Dambaiev, Alexandre Sassykov, Doskhan Joljaksynov, Tokon Tagtyrbekov, Loudmila Ivanova

Genre  : drame


Récompenses : Grand Prix au Festival Kinotavr, Sotchi, 1991 ; Médaille d’Or, Prix de la FIPRESCI, Prix du Jury Œcuménique, Prix Spécial du Jury International des ciné-clubs, Festival de Moscou, 1991 ; Grand Prix du film d’auteur au Festival de San Remo, 1993 ; Grand Prix au Festival international du film d'action et d'aventures de Valenciennes, 1993



Synopsis

Kirisk, un petit garçon de dix ans, accompagné de son grand-père, de son père et de son oncle, part pour la première fois à la chasse au phoque. Mais un malheur s'abat sur les chasseurs. Le brouillard s'est levé sur la mer et ils se perdent. Quand les réserves d’eau arrivent à leur fin, les hommes décident de se sacrifier pour sauver l’enfant et leur peuple.


Opinion

Unique film du réalisateur d’origine arménienne Karen Guevorkian produit en Ukraine, Le Chien pie qui court le long de la mer fut commencé en 1978 à la Lenfilm, puis arrêté sur décision du Goskino. Mais en 1986, sur l'insistance de Viktor Démine, le Derjkino donna au réalisateur la possibilité de continuer et de terminer son travail aux Studios Dovjenko de Kiev, où les traditions du cinéma poétique subsistaient toujours.

Le film s’inspire du récit de Tchinguiz Aimatov sur la condition humaine des Nivkhes, petite minorité ethnique de Sibérie orientale confrontée à la rigueur des éléments et menacée d’extinction. Par son style documentaire, mais néanmoins épique, il rappelle Nanouk, l’Esquimau, avant un final intensément dramatique. Les lois éthiques sont celles de la nature avec qui l’homme vit en harmonie, la combat et la tutoie comme un être humain. Riche tant sur le plan anthropologique que cinématographique, le film se découpe en deux parties. La première se passe sur terre non loin du littoral. La seconde, en mer d’Okhotsk, et se réfère directement au récit d’Aimatov relatant l’initiation d’un jeune garçon à la chasse au phoque par son grand-père, son père et son oncle. Malgré quelques similitudes avec le film de Flaherty et L’Île nue du Japonais Kaneto Shindo, le film n’en reste pas moins une brillante fiction philosophico-poétique, émaillée de paraboles mythologiques, où chaque geste devient rituel. Contrairement à Flaherty qui demandait à Nanouk de rejouer son propre quotidien, Guevorkian nous plonge au cœur d’une communauté, vue par un œil non pas exotique mais ethnographique. Le réalisateur jette un regard libre sur les mœurs et les traditions, directement liées au substrat religieux d’une culture ancestrale. Dominée par le blanc de la toundra et du brouillard, la photographie du film est généreuse en plans d’ensemble, où l’image se transfigure en hymne au grand créateur. Le film est encore plus poétique qu’Aérograd de Dovjenko, une œuvre splendide au rythme lent et puissamment universelle.
Formé au VGIK, d’abord en tant qu’opérateur puis réalisateur, Guevorkian est de ces cinéastes qui ont connu la censure durant la stagnation brejnévienne, parce que considéré comme antisoviétique. Il travaillera épisodiquement aux Studios ArmenFilm et Lentéléfilm, et ne réalisera que deux longs métrages en vingt ans, avant de créer sa propre unité de production, le Studio Navigator, en 1993.



Lubomir Hosejko



Mardi 2 octobre 2012, 19h

 

MY JOY
(ЩАСТЯ МОЄ)
vosta













Production : Sota Cinema Group (Ukraine), MA.JA.DE Filmproduktion (Allemagne), Lemming Film (Hollande), 2010, 122 mn, coul

Scénario : Sergueї Loznitsa

Réalisation : Sergueї Loznitsa

Photographie : Oleg Mutu

Décors : Cyril Chuvalov

Musique : Anatoli Dergatchev

Montage : Danielius Kokanauskis

Inteprétation : Victor Nemets, Volodymyr Ivanov, Maria Varsami, Vladimir Golovine, Olga Chouvalova, Alexis Vertkov, Youriï Sviridenko

Genre  : drame


Principales récompenses : Meilleur scénario, Festival du cinéma de la CEI Kinochok, Estonie, Lettonie et Lituanie, Russie, 2010 ; Meilleure réalisation, Prix de la Guilde des critiques et historiens du cinéma, Festival Kinotavr, Russie, 2010 ; Grand prix, Festival international du film Molodist, Ukraine, 2010 ; Grand Prix, Festival International Listapad de Minsk, 2010 ; Deuxième Prix du meilleur film, Abricot d’Argent Festival International d’Erevan 2010 ; Grand prix, Festival du Jeune cinéma VOICES, Vologda, 2010


Synopsis

Un jeune routier se perd dans la campagne avec son chargement de farine. Il croise un vétéran malheureux, une prostituée mineure, une étrange bohémienne, trois brigands, dont la brutalité alcoolique sera l'instrument de son destin, des policiers corrompus. Pris dans une spirale de violence et de trahison, il s’adapte progressivement à son environnement jusqu’à commettre un crime.


Opinion

En 2010, pour la première fois de son histoire, le cinéma ukrainien est représenté dans la sélection officielle du Festival de Cannes. C’est à Sergueї Loznitsa qu’incombe de concourir avec son premier long métrage My Joy. Jusque-là, les cinéastes ukrainiens ne s’étaient fait remarquer qu’à la Quinzaine des réalisateurs, notamment avec le film Rez-de-chaussée de Igor Minaiev, Le Lac des cygnes. La Zone de Youriï Illienko et La Désintégration de Mykhaïlo Biélikov.
Mathématicien de formation, Sergueї Loznitsa travailla quelque temps à Kiev comme cybernéticien et traducteur de japonais, avant de suivre les cours de réalisation du VGIK qu’il termina en 1997. Il réalisa ses deux premiers courts métrages en binôme avec son camarade d’études Marat Magambetov, passant du concept du numéro d’attraction, Aujourd’hui nous construisons notre maison(1996), à une œuvre élégiaque, La vie, l’automne (1998). Attaché au Studio des films documentaires de Saint-Pétersbourg, il enchaînera opus sur opus, perçus comme des docus-méditation, avec ses opérateurs attitrés, le Russe Pavel Kostomarov ou l’Ukrainien Serhiї Mykhaltchouk. L’univers filmophanique chez Loznitsa est celui des petites gens, soumises aux bouleversements économiques, sociaux et politiques : L’Attente (2000), La Colonie (2001), Portrait (2002) et surtout L’Usine (2004), véritable petit chef-d’œuvre impressionniste larguant aux oubliettes les docus de Dziga Vertov et autres bandes stakhanovistes. Loznitsa s’est fait surtout connaître par son documentaire Blockade (2005), un film de montage entièrement élaboré à partir de rushes longtemps tenus secrets du film de Roman Karmen Leningrad en lutte. C’est principalement dans ce film que l’on découvre combien l'architecture sonore joue un rôle prépondérant dans ses opus. Fasciné par le Grand Nord, Loznitsa réalisera encore Artel (2006) et, en 2008, Lumière du Nord (Les Films d'Ici, Arte France), un film d’une extrême beauté, tourné dans la nuit polaire. Puis avec Revue, son premier documentaire tourné et produit en Ukraine (2008), monté à partir de bandes d’actualités de propagande des années 50-60, il revisitera la vie des gens, avec ses privations et ses rituels absurdes, mais illuminée dans le même temps par l’éclat glorieux du communisme.

Grand admirateur de Robert Bresson, Loznitsa aborde la fiction avec un premier long métrage, My Joy, de prime abord hermétique et abstrus, mais en réalité d’une conception rigoureusement structurée à partir d’histoires glanées dans la Russie profonde. Cependant, il se voit refuser son financement par le Ministère de la Culture de Russie, et c’est grâce à sa rencontre avec Oleg Kokhan, premier grand producteur de l’Ukraine indépendante (notamment des films de Kira Mouratova), qu’il le réalisera en Ukraine, dans la région de Tchernihiv près de la frontière russe. My Joy (le distributeur français ARP Selection n’a pas cru bon de le présenter sous le titre Mon bonheur) cofinancé par l’Allemand Eino Deckert (Ma.Ja.De.) et le Néerlandais Joost de Vries (Lemming Film), sera distribué dans une vingtaine de pays. Loznitsa y a réuni une distribution internationale, avec le Bélarusse Viktor Nemets, les Russes Vladimir Golovine et Olga Chouvalova dans les rôles principaux, des comédiens non-professionnels rencontrés au moment des repérages, et a adjoint à son équipe technique l’opérateur roumain Oleg Mutu.
My Joy est un road-movie qui conduit le héros au bout d’une route qui ne mène nulle part, à un cul-de-sac du diable, où la violence est omniprésente. C’est la Russie postsoviétique profonde, cauchemardesque, corrompue, vue par un documentariste chevronné. Certains critiques reprochent à Loznitsa d’avoir copié son sujet sur des films des années 90 et d’avoir tourné ce film avec une haine pour les hommes et la pourriture du monde, mais encore un film ukrainien antirusse. En fait, tout en usant de l’ellipse, du flash-back et de réminiscences, où les traumatismes du passé se mêlent aux blessures du présent, Loznitsa porte un regard sombre et très critique sur la réalité, en livrant une métaphore sur un pays en pleine crise existentielle et identitaire. Il dit ne pas penser à la Russie, mais à ses mythes, ainsi dans l’épisode où il verse son obole à la culture nostalgique de la Grande Guerre Patriotique. C’est le cas du vieil homme qui raconte au routier comment, tout juste lieutenant, il avait été berné, humilié, une nuit, dans une gare, par un autre militaire dont il avait décidé de se venger. Avec des images choc sur la décadence sociale et humaine, Loznitsa filme des anciens indics devenus policiers de la route, des conscrits déserteurs réincarnés en voyous rackettant les honnêtes gens.

Invité mystère de la compétition officielle du 63ème Festival de Cannes, Loznitsa affirme qu’il ne tourne ses films pour aucun pays. Les dollars pullulent dans le monde entier, pourquoi auraient-ils une nationalité ? Les films en compétition dans les festivals doivent-ils avoir une nationalité ? Toujours selon lui, aucune œuvre d’art ne relève de ce genre de classification. « Tourgueniev a vécu en France. Était-il pour autant un écrivain français, Nabokov – un écrivain suisse, Brodsky – un poète américain ? Les œuvres d’art ont une autre dimension : une tradition culturelle, par exemple. Cela a plus de sens que l’appartenance à tel ou tel pays », affirma-t-il dans une interview à Radio Liberty, le 12 mai 2010.
Loznitsa réalisa son deuxième long métrage en 2011,
Dans la brume (Allemagne, Russie, Lettonie, Pays-Bas, Belarus), Prix de la FIPRESCI au Festival de Cannes 2012, adapté du roman de Vassili Bykov Dans le brouillard (éditions Albin Michel, 1989). Il prépare actuellement une fiction sur la tragédie de Babyi Yar en Ukraine. Sergueї Loznitsa, ou plutôt Serhiї Loznytsia, accordera-t-il sa préférence pour une nationalité à son film ? C’est la question que se pose le monde du cinéma en Ukraine au sujet de la personnalité du réalisateur qui vit depuis 2001 en Allemagne, mais travaille principalement en Russie et en Ukraine. Loznitsa est connu en France depuis 2004 grâce, aux États Généraux du Film documentaire de Lussas et à des collectifs d’associations (Strasbourg, Metz, Nancy, Marseille).



Lubomir Hosejko



Jeudi 20 septembre 2012, 20h30

 

LIBERTÉ SECRÈTE
(ТАЄМНА СВОБОДА)
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suivi d’une intervention de Myroslav Skoryk, compositeur de la musique du film Les Chevaux de feu.



Production : Agence cinématographique d’État, Studio Kontakt, 2011, 52 mn, coul.

Scénario : Loudmyla Lemecheva

Réalisation : Serhiї Lyssenko

Photographie : Igor Ivanov, Yevhen Heranine, Volodymyr Houїevskyi, Vitaliї Filippov

Son : Heorhii Stremovskyi

Montage : Valeriï Matsiouk, Maxime Palahviї

Genre  : documentaire


Opinion

Présenté lors du IIIème Festival International d’Odessa en 2012, ce documentaire riche en archives filmiques retrace les moments forts de l’histoire du cinéma ukrainien des années 60-70, notamment à travers les films-phare Les Chevaux de feu, La Croix de pierre, L’Oiseau blanc marqué de noir, Brèves rencontres, Et l’Acier fut trempé, Vol entre rêve et réalité. Ce documentaire de Serhiї Lyssenko diverge complètement du film expérimental d’Alexandre Balahoura Antolohion et, dans une moindre mesure, de celui de Anatoliï Syrykh À Ivan Mykolaїtchouk, tous deux de 1996, traitant différemment des mêmes pans d’histoire. Dans Liberté secrète, la scénariste Loudmyla Lemecheva revalorise l’atmosphère créatrice des sixties et seventies par une analyse très fouillée des pratiques et de l’esthétique des réalisateurs qui surent résister aux pressions idéologiques et rester libres dans leur for intérieur. Tous connurent la dictature du Parti communiste, plus tard celle du marché. Les figures qui défilent restent toujours dans la mémoire des nouvelles générations : Paradjanov, Mykolaїtchouk, Illienko, Ossyka, Machtchenko, Dziouba, Dratch, Yakoutovytch, Biélikov, Hrès, Balaїan, Kalouta, Mouratova, mais aussi les moins connus ou plus jeunes tels Constantin Yerchov, Serhiї Masloboїchtchykov. L’idée de réunir autour d’une table ronde dans les célèbres Studios Dovjenko de Kiev les acteurs principaux de cette époque - réalisateurs, opérateurs, scénaristes, décorateurs, comédiens et critiques de cinéma -, trouve ici le recul nécessaire pour s’interroger sur les liens étroits qu’exercent les images d’archives entre la fascination nostalgique et la potentialité de les raconter ou de les réinterpréter à bon escient. On y découvre un moment émouvant, où le cinéaste Youriï Illienko annonce sa mort prochaine, et l’on regrette l’absence de Bohdan Stoupka ou encore les divergences des frères ennemis Illienko et Balaїan. Par leur opus, Serhiї Lyssenko et Loudmyla Lemecheva, laquelle avait signé douze ans auparavant le scénario de À Ivan Mykolaїtchouk, ont le mérite d’avoir donné une forte caution historique au cinéma d’auteur et à ce qui a été en son temps caché ou défendu : un hors-champ réinstallé faisant corps avec la surface écranique.



Lubomir Hosejko



Samedi 8 septembre 2012, 18 heures

 

L’HOMME QUI DÉFIA LE FEU
(ТОЙХТОПРОЙШОВКРІЗЬВОГОНЬ)
vosta







Production : Ministère de la Culture d’Ukraine, Agence cinématographique d’État, InsiteMedia Producing Center, 2011, 150 mn, coul.

Scénario : Mykhaïlo Illienko, Constantin Konovalov, Denis Zamriї, d’après le récit de Vadim Drapeї

Réalisation : Mykhaïlo Illienko

Photographie : Alexandre Krychtalovytch

Décors : Roman Adamovytch

Musique : Volodymyr Hronskyi

Son : Artem Mostovyi

Montage : Victor Malarenko
Chansons : Dakhabrakha

Inteprétation : Dmytro Linartovytch, Victor Andrienko, Olga Grychyna, Alexandre Ihnatoucha, Ivanna Illienko, Oleksiї Kolesnyk, Vitaliї Linetskyi, Oleg Primohenov, Halyna Stefanova, Artem Antontchenko, Maryna Yourtchak, Mykola Baklan, Serhiї Soloviov, Iryna Bardakova, Denis Karpenko, Volodymyr Levytskyi, Oleg Tsiona, Serhiї Sydorenko, Lev Levtchenko, Yaroslav Bilonoh, Taras Denyssenko

Genre  : mélodrame


Principales récompenses : Grand Prix au Festival International de Kiev 2011; Meilleur Film au Forum International d’Omsk 2012


Synopsis

Prisonnier des Allemands, le pilote de chasse Ivan Dodoka est libéré par l’Armée Rouge. Comme il lui est difficile de prouver son identité, il est envoyé au Goulag, d’où il décide de s’échapper. Après avoir traversé la Sibérie et le détroit de Béring, il s’empare d’un avion en Alaska puis se retrouve au Canada dans une tribu d’Indiens Iroquois dont il devient le chef. Pendant ce temps, son ami et frère d’armes le déclare ennemi dangereux pour pouvoir épouser sa femme.


Opinion

Portée à l’écran par Mykhaïlo Illienko, l’histoire d’Ivan Dodoka est l’histoire revisitée d’un personnage réel dont le véritable nom est Ivan Datsenko, né en 1918 à Tchernytchyi Yar dans la région de Poltava. Pilote de bombardier pendant la Seconde Guerre Mondiale, ce héros de l‘aviation soviétique effectua 213 raids, notamment sur Orel et Stalingrad, avant que son Iliouchine II eût été abattu par la Luftwaffe le 19 avril 1944 pendant qu’il bombardait la gare de triage de Lviv. Laissé pour mort par les autorités soviétiques, Ivan Datsenko fut retrouvé par des membres de la délégation soviétique ukrainienne visitant une réserve indienne iroquoise à l’occasion de l’Exposition Universelle de Montréal en 1967. Après avoir décliné sa véritable identité, Ivan Datsenko s’adressa à eux en ukrainien et dit s’appeler John Mac Nober, pour l’état civil canadien, et Chief Poking Fire pour sa tribu. Peu après, l’ambassadeur soviétique en poste au Canada Ivan Chpedko, lui-même d’origine ukrainienne, eut plusieurs entretiens avec Datsenko. D’après lui, ce dernier s’était installé vingt ans auparavant chez les Iroquois et avait fondé une famille. Devenu manager du tourisme et de spectacles indiens, il avait reçu pour cette raison le titre de chef. En Ukraine, sa sœur tenta d’entrer en contact avec lui en 2001 grâce à l’émission de télévision Attends-moi, mais la Croix-Rouge ukrainienne l’informa que son frère était décédé depuis deux ans. Plusieurs versions circulèrent sur l’extraordinaire destin de cet aviateur avant que son camarade de régiment Alexandre Chtcherbakov ne publiât en 2010 le récit Le ciel et la terre d’Ivan Datsenko. Selon l’une d’elles, il se serait évadé du camp de prisonniers allemand et aurait rejoint son unité. Accusé de trahison, il aurait été envoyé en Sibérie, d’où il aurait fui au Canada après avoir traversé le détroit de Béring. Selon une autre version, il se serait retrouvé à la fin de la guerre dans la zone américaine, puis aurait émigré au Canada, comme d’autres milliers d’Ukrainiens, et trouvé une terre d’accueil chez les Indiens Iroquois. Cette dernière version semble être la plus vraisemblable.
En 2006, le directeur du Département Cinéma du Ministère de la Culture d’Ukraine Hanna Tchmil lança le projet de réalisation d’un documentaire sur Datsenko, mais fascinée par le personnage, elle proposa la réalisation d’une fiction à Mykhaïlo Illienko, qui à l’époque cherchait un producteur pour son nouveau projet – La Jachère (Толока). Illienko choisit la première version, plus romancée à son goût, pour en faire un film grand public, où le personnage central deviendrait un héros national. Le budget de la production se chiffra à 16 millions de hryvnias, dont six investis par le producteur indépendant InsiteMedia Production Center. Faute d’argent frais, le tournage fut maintes fois interrompu entre 2008 et 2010, notamment pendant la campagne des élections présidentielles de 2010 et les mois qui suivirent, épisode récurrent dans l’Ukraine postsoviétique. Le tournage s’effectua à Kiev, Rjychtchev, Kamianets-Podilsk. Lors d’un voyage en Amérique du Sud, le réalisateur enregistra un plan dans les Andes, sur la frontière argentino-chilienne, qui servit de décor d’arrière-plan pour les scènes de vie chez les indiens. Les diverses difficultés qu’il rencontra sur les plans financier, technique et humain, se ressentirent dans le montage entre les différents épisodes. Ce n’était plus la compression du temps et de l’espace qui altérait la structure du film, mais les raccords ou faux-raccords qui consistaient à suggérer une action en montrant simplement ce qui se passait avant et après. Le film est truffé d’ellipses de convenance et d’autres utilisées pour rythmer le récit là où une trop longue rupture s’est opérée dans les reprises du tournage. Au montage, l’ellipse met en valeur tantôt des images métaphoriques trop évidentes, tantôt désoriente le spectateur, surtout lorsque qu’elle chevauche un flash-back ou un flash-forward. Mykhaïlo Illienko se défendra en excusant par avance le spectateur de ne pas y voir une parfaite linéarité du récit. Il avouera encore être en osmose conceptuelle avec son avant-dernier long métrage Foutchow datant de 1993, aussi bien sur le plan visuel et la distribution, que sur le thème musical du film. En réalisant cette fiction, Illienko prétend créer une véritable légende autour de son héros, comme l’ont été Tchapaiev, Rambo et d’autres, sans qui, selon lui, une nation ne peut rêver. Le film a été tourné en cinq langues - le russe (majoritairement), l’ukrainien, l’anglais, le tatare et l’iroquois. Et si Ivan Dodoka apprend l’ukrainien à sa nouvelle famille, pas une seule fois son nom, l’Homme qui défia le feu, n’est prononcé en langue iroquoise, pas même dans la scène finale. Cette scène rituelle revêt une importance initiatique : les Iroquois donnent des prénoms qui prennent souvent ancrage dans la nature qui les entoure, dans les forces surnaturelles qu'ils perçoivent, dans les qualités des personnes ou bien dans les événements de la vie. Le nom que les Iroquois attribuent à Dodoka est à sa juste valeur, puisqu’il défia le feu partant de son Ukraine en flammes jusqu’à son nouveau foyer. Depuis l’indépendance, ce mélodrame est l’un des rares films à figurer honorablement au box-office ukrainien. Il a surtout le mérite d’avoir révélé Dmytro Linartovytch, le Johnny Depp ukrainien, comédien du Théâtre municipal de Kiev.



Lubomir Hosejko






Mardi 4 septembre 2012, 19 heures

 

LES OMBRES DES ANCÊTRES OUBLIÉS
(ТІНІ ЗАБУТИХ ПРЕДКІВ)
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Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, 1964, 98 mn, coul/nb

Scénario : Serge Paradjanov, Ivan Tchendeї, d’après la nouvelle éponyme de Mykhaïlo Kotsioubynskyi.

Réalisation : Serge Paradjanov

Photographie : Youriï Illienko

Décors : Heorhiї Yakoutovytch, Mykhaïlo Rakovskyi

Musique : Myroslav Skoryk

Son : Sophie Serhienko

Inteprétation : Ivan Mykolaїtchouk, Laryssa Kadotchnikova, Tetiana Bestaieva, Spartak Bagachvili, Mykola Hrynko, Léonide Yenguibarov, Nina Alissova, Alexandre Haї, Neonila Hnepovska, Alexandre Raїdanov

Genre  : drame lyrique


Principales récompenses : Festival International de Mar-del-Plata (1965), Prix La Croix du Sud, Prix Spécial du Jury pour la photographie, la couleur et les effets spéciaux à Youriï Illienko ; Festival International de Rome (1965), Coupe du Festival ; Prix de l’Académie du cinéma britannique pour le Meilleur film étranger (1966) ; Festival international de Salonique (1966), Médaille d’Or à Serge Paradjanov pour la réalisation ; Festival de Melbourne (1967), Diplôme d’Honneur ; Festival International de Sidney (1967), Diplôme d’Honneur ; Festival Pansoviétique à Kiev (1966), Prix Spécial du Jury pour l’ensemble de l’équipe ; Prix d’État Taras Chevtchenko (1991) à Serge Paradjanov (posthume), Youriï Illienko, Laryssa Kadotchnikova, Heorhiї Yakoutovytch.


Synopsis

Ivan et Maritchka s’aiment depuis l’enfance, en dépit de la haine qui, depuis des générations, sépare leurs familles – les Paliїtchouk et les Houténiouk. Quelque temps avant leurs noces, Ivan quitte sa fiancée pour les alpages à la recherche d’un travail. Partie le rejoindre, Maritchka se noie en voulant sauver un agnelet. Perdu, Ivan erre à travers le pays et songe à mourir, mais une veuve accorte jette son dévolu sur lui. À contrecœur, Ivan épouse Palagna. Le souvenir de Maritchka le hante jusque dans ses rêves. Bientôt, Palagna le trompe avec Yourko, le sorcier du village. Ivan veut se faire justice, mais le sorcier le tue d’un coup de hache.


Opinion

Septième adaptation cinématographique du nouvelliste Mykhaïlo Kotsioubynskyi, Les Ombres des ancêtres oubliés est l’œuvre par excellence qui lancera une nouvelle vague dans le cinéma ukrainien, appelée tantôt cinéma poétique ou métaphorique, tantôt pictural, et plus connue sous le vocable École de Kiev. Jusque-là, Paradjanov avait été un réalisateur peu remarqué, engagé par le Studio Alexandre Dovjenko de Kiev. D’abord assistant d’Igor Savtchenko et de Volodymyr Braun, il avait aligné coup sur coup trois documentaires et quatre longs métrages de fiction de commande, lesquels portaient déjà les prémices d’un cinéaste, dont la capacité de création allait croissant avec la génération montante, imprégnée de culture occidentale et à l’écoute de la dissidence.
Paradjanov découvre chez Kotsioubynskyi une sorte de prose rythmée dont il faut, comme pour les peintres, connaître les couleurs parce qu’elles viennent à la rescousse des mots. Choisissant la solution picturale plutôt que la solution littéraire, il va donner libre cours à son interprétation du récit à partir de couleurs qu’il attribue à chacun des chapitres et dont la matière sera rigoureusement respectée : Les Carpathes oubliées de Dieu, Les Alpages, Solitude, Demain le printemps, Le Sorcier, L’Estaminet, La Mort d’Ivan, La Vie quotidienne, Noël, Ivan et Palagna, La Pietà.À première vue, le film impressionne par l’abondance kaléidoscopique des tons, par la symphonie des sons, la complexité technique, le souci du détail et, surtout, par la diversité des rites, les superstitions, l’art des Houtsoules, une ethnie carpathique méconnue, primitive mais raffinée, vivant en étroite communion avec la nature et l’univers de ses ancêtres. Au fil des séquences, une matière filmique semble se dégager dans des cycles de traitement de couleurs indissociables de la dramaturgie. Les références picturales sont choisies à l’origine du projet : Botticelli, Bosch, Bruegel, Goya, Chagall, Caravage, mais aussi les portraits de Houtsoules rencontrés dans les tableaux des peintres ukrainiens Ivan Trouch, Olena Koultchytska, Ossyp Kurylas. Cette débauche de couleurs, de broderies et de costumes chamarrés, est inspirée par le jeune décorateur Heorhiї Yakoutovytch et la costumière Lidia Baїkova. L’image se dissout dans des ocres, des bleus, des rouges, des gris, donnant au film une unité chromatique rythmique et plastique. Le film commence par une gamme de gris-argent soulignant l’âpreté du paysage puis un marché de Noël aux couleurs bariolées avec le premier choc émotionnel et visuel : un filet de sang coulant sur la lentille frontale de l’objectif et se transformant en chevaux rouges galopant (d’où le titre français Les Chevaux de feu) – trouvaille commune du réalisateur, du décorateur et de l’opérateur. Pourtant, il serait trop réducteur de ne voir que des couleurs, des figurants typés dans un contenu ethnographique hypertrophié, car il s’agit bien de la restitution de la culture d’un peuple de tradition orale, sublimée par le délire baroque d’un cinéaste enfin libéré du carcan réaliste socialiste. Le réalisateur se laisse emporter avec toute son équipe dans la matière première du récit en fondant littérature, histoire, ethnologie et métaphysique en une vision cinématographique totale. Et si c’est un Arménien déraciné travaillant en Ukraine qui réalise un film national dans sa forme comme dans son contenu, c’est justement parce que son histoire tend à l’universalité, à l’instar des tragiques grecs et des histoires d’amour légendaires de la littérature occidentale, Roméo et Juliette, Tristan et Iseult.
Le véritable thème du film est celui de la mort en forme de long adieu à la beauté et à la vie qui s’éteint dans un combat inégal avec les forces du mal. Ici, les rites funéraires ont une forte connotation économique et sociale : magie, sorcellerie, démonologie ordonnent la veillée et les levées des corps. Du point de vue anthropologique, le vérisme de la transe collective pendant la mise en bière du corps d’Ivan est un morceau d’anthologie inégalé. Au thème de la mort omniprésent tout au long du récit, s’ajoutent ceux de l’amour, de la fidélité et de la solitude, tenant à la fois du drame shakespearien et de la tragédie racinienne. Si Ivan croque une pomme après l’amour avec Palagna, c’est pour admettre qu’il a trahi le souvenir de Maritchka. Il est condamné à vivre dans un sentiment d’abandon et d’autodestruction. L’univers de Palagna lui demeure étranger, et la fidélité à son amour perdu devient la manifestation la plus accomplie de ses passions, celle qui soustrait à la temporalité et projette vers l’éternel.
Natif de la région où se tourne le film in situ, le jeune premier Ivan Mykolaїtchouk interprète le rôle d’Ivan. Il est l’incarnation même de son homonyme, connaît les us et les coutumes, se signe nonchalamment à la houtsoule, parle le dialecte local. D’emblée son jeu imprime au film un style économe qui ébranle l’archétype de l’acteur soviétique, coincé dans un académisme désuet. Entouré de paysans houtsoules qui interviennent et exigent leur propre vision et la vérité absolue, il a pour partenaires Laryssa Kadotchnikova (Maritchka) et Tetiana Bestaieva (Palagna), toutes deux d’une exceptionnelle beauté. Comparé au comédien russe Vassili Choukchine et au Polonais Zbigniew Cybulski, il devient très vite une star de l’écran et sera lié à plusieurs films à succès.
La conception du film est due tant au réalisateur qui jette les fondements de la mise en scène frontale, avec peu de gros plans et une absence totale de raccords dans l’axe, qu’à son opérateur Youriï Illienko. Cependant, tout deux entrent en conflit. Alors que Paradjanov veut une caméra statique et contemplative, Illienko la rend très mobile. Enivrée par ses propres mouvements, elle vacille de plongée en contre-plongée, avance, recule dans des travellings époustouflants. Souvent portée, elle balaie tout sur son passage, exécutant des filages, des décadrages, des panoramiques à 360°, comme dans la séquence de la veillée funèbre. Au montage, la technique de la caméra coup de poing et les astuces optiques, notamment les images solarisées, donneront raison à Illienko qui applique la théorie de la caméra émotionnelle, marquant le retour au cinéma de poésie qui tend à revaloriser le point de vue visuel et l’impact émotionnel de la couleur contre l’envahissement du bavardage. Ce visuel émotionnel est accompagné par la musique symphonique de Myroslav Skoryk, doublée de plaintes lugubres des trembites, de glas de cloches et de guimbardes de bergers.
Présenté hors concours au Festival de Moscou en juillet 1965, le film reçut un accueil mitigé, pour ne pas dire hostile, et fut démoli par le critique moscovite Mikhaïl Bleiman. Les instances cinématographiques qui souhaitaient voir Paradjanov réintégrer le réalisme socialiste qualifieront cette œuvre d’expression du nationalisme ukrainien. Paradjanov avait notamment refusé de doubler le film en russe, car, selon lui, le doublage aurait été dévoyé, aurait vulgarisé le sens des mots et détourné la force des images. Néanmoins, ce film culte obtiendra un succès international en Occident, notamment en France. Il orientera la production ukrainienne vers un cinéma de qualité à consonance plus nationale qu’auparavant, mais restera un cas isolé dans l’histoire du cinéma ukrainien, accompli par une équipe de cinéastes trentenaires exaltés.



Lubomir Hosejko



Mardi 5 juin 2012, 19h

 

AU PRINTEMPS
(НАВЕСНІ)

copie restaurée en 2011
création et accompagnement musical d’Alexandre Kokhanovskyi
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Production : VOUFKOU, Studio de Kiev, 1929, 60 mn, nb, muet/musicalisé

Scénario : Mikhaїl Kaufman

Réalisation : Mikhaїl Kaufman

Photographie : Mikhaїl Kaufman

Musique : Alexandre Kokhanovskyi

Genre  : documentaire, ciné-poème



Synopsis

Réveil en douceur de la ville de Kiev à la sortie de l’hiver. Le printemps s’installe. La population envahit les rues et les stades dès les premiers rayons du soleil.


Opinion

Entré en conflit ouvert avec son frère Dziga Vertov dès la sortie du film L’Homme à la caméra, principalement pour des raisons esthétiques concernant la structure du film, Mikhaïl Kaufman tourne son propre documentaire, Au printemps, où l’on découvre le Kiev de 1929, ses habitants, leur quotidien, leurs pratiques sociales et religieuses, leurs loisirs, peu avant le grand tournant annoncé par Staline en décembre de la même année. L’opus s’inscrit en marge des symphonies urbaines (New York 1911 de Julius Jaenzon, Manhatta de Paul Strand et du peintre Charles Sheeler, Rien que les heures d’Alberto Cavalcanti, 24 heures en trente minutes de Jean Lods et Boris Kaufman, Moscou du même Mikhaïl Kaufman, L’Homme à la caméra de Vertov, Berlin, symphonie d’une grande ville de Walter Ruttmann) dont la particularité est de mettre en avant la foule, l’architecture et les moyens de transport et dont la trame diégétique se décline de l’aube à la nuit. Ici, cette trame s’étale sur un temps plus long et s’attarde sur un espace anthropologique régi par ses nouveaux rites. Si dans L’Homme à la caméra Vertov montrait des personnages à travers la ville et sa complexité, en revanche, dans son nouvel opus, Mikhaïl Kaufman les réduit à une échelle plus humaine tout en ne s’écartant pas des principes du manifeste des kinoks. Pour lui, le réalisateur stimule le tournage, certes, mais celui qui le réalise reste l’opérateur. Beaucoup moins chaotique sur le plan du montage, Au printemps est un ciné-poème qui porte un regard subjectif et contemplatif sur l’individu et ses sentiments, mais aussi sur une société voulue sans classes à la fin de la NEP. Contrairement à l’obsession de Vertov pour le machinisme, Kaufman livre, sans pourtant s’y soustraire totalement, une œuvre lyrique chargée de poésie vitaliste qui constitue une sorte d’hymne à la vie, à la lumière, à la joie de vivre. Les images aériennes de la ville de Kiev sous la neige, assez rares pour l’époque, et celles des faubourgs de la rive gauche du Dniepr inondés par la crue, sont d’une extrême beauté. Kaufman y insère des images tournées auparavant, ce qui lui vaut des accusations de plagiat de la part de Vertov. Il utilise souvent des objectifs à longue focale pour suivre les gens dans leurs déplacements, capter les visages d’enfants, et pour souligner le rôle important du deuxième et troisième plan. Avec parcimonie, il pratique la double exposition, l’accélération et le ralenti, le passage de l’image nette à l’image floue et l’inverse, l’arrêt sur image. Kaufman inclut aussi dans son film des images d’animation satirique, pour montrer que les rites anciens ne sont rien d’autre qu’un spectacle de marionnettes et de trucage. Les images du poisson ou du cochon, effrayés par la perspective d’être transformés en nourriture pour la fête de Pâques, restent désopilantes par rapport à l’esthétique du film. S’appuyant sur le montage dialectique, Mikhaïl Kaufman oppose les symboles de la société nouvelle aux symboles de la société ancienne – ainsi les images des sportifs à celles des ivrognes, la Fête du Premier mai, avec danses populaires et défilés du Komsomol, aux fêtes pascales. Plus accentuée que dans L’Homme à la caméra, l’ukrainisation de l’espace économique, social et culturel abonde sur les enseignes, les panneaux publicitaires, les signalétiques et autres slogans de propagande. Métaphorique, ce documentaire à message idéologique reste incompris du public et est taxé de biologisme par la critique.
Dans le cadre du cycle des performances Kolo Dziga, organisé par le Centre National Alexandre Dovjenko de Kiev à l’occasion du 90-ème anniversaire de la Direction Générale de la Cinématographie et Photographie d’Ukraine (VOUFKOU), une création musicale originale a été réalisée par le compositeur Alexandre Kokhanovskyi autour de ce documentaire récemment restauré. Deuxième film du cycle Kolo Dziga enregistré en live, Au printemp a été présenté en ciné-concert le 28 mars 2012, au Centre d’Art Contemporain de Kiev M 17.



Lubomir Hosejko



L’EXÉCUTION
(СТРАТА)
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Production : Institute of Screen Arts, Kiev, 2008, 8 mn 30, coul.

Scénario : Serhiї Martchenko

Réalisation : Andriї Martchenko

Photographie : Andriї Martchenko

Musique : Volodymyr Houba

Genre  : documentaire



Synopsis

Planté en 1937 face au 6 de la rue Zolotovoritska à Kiev, un érable est étêté puis abattu le 12 décembre 2007. Conçu d’après une idée de l’écrivain Ivan Dratch, ce film de fin d’études d’Andriї Martchenko est à la fois un film témoignage et un film témoin de l’espace arboré en milieu urbain. Il est à regretter que la technique du found footage n’ait pas été utilisée, sinon pensée, avec quelques plans du Kiev de 1937.



Lubomir Hosejko



Mardi 15 mai 2012, 19h

 

L’ENFANT
(ДИТИНА)
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Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, 1968, 20 mn, nb

Scénario : Mykola Machtchenko

Réalisation : Mykola Machtchenko

Photographie : Valeriï Kvas

Décors : Anatole Dobroleja

Musique : Arkadiї Filipenko

Son : Youriï Rykov

Inteprétation : Tania Ossyka, Volodymyr Frolov, Youriï Mykolaїtchouk, Uldis Putytis

Genre  : court métrage de guerre


Synopsis

Perdue pendant l’exode de 1941, une fillette est recueillie par des soldats soviétiques. Egarée à nouveau pendant une fusillade, elle se retrouve dans les bras d’un Allemand.

 

MARIAGE AVEC LA MORT
(ВІНЧАННЯ ЗІ СМЕРТЮ)
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Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, Studio XXI, 1992, 79 mn, coul.

Scénario : Ivan Dratch, Mykola Machtchenko, Mykhaïlo Tchernytchouk

Réalisation : Mykola Machtchenko

Photographie : Serhiї Bordeniouk

Décors : Yevhen Pitenine

Musique : Vadim Khrapatchov

Son : V. Soulimov

Montage : S. Roussetska

Directeur de production : V. Rybakov, R. Tychkovets

Inteprétation : Oleg Savkine, Heorhii Drozd, Heorhiї Moroziouk, Halyna Soulyma, Natalia Polichtchouk, Constantin Chaforenko, Loudmyla Tchyncheva, Heorhiї Melskyi, Andriї Alexandrovytch, Loudmyla Lohiїko, Victor Stepanenko, Olès Sanine, A. Hnatiouk, Alexandre Tcherniavskyi, S. Borovyk, O. Zatoutchnyi, V. Maїstrenko, O. Maїstrenko

Genre  : drame psychologique



Synopsis

Vers la fin des années 30, la terreur stalinienne sévit partout. Le jeune lieutenant Chtcherbakov reçoit l’ordre d’exécuter plusieurs ennemis du peuple dans une forêt. Egaré sur les lieux de l’exécution, un cortège nuptial assiste malencontreusement au massacre. Conformément aux instructions militaires, le lieutenant est contraint de liquider les témoins de la tuerie.


Opinion

Après 1991, année bénie où le secteur privé complétait les maigres subsides de l’État, la baisse progressive de la production cinématographique ukrainienne n’épargne pas le Studio Alexandre Dovjenko de Kiev qui livre péniblement 11 longs métrages. Loué aux Occidentaux ou sous-loué pour d’obscurs contrats commerciaux, le studio reste néanmoins le dernier refuge pour les quelques cinéastes qui prennent une position ouverte en faveur d’un cinéma national, et parmi eux Mykola Machtchenko et Alexandre Mouratov. Libéré de ses fonctions de directeur général du Studio Alexandre Dovjenko (installé depuis 1989, il continue de le diriger dans l’ombre en qualité de directeur artistique), Mykola Machtchenko signe, en 1992, Mariage avec la mort, sur un scénario original d’Ivan Dratch et de Mykhaïlo Tchernytchouk, un sujet sur le comportement tragique d’individus enrôlés par manipulation idéologique et même par la force dans le NKVD. Oleg Savkine interprète le rôle d’un lieutenant de l’Armée Rouge, qui a décidé de consacrer sa vie au service de l’État en larbin docile accomplissant n’importe quelle mission. Héros tragique, il approuve au nom de la morale suprême les exactions des organes de sécurité. Monté dans la hiérarchie, il deviendra, à son tour, chef de camp et recrutera pour les services, comme il fut lui-même recruté dans sa jeunesse. Véritable descente aux enfers parmi les morts-vivants, des images très dures de simulacres d’exécutions ponctuent ce film aux personnages négatifs, minés par le doute, les réticences, les scrupules (Oleg Savkine), et la cruauté sanguinaire (Heorhiї Drozd, le sergent). Heorhiї Moroziouk incarne l’unique personnage positif, le pope, qui au nom du Christ et de l’amour du prochain tente de s’interposer dans la tuerie. Machtchenko, auquel on a souvent reproché le sentimentalisme, livre un film dur, angoissant, sur la métamorphose de l’individu en machine à tuer. Mariage avec la mort se range aux côtés d’autres films de la même époque abordant le thème des persécutions et déportations staliniennes, tels Le Tango de la mort d’Alexandre Mouratov, Le Jardin de Gethsémani et Les Chasseurs de tigres de Rostyslav Synko, Le Convoi secret de Yaroslav Loupiї.
Mykola Machtchenko débuta dans les années 60 avec des films tournés en binôme. En 1966, il réalise seul un film consacré à l’enfance Partout le ciel. Il connaît aussi, dès cette année, les affres de la censure : Plus fort que la mort, d’après une nouvelle d’Olès Hontchar, est arrêté pendant le tournage et ne sera produit que 20 ans plus tard sous le titre L’Amour triomphe toujours. Son court métrage L’Enfant est considéré comme un exercice de style de l’opérateur Valeriï Kvas, plutôt que comme un film d’auteur. Réalisé d’après le récit éponyme d’Alexandre Serafimovitch, L’Enfant fut interdit à la fin des années 60 pour pacifisme. Une réalisation enlevée où l’innocence, la naïveté, l’amitié et l’humanisme, mais aussi la cruauté atteignent à l’universel. On y remarque l’interprétation du soldat soviétique par Youriï Mykolaїtchouk, dont ce sera la seule apparition à l’écran, hormis sa participation dans L’Oiseau blanc marqué de noir. Mykola Machtchenko s’est fait connaître surtout par Les Commissaires (1970), film culte du courant poétique de l’École de Kiev, dont il est l’un des derniers grands représentants.



Lubomir Hosejko



Jeudi 26 avril 2012, 19h


Séance dédiée à la mémoire de Mykhaïlo Biélikov, décédé le 28 mars 2012





MYKHAÏLO BIÉLIKOV
1940-2012

*****

 

LA DÉSINTÉGRATION
(РОЗПАД)
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Projection suivie d’une intervention de Nicolas Bilas, professeur de sciences appliquées


Production : Studio Alexandre Dovjenko, Peter O. Almond Productions, Pacific Film Fund, 1990, 102 mn, coul.

Scénario : Oleg Prykhodko, Mykhaïlo Biélikov

Réalisation : Mykhaïlo Biélikov

Photographie : Vassyl Trouchkovskyi, Alexandre Chyhaiev

Décors : Inna Bytchenkova, Vassyl Zarouba

Musique : Igor Stetsiouk

Son : Victor Loukachko

Inteprétation : Serhiї Chakourov, Tetiana Kotchemassova, Stanislav Stankevytch, Heorhiї Drozd, Oleksiї Serebriakov, Maryna Mogylevska , Oleksiї Horbounov, Mykyta Bouldovskyi, Anatoliï Hrochevoї, Natalia Plakhotniouk, Mykola Dossenko

Genre  : drame psychologique


Récompenses : Médaille d’Or du Président du Sénat italien au Festival International de Venise, 1990 ; Grand Prix au Festival International du film écologique de Santander, 1990


Synopsis

Alexandre Jouravlov est journaliste à Kiev. Carriériste à tous crins, il est à la recherche du scoop qui lui permettra de décrocher le poste de rédacteur en chef. Il décide de planter le drapeau rouge sur le toit du quatrième bloc de la centrale nucléaire de Tchornobyl, jonché de débris hautement radioactifs. Pour accomplir cet acte de folie héroïque, il offre son épouse à Chouryk, un jeune communiste en vue, en échange du laissez-passer indispensable pour entrer dans la zone interdite.


Opinion

Première grande fiction consacrée relativement tôt à la catastrophe nucléaire de Tchornobyl, La Désintégration de Mykhaïlo Biélikov s’inscrit dans la liste des films qui jettent un regard impitoyable sur l’actualité. Le titre du film parle de lui-même. Au-delà des radiations, le film traite de la désintégration de toute une société et d'un système qui bientôt s’effondrera. Par un curieux raccourci de l’Histoire, deux mois avant l’explosion d’un des réacteurs de la Centrale de Tchornobyl sortait Lettres d’un homme mort du cinéaste russe Constantin Lopouchanski, un film-avertissement de science-fiction politique qui racontait la vie sous terre après une catastrophe nucléaire, due à l’erreur d’un ordinateur. À Kiev, jouant la transparence de la perestroïka, on pense très vite à un scénario proposé par l’écrivain Volodymyr Yavorivskyi, Marie de Tchornobyl, puis on fait venir de Moscou les deux plus grands scénaristes de la stagnation, Edouard Volodarski et Valentin Tchernykh auxquels se joignent Youriï Chtcherbak et Mykhaïlo Biélikov. Mais c’est le scénario d’Oleg Prykhodko qui est définitivement choisi. Bien que réalisé dans l’esprit et avec la méthode habituels – alchimie de fiction, chronique et reportage -, le film n’est ni un film-catastrophe, ni une enquête sociométrique sur la fracture politique et humaine qui va s’opérer dans la population tout entière, mais une révélation cathartique tranchant dans le vif, au-delà de la douleur, du temporel.

Le drame personnel et familial que vit le couple en train de se désintégrer est entrecoupé d’épisodes authentiques épars autour de la cité-dortoir de Prypiat. Espérant retrouver sa mère, un enfant revient en courant dans la ville vidée de sa population. De jeunes mariés passent leur lune de miel dans la zone dosimétrée par des hommes portant des combinaisons intégrales et des masques. Prostré, un médecin constate l’ampleur du désastre. À l’aéroport de Kiev, des pontes du Parti viennent accompagner leur progéniture dans des limousines noires. Aux vues d’ensemble aériennes et aux scènes de panique dans les gares succèdent des contrechamps métaphoriques, propres au cinéma des années soixante : œufs peints radioactifs, office liturgique pascal à l’heure de l’apocalypse, cigogne morte trouvée par la jeune mariée après la nuit de noces. Le réalisateur met l’accent sur les petits mensonges que le couple raconte au vieux père, faisant l’écho à la langue de bois des officiels qui s’obstinent à nier la gravité du moment et contraignent la télévision à diffuser imperturbablement une course cycliste et les préparatifs du défilé du Premier Mai.

Pour ce film de commande sociale, le Derjkino octroie un million de roubles (six cents mille dollars de l’époque) que Biélikov restitue grâce à un emprunt auprès d’un organisme caritatif et à un partenariat avec l’étranger. Le réalisateur, lui-même président de l’Union des cinéastes d’Ukraine, prend contact avec Peter Almond de San Francisco qui prospecte à Kiev en vue de futures coproductions. Impressionné par le projet de son interlocuteur, Peter Almond prend en charge avec Suzanne O’Connel du Pacific Film Fund les coûts de la post-production en invitant Biélikov et son équipe aux USA. La Désintégration devient le premier exemple de joint-venture américano-ukrainien dans le secteur cinématographique : le mixage est réalisé au George Lucas’ Skywalker Ranch, à Marin Country, et les tirages des copies à San Francisco. Les droits d’exploitation sont répartis entre Biélikov et les Américains qui se réservent la part du lion – la distribution internationale. Le 16 juillet 1990, la souveraineté étatique de l’Ukraine est proclamée. En septembre, au Festival de Venise, Biélikov reçoit la Médaille d’Or du Président du Sénat italien, mais son film n’est pas sélectionné pour le Festival d’Odessa, contrôlé par la nouvelle Association du cinéma indépendant et envahi par des films de plus en plus noirs.



Lubomir Hosejko



Mardi 3 avril 2012, 19h

 

PILSUDSKI SOUDOYA PETLURA
(ПКП – Пілсудський Купив Петлюру)
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Ciné-concert







 

Production : VOUFKOU, Studio d’Odessa, 1926, 68 mn, nb, muet

Scénario : Hryhoriї Stabovyi, Alexandre Lifchyts

Réalisation : Axel Loundine, Hryhoriї Stabovyi

Photographie : Marius Goldt, Fédir Verygo-Darovskyi, Heorhiї Drobine, I. Houdyma

Décors : Solomon Zarytskyi, S. Khoudiakov

Inteprétation : Mykola Koutchynskyi, Youriї Tioutiounnyk, Natalia Oujviї, Ivan Kapralov, Mykola Nademskyi, Boris Zoubrytskyi.

Genre  : drame historique


Accompagnement au piano - Myron Mytrovytch, pianiste à l’Opéra de Paris


Synopsis

Au début des années 20, l’otaman Simon Petlura cède l’Ukraine occidentale à la Pologne. Le pays est pillé. Des convois interminables partent vers l’Ouest avec sucre, céréales, produits manufacturés, bientôt attaqués par la cavalerie rouge de Kotovsky. Défaite, l’armée ukrainienne est internée dans des camps sur le territoire polonais. Siégeant à Tarnów, le gouvernement en exil continue d’entretenir des liens avec ses partisans en Ukraine dans le but de fomenter un ultime soulèvement populaire contre les Soviets. Avec une petite armée mal équipée, l’otaman Yourko Tioutiounnyk se lance en plein hiver dans un raid à travers l’Ukraine. S’enfonçant dans les lignes ennemies, il est pris au piège. La conspiration déjouée, l’aventure nationaliste est liquidée à l’issue de la bataille de Bazar. Tioutiounnyk réussit à s’enfuir vers la Pologne.


Opinion

Dans le but de stigmatiser et de ridiculiser les milieux indépendantistes ukrainiens ainsi que leur chef Simon Petlura, les autorités soviétiques passent, en 1925, une commande appropriée à la VOUFKOU - la réalisation d’un agitfilm intitulé Pilsudski Soudoya Petlura (Пілсудський Купив Петлюру). Le scénario est conçu par Alexandre Lifchyts et Hryhoriї Stabovyi, la mise en scène confiée à Axel Loundine, puis à Hryhoriї Stabovyi. Considéré à l’époque comme réalisateur majeur du Studio d’Odessa, Piotr Tchardynine persuade l’ex- général petlouriste Youriї Tioutiounnyk d’incarner son propre personnage dans le film. Deux ans auparavant, en juin 1923, ce dernier avait décidé de rejoindre secrètement l’Ukraine Soviétique pour diriger un nouveau soulèvement contre les Bolcheviques, mais il fut arrêté aussitôt après avoir franchi le Dniestr. Contraint de collaborer avec le pouvoir communiste, Tioutiounnyk travaillera comme instructeur militaire, puis comme scénariste à la VOUFKOU, notamment sur le film d’Alexandre Dovjenko Zvenyhora. Arrêté de nouveau en 1929, il sera fusillé en octobre 1930 à Moscou.
Annoncé à grand renfort de publicité, le film sortit sur les écrans le 28 septembre 1926, quatre mois après l’assassinat de Petlura à Paris, et près d’un an avant le procès de Samuel Schwartzbard. Le destin de ce film fut atterrant. Montré initialement dans sa totalité, puis remonté, passant de 3421 à 2500 mètres, il fut amputé de sa quatrième partie, probablement celle où se déroulaient les pogromes. Le film fut envoyé en France et en Allemagne dès la fin de 1927, à l’issue du procès Schwartzbard. Quelques années plus tard, il sera totalement interdit. La raison invoquée était que certains des personnages du film avaient subi entre temps des répressions ou avaient été liquidés, le général Tioutiounnyk en premier. Le chef de la cavalerie rouge Grigory Kotovsky, qui avait donné, lui aussi, son accord pour s’auto-interpréter dans le film, fut mystérieusement tué peu avant le tournage, en août 1925, et remplacé par le comédien Boris Zoubrytskyi. Mais le remontage du film résultait essentiellement du fait que l’exemplarité du procès Schwartzbard (pendant la guerre civile, Schwartzbard avait été responsable d’une brigade spéciale de cavalerie juive sous les ordres de Kotovsky dans le sud de l’Ukraine) tenait moins au verdict qu’à la spécificité de l’événement, notamment à la question de l’antisémitisme présumé de Petlura et de sa responsabilité dans les pogromes. Le procès avait été suivi par le journaliste Bernard Lecache, qui avait été envoyé en Ukraine par le fondateur du journal Le Quotidien, Henri Dumay, pour enquêter sur ces pogromes. Au terme de trois mois d'enquête, Lecache publia les résultats de son enquête en février et mars 1927. Son récit parut sous forme de témoignage dans un livre intitulé Quand Israël se meurt. Au pays des pogromes. Lecache raconta que, pendant son séjour à Kharkiv, il avait eu une entrevue avec la direction de la VOUFKOU, notamment avec le scénariste Alexandre Lifchyts. Après avoir visionné durant six heures trois longs métrages ayant pour thème la guerre civile en Ukraine - P.K.P., La Tragédie de Trypillia, L’Animal des bois -, Lecache demanda à voir Tioutiounnyk. Il le vit effectivement, mais n’obtint de lui qu’un mutisme total, contrairement à l’ancien ministre petluriste aux Affaires juives Pinkhas Krasnyi qui venait de solliciter une rencontre avec le journaliste français dans le but d’accabler Petlura et d’obtenir sa propre réhabilitation aux yeux de l’humanité. Krasnyi assura Lecache qu’il se libérerait de ses obligations, si l’avocat Henry Torrès l’appelait à la barre au procès Schwartzbard. Bien qu’amnistié par les Soviets, Tioutiounnyk était constamment sur ses gardes. Méfiant, il devina que Lecache allait livrer des témoignages accablants sur les pogromes et donc lier son nom à Petlura. Quant aux autorités soviétiques, qui elles-mêmes avaient pris part aux pogromes, elles avaient tout intérêt à supprimer les scènes compromettantes, ce qui se confirmera tout au long de l’histoire du cinéma soviétique. La dramaturgie du film, qui suggérait les paysans ukrainiens à décrypter l’abréviation PKP (Polskie Koleje Państwowe - Chemins de fer polonais) en Pilsudski Soudoya Petloura (Пільсудський Купив Петлюру), déroulait un récit basé sur des faits historiques en tableaux, certes, raisonnés, mais coulé dans un moule au concept hideux, montant les spectateurs ukrainiens les uns contre les autres. Les innombrables coupures opérées par séquences entières livraient une vision parfois chaotique, difficile à suivre. On ne sait qui tirait sur qui, d’incessantes cavalcades et courses-poursuites altéraient le fil conducteur du sujet, son rythme et sa cohérence narrative. Cependant, l’intérêt de ce film résulte de la distribution et, a fortiori, de la mise en situation scénique de l’acteur. On y découvre Yourko Tioutiounnyk en chair et en os dans des scènes entièrement reconstituées, très proches du documentaire, notamment celles tournées dans le cercle des officiers supérieurs polonais. Le rôle de Petlura (sur l’affiche du film Petlura est représenté en compagnie de femmes dévoyées) est tenu par l’acteur Mykola Koutchynskyi, un véritable sosie, remarqué sur le plateau du film Benia Kryk en cours de réalisation. En 1928, Koutchynskyi interprétera le rôle de Petlura dans Arsenal de Dovjenko, mais la scène dans laquelle il apparaissait sera censurée. La jeune débutante Natalia Oujviї, dont le nom défile au générique de plusieurs films produits cette année-là, incarne le personnage de la belle espionne Gala Dombrowska. Dans l’épisode de beuverie dans le bar américain à Tarnów, on croit discerner, l’espace d’une fraction de seconde, le visage hilarant d’Alexandre Dovjenko accoudé au zinc. Le jeune cinéaste jugera quelques années plus tard ce film plus que médiocre, compte tenu de son passé dans l’Armée de Petlura et de sa volonté affirmée de se démarquer de Tioutiounnyk. Quant à l’Histoire, ce Second raid hivernal de l’Armée Nationale Ukrainienne se termina de manière tragique près de la petite bourgade de Bazar, au nord-ouest de Kiev. Encerclés par la cavalerie rouge, 358 soldats y furent fusillés. Tioutiounnyk se replia avec les restes de son armée et s’enfuit vers la Pologne, grâce à un chef d’escadron de la cavalerie de Kotovsky, un Cosaque du Kouban qui avait sympathisé avec les Ukrainiens et qui ne lui bloqua pas le passage d’un pont sur la rivière Zvizdal. La scène finale de l’exécution des insurgés a-t-elle été incluse dans le scénario, enregistrée par l’opérateur, censurée au montage ? La copie existante laisse croire, tant aux historiens qu’aux spectateurs, qu’elle a été volontairement éludée par les commanditaires et les auteurs du film, puisque les 358 fusillés de la bataille de Bazar faisaient déjà à l’époque l’objet d’un véritable culte dans toute l’Ukraine. Ignoré pendant 80 ans, cet incunable du cinéma muet ukrainien à de nouveau été projeté le 1er novembre 2007 à Kiev dans sa version non restaurée. Il servira de matériau iconographique au documentaire Opération Tioutiounnyk, réalisé par Natalia Barynova pour la Première chaîne de la télévision ukrainienne en 2009.



Lubomir Hosejko



Mardi 6 mars 2012, 19h

 

MARS FROID
(ХОЛОДНИЙ БЕРЕЗЕНЬ)
vostf


En présence du réalisateur et avec le concours d’Arkeion Films







 

Production : Studio d’Odessa, 1987, 102 mn, coul.

Scénario : Alexandre Gorokhov

Réalisation : Igor Minaiev

Photographie : Volodymyr Pankov

Décors : Anatoliï Naoumov

Musique : Anatoli Dergatchev

Inteprétation : Maxime Kisselev, Andrei Toloubeiev, Loudmyla Davydova, Mykola Tokar, Andriї Loubimov, Igor Aitov, Mykola Bandouryn, Dima Smirnov, Volodia Golovaniov, Anton Minaiev, Serhiї Bourtiak, Natalia Ostrikova, Olga Petrenko, Gleb Sochnikov, Igor Yefimov

Genre  : comédie dramatique

Récompense : Prix de la Meilleure réalisation au Festival Pansoviétique en 1988


Synopsis

Un adolescent arrive dans une petite ville de province pour y faire ses études dans une école technique. Dans l’internat dirigé par un directeur tolérant, respectueux du corps enseignant et de ses élèves, l’ambiance générale tourne très vite au vinaigre. Une classe ayant formé un clan tient tête aux profs.


Opinion

Repéré dès son film de fin d’études La Mouette, Igor Minaiev apparaît comme un cinéaste exigeant, mûr pour de solides projets. Mais sa carrière semble compromise à la suite d’un court métrage réalisé pour la Mosfilm, L’Horizon argenté, d’après un récit d’Eugène Houtsalo, vite rangé dans un tiroir. Le Studio d’Odessa lui offre une seconde chance en 1985 pour un autre court métrage, Le Téléphone. Privé du droit d’exercer pleinement son métier, Minaiev attendra 1987 pour tourner son premier long métrage, Mars froid, l’année où la Commission des conflits auprès de l’Union des cinéastes de l’URSS décide de réhabiliter les œuvres mises au placard. Ce film et celui qui suivra, Rez-de-chaussée, dans lesquels il incarne parfaitement l’esprit de la perestroïka, lui vaudront deux sélections à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes, en 1988 et 1990. Issu d’une génération arrêtée en plein élan, Minaiev revendique son appartenance à un courant traditionnel, nourri des exemples de la Nouvelle vague française, des premiers grands films de Tarkovski ou de Kontchalovski, et considère la dissidence comme un concept purement esthétique.

Mars froid est l’histoire saisissante d’un directeur d’école technique et de ses élèves, dont certains délinquants ont été liés au milieu criminel. Comme pour la plupart des premiers films, le scénario avait été imposé par la direction du Studio d’Odessa, mais Minaiev réussit à changer cette comédie en drame, en la remaniant de fond en comble, ce qui quelques années auparavant aurait été considéré comme un acte subversif. Le film s’interroge sur les bienfaits de la méthode d’autogestion des élèves à l’aune du système pédagogique d’Anton Makarenko et de son approche portant sur la sensibilisation des élèves aux relations humaines. L’établissement n’est pas une maison de redressement destinée à réinsérer des mineurs posant des problèmes de discipline et de petite délinquance, plutôt une institution dont le fonctionnement est basé sur l’autogestion et un style de vie facilitant les expériences et les changements. À travers un récit riche en séquences, le réalisateur livre une caricature du système pédagogique soviétique, à commencer par l’inévitable séance du bizutage du nouveau venu. L’adolescent vient étudier dans l’établissement dans le seul but de retrouver sa petite amie, elle-même dans un internat de jeunes filles tout proche, et de la demander en mariage. Le relâchement général ambiant est dû au rapport de forces existant entre le personnel éducatif et l’ensemble d’une classe formant un clan, une équipe, dont le principe est basé sur la solidarité, la non-dénonciation, le rejet de tout accommodement. Le caractère du directeur est apparemment conciliant, mais au fur et à mesure que les événements changent en défaveur de l’institution, il s’affermit. Il menace de livrer à la justice l’élève Zintchenko qui a commis un méfait et est accusé de vol de magnétos. En revanche, son collègue Nicolas Mykytiouk, dont le rôle est superbement interprété par Mykola Tokar, est un véritable maître charismatique, éducateur sympa parfois spartiate, allant même jusqu’à braver l’inspection académique. La séquence de l’excursion des élèves à Poltava, pendant laquelle une éducatrice inspirée fait l’éloge de Pierre le Grand à la bataille de 1709 contre les Suédois, est révélatrice de la mentalité pédagogique de l’époque. Cependant, les élèves ne se bousculent pas face au monument, et ne pensent qu’à draguer des lycéennes présentes. Si on la compare à une séquence semblable dans le film Le Pissenlit en fleur d’Alexandre Ihnatoucha, tourné cinq ans plus tard, cette ballade touristique reste quelque peu décalée, sans pour autant heurter la fierté grand-russienne. Sur le plan technique, où l’on découvre sa passion pour les effets de lumière, le réalisateur émaille volontiers le film de fermetures et d’ouvertures à l’iris, technique délaissée, mais pas obsolète pour une comédie dramatique crânement réalisée.



Lubomir Hosejko



Mardi 7 février 2012, 19h

 

AU DEVANT DU RÊVE
(МРІЇ НАЗУСТРІЧ)
vostf









 

Production : Studio d’Odessa, 1963, 64 mn, coul.

Scénario : Olès Berdnyk, Ivan Bondine, Mykhaïlo Karioukov

Réalisation : Mykhaïlo Karioukov, Otar Koberidze

Photographie : Olexiї Herassymenko

Décors : Youriї Chvets, Oscar Feltsman, Vano Mouradeli

Musique : Edouard Artemiev

Son : Edouard Hontcharenko

Inteprétation : Nicolas Timoféiev, Otar Koberidze, Laryssa Hordeїtchyk, Boris Borissionok, Nicolas Volkov, P. Chmakov, Alexis Guenesine, Léonid Tchinidjants, Semen Kroupnyk, Oleksiї Korotioukov, Viatcheslav Voronine, Vitold Janpavlis, Peter Kadr, Vassyl Viekchyn

Genre  : fantastique, anticipation


Synopsis

Après avoir entendu un chant venu de la Terre, les habitants de la planète Centuria décident d’y envoyer un vaisseau spatial, proposant ainsi la première rencontre intergalactique. Mais le vaisseau subit une avarie sur Phobos, une lune de Mars. Les Terriens entreprennent alors une périlleuse mission de secours pour aller à la rencontre des extraterrestres. Mais le vol se complique, une seconde mission part ravitailler le vaisseau.


Opinion

Sorti sur les écrans deux ans après l'expédition de Youri Gagarine, Au devant du rêve de Mykhaïlo Karioukov et Otar Koberidze est le second film de science fiction du cinéma ukrainien, quatre ans après Le Ciel appelle, réalisé par le même Mykhaïlo Karioukov en binôme avec Alexandre Kozyr. Projectionniste de formation puis opérateur spécialisé dans le domaine des effets spéciaux, Mykhaïlo Karioukov ne livra que ces deux longs métrages en tant que réalisateur sur la fin de sa carrière. Deux œuvres mythiques alliant fascination pour la technologie et poésie, réalisées dans des décors futuristes splendides. L’une et l’autre doivent beaucoup au décorateur Youriï Chvets qui, à travers des trucages mécaniques et des maquettes au rendu très réaliste, privilégia une vision particulièrement soignée des reliefs planétaires, ainsi qu’à l’ingénieur du son Edouard Hontcharenko, dont le travail fut considéré comme avant-gardiste. Le scénario de Au devant du rêve n’est autre que l’adaptation du récit d’anticipation Le Cœur de l’univers d’Olès Berdnyk, auteur populaire de romans de science fiction et futur dissident, co-fondateur du Groupe ukrainien de Helsinki. À cette époque, l’URSS et les USA se livrent à une compétition sans merci dans la course à l’espace. La rivalité culturelle, notamment dans le domaine du Septième art, est à l’image de cet enjeu. Dans le cas de Au devant du rêve, les cosmonautes soviétiques ne se déroutent pas pour sauver des astronautes américains en détresse, mais pour une rencontre intergalactique avec des habitants d’une planète inconnue. Face à des scientifiques sceptiques, ils apparaissent ici comme des sauveurs de l'Univers prodiguant un message pacifiste. Bien qu’il tende au space-opéra regorgeant de séquences spatiales contemplatives, ce film détonne par l’absence totale de l’apesanteur. À la lecture des scénarios, les analogies entre les films de science-fiction soviétiques et américains paraissent évidentes. Il est vrai que le cinéma hollywoodien s’empara ouvertement des films ukrainiens L’Appel du ciel et Au devant du rêve de Mykhaïlo Karioukov, comme de ceux du cinéaste russe Pavel Klouchantsev. Le producteur Roger Corman, spécialiste du recyclage des films soviétiques, acheta les droits dans le but de les adapter au goût du public américain. C’est ainsi que le débutant Francis Ford Coppola réalisa la version américaine de L’Appel du ciel en ajoutant même des monstres martiens (Battle Beyong the Sun - La Bataille au-delà du soleil), et que Curtis Harrington reformata Au devant du rêve (La Planète de sang - Planet of Blood). Par ailleurs, on note des ressemblances flagrantes dans Alien de Ridley Scott avec Au devant du rêve: les cosmonautes découvrent un vaisseau extraterrestre échoué en plein désert martien et pénètrent dans l’aéronef. Dans les deux films, la découverte se fait de la même manière. Vêtus de leur combinaison, les équipages se dirigent vers l’épave. Des caméras intégrées filment de manière subjective ce qu’ils voient. Les explorateurs s’engagent à bord du vaisseau à travers un couloir aux apparences de boyau puis pénètrent dans une grande pièce circulaire où siège au centre une extraterrestre figée aux étranges commandes de son engin. Dans Au devant du rêve, l’alien centurian se révèle être une charmante spationaute, et non plus une créature humanoïde fossilisée. En pleine tempête, l’équipage l’évacue, mais faute de place dans le vaisseau terrien, un des humains se sacrifie pour qu’elle survive. Otar Koberidze qui fait ses premiers pas de metteur en scène interprète ici le rôle du cosmonaute se sacrifiant. Dans son ensemble, le cinéma ukrainien a produit des films de science fiction de manière épisodique. On retiendra Sous la constellation des Gémeaux (1978) et Mission stellaire (1982) de Boris Ivtchenko, Le Retour de l’orbite (1983) d’Alexandre Sourine. On s’étonnera aussi qu’aucun des romans des spécialistes du genre, comme Volodymyr Vladko, Dmytro Bouzko, Mykola Dachkiev et notamment Vassyl Berejnyi, ne fut porté à l’écran.



Lubomir Hosejko



Mardi 10 janvier 2012, 19 h

 

Cinéma d’animation ukrainien contemporain



LE TRAMWAY n° 9 (ЇХАВ ТРАМВАЙ НОМЕР 9)





 

Production : Ukranimafilm, 2002, 10 mn, coul.

Scénario et réalisation : Stepan Koval.


Synopsis

Le tram n°9 parcourt la ville en bringuebalant. C’est l’heure de pointe, des gens montent, d’autres descendent. Des conversations s’engagent et s’interrompent. On parle du feuilleton télévisé de la veille, des problèmes de santé, des glorieux souvenirs de combats, du prix du poisson sous le régime soviétique et des impondérables du présent. Il est bientôt six heures, et les voyageurs ne sont toujours pas arrivés chez eux.



PANTOMIME POUR TROIS ACTEURS (П’ЄСА ДЛЯ ТРЬОХ АКТОРІВ)

 

Production : Ukranimafilm, 2004, 10 mn, coul.

Scénario et réalisation : Alexandre Chmyhoun


Synopsis

Histoire émouvante de la façon dont la véritable amitié peut aider à surmonter les plus cruelles adversités de la vie.



COMMENT LES COSAQUES JOUAIENT AU FOOTBALL (ЯК КОЗАКИ У ФУТБОЛ ГРАЛИ)





 

Production : Kievnaoukfilm, 1970, 18 mn 30, coul.

Scénario et réalisation : Volodymyr Dakhno


Synopsis

Après s’être préparée en vue du championnat du monde de football, l’équipe nationale cosaque affronte les équipes allemande et française. Puis vient la finale contre les Anglais au stade de Wembley, sous la pluie…



COMMENT LES COSAQUES LIBÉRÈRENT LEURS FIANCÉES (ЯК КОЗАКИ НАРЕЧЕНИХ ВИЗВОЛЯЛИ)





 

Production : Kievnaoukfilm, 1973, 19 mn, coul.

Scénario : Volodymyr Kapoustian

Réalisation : Volodymyr Dakhno


Synopsis

Enlevées par des pirates, de jeunes femmes sont emmenées sur une île. Les Cosaques décident de partir à leur recherche à travers plusieurs pays du bassin méditerranéen.




LES PINSONS ET LES AUTRES (ЗЯБЛИКИ ТА ІНШІ)

 

Production : Ukranimafilm, 2001, 6 min. nb

Scénario et réalisation : Anatoliї Lavrenychyn


Synopsis

Sur une branche, un chœur d’oiseaux s’égosille. Mais certains brillent mieux que d’autres.



NEXT (НАСТУПНИЙ)

 

Production : Ukranimafilm, 2003, 3 min. 30, nb.

Scénario et réalisation : Anatoliї Lavrenychyn


Synopsis

Un bourreau s’affaire devant sa guillotine. Une file discontinue de condamnés attend son tour. Soudain, le couperet se coince. Le bourreau se fait malencontreusement trancher la tête.



ÉTERNITÉ ÉPHÉMÈRE (ОДНОРАЗОВА ВІЧНІСТЬ)

 

Production : Ukranimafilm, 2002, 10 mn. coul.

Scénario et réalisation : Mykhaïlo Illienko


Synopsis

Film composé de dix histoires courtes, plus absurdes les unes que les autres. Du Pôle Nord au Pôle Sud, elles font le tour du globe tel un boomerang.



KOMPROMIX (КОМПРОМІКС)

 

Production : Ukranimafilm, 2002, 5 mn. 30, nb.

Scénario et réalisation : Yevhen Syvokin


Synopsis

Variation sur le noir et le blanc, les forces du bien et du mal.



WEEK-END (УІК’ЕНД)

 

Production : Faculté du cinéma et de la télévision, Ukranimafilm, 1998, 5 mn, coul.

Scénario et réalisation : Evhenia Ilmenska


Synopsis

L’amitié nouée un jour de printemps entre un petit garçon et un chien s’éteint subitement. La nature du chien, accablé de tristesse, se transforme bientôt.




MARC DE CAFÉ (CAFÉЙНА ГУЩА)

 

Production : Faculté du cinéma et de la télévision, Ukranimafilm 1998, 6 mn 30, coul.

Scénario et réalisation : Alexandra Ilmenska


Synopsis

Assis à la même table dans un bar, un homme et une femme semblent s’ignorer, mais pensent tous deux à la même chose, les yeux fixés sur le marc de café qui se répand sur la table.



Opinion

Le cinéma d’animation ukrainien, à qui Viatcheslav Levandovskyi donna ses lettres de noblesse en 1927 avec Le Petit taureau de paille, s’est distingué tout au long du XXème siècle comme un art à part entière dans la production cinématographique soviétique. Les réalisateurs Hyppolite Lazartchouk, Yevhen Horbatch, Dmytro Tcherkaskyi, Nina Vassylenko, Iryna Hourvytch, Alla Gratchova, Yevhen Proujanskyi, Volodymyr Dakhno et Yevhen Syvokin ont livré des œuvres de qualité, tels Mykyta Kojoumiaka, Parasolka, Les Aventures du Cosaque Enée, Maroussia Bohouslavka, Les Aventures du capitaine Vrungel, L’Ile au trésor, Docteur Aїbolyt, etc. On retiendra surtout l’incontournable série des Cosaques, dont Volodymyr Dakhno a été le grand concepteur pendant près d’un quart de siècle. Décédé en 2006 dans l’anonymat le plus complet, il fut considéré comme le chef de file du cinéma d’animation ukrainien. Dernier rescapé des grands maîtres de l’animation, son collègue Yevhen Syvokin reste quant à lui le mentor de la nouvelle génération. Cependant, Syvokin garde ses distances avec les nouvelles technologies numériques, dont les phases artistiques de pré-production s'effectuent moins à la main que sur des logiciels. Admirateur de l’œuvre de Walt Disney, qui en son temps influença l’animation ukrainienne, Syvokin fait de la résistance. Ses techniques restent conventionnelles : papier, cellulo, sable, pâte à modeler, figurines, etc. Il ne réalise que 6 à 7 secondes de film utile par journée de travail. Dans Kompromix, il utilise comme médium le sel et la poussière de charbon, (technique du sablage qui remonte à Man Ray). Pendant les années 90, le cinéma d’animation en Ukraine avait pratiquement disparu. Au Studio Ukranimafilm (antérieurement Kievnaoukfilm), des quelque 200 artistes, seuls 20 restèrent, livrant deux ou trois films par an. La plupart des cinéastes intégrèrent des studios privés ou partirent à l’étranger. Syvokin lui-même partit travailler quelques temps en Bulgarie et en Pologne. Alexandre Boubnov travailla en France. Serhiї Kouchnariov se fixa aux Etats-Unis (il travailla notamment sur la série Shrek), Igor Kovalov à Los-Angeles. Au début des années 2000, Mykhaïlo Illienko, qui jusqu’alors ne réalisait que des longs métrages de fiction, alla tâter de l’animation avec Eternité éphémère, une série de miniatures, marqués d’élucubrations folkloriques. Des jeunes réalisateurs, seul Stepan Koval décrocha une haute distinction internationale (Ours d’Argent au Festival de Berlin en 2003 pour Le Tramway n°9 (technique de la pâte à modeler), une très belle fable sur la société ukrainienne dépeinte à travers la représentation microcosmique de ses transports en commun. Toujours dans cette même technique, Stepan Koval a généré la série Mon pays – l’Ukraine, un florilège de 26 courts métrages de trois minutes racontant l’histoire des villes et les régions sur un mode divertissant et pédagogique. Pour ses débuts, Anatoliï Lavrenyshyn, élève de Syvokin, s’inspire d’un graphisme épuré dans Next ou d’une mise en image rappelant les Shadocks dans Les Pinsons et les autres. Quant à Yevhenia et Alexandra Ilmenska, elles utilisent le crayon de couleur : Marc de café reste un exemple époustouflant de ce que peut traduire un story-board au rythme du tango sur le thème du subconscient et de la réalité. L’animation en volume, la plus ancienne des techniques qui connut ses grandes heures pendant la période soviétique, reste toujours présente, mais cette fois-ci, mêlant les marionnettes traditionnelles et le numérique. Représentée par Alexandre Chmyhoun avec Pantomime pour trois acteurs, elle restitue une superbe fluidité des personnages se mouvant dans des décors grand-guignolesques. Jusqu’à la récente crise internationale, le cinéma d’animation ukrainien n’a dû sa survie qu’aux maigres subsides de l’État et grâce au concours qu’il apporte aux studios américains ou français. Les studios privés Borysthène ou Novator-Film représentent à eux seuls plus de la moitié de la production nationale des films d’animation.



Lubomir Hosejko



Mardi 6 décembre 2011, 19 h

 

NOUS ÉTIONS SI JEUNES
(ЯКІ Ж БУЛИ МИ МОЛОДІ)
vostf





 

Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, 1985, 84 mn, coul.

Scénario : Mykhaïlo Biélikov .

Réalisation : Mykhaïlo Biélikov

Photographie : Vassyl Trouchkovskyi

Décors : Olexii Levtchenko

Musique : Youriï Vynnyk

Son : Anatole Tchornootchenko

Montage : Natalia Akaiomova

Directeur de production : Mykhaïlo Kostioukovskyi

Inteprétation : Taras Denyssenko, Olena Chkourpelo, Nina Charolapova, Alexandre Pachoutine, Alexandre Svyrydovskyi, Anatole Loukianenko, Tetiana Kravtchenko, Mykhaïlo Kokchenov

Genre  : mélodrame


Récompenses : Prix d’État Taras Chevtchenko en 1986 à Mykhaïlo Biélikov, Vassyl Trouchkovskyi, Olexii Levtchenko ; Premier Prix au Festival Pansoviétique à Alma-Ata en 1986 ; Prix du Comité d’État pour la cinématographie d’Ukraine et diplôme à l’opérateur Vassyl Trouchkovskyi ; Prix de l’Union des cinéastes d’Ukraine, Prix du public, Prix du meilleur rôle masculin à Taras Denyssenko au Festival Molodist en 1985.


Synopsis

Youlka et Sachko se connaissent depuis l’enfance. Pendant la guerre, Youlka avait bu un verre d’eau contenant du phosphore qu’elle avait pris pour du lait. L’amour naissant pour Sachko, qui vient de décrocher son premier boulot, la distrait de sa maladie, la leucémie. Bientôt, ils se marient sans perdre l’espoir d’une guérison. Malgré les recommandations des médecins, Youlka donne naissance à un bébé et promet à Sachko qu’elle va vivre.


Opinion

Réalisé en 1985, Nous étions si jeunesde Mykhaïlo Biélikov s’inscrit dans les œuvres sortant de l’ornière du cinéma brejnévien à quelques encablures de la perestroïka. Le style de ce film d’auteur est manifestement à l’opposé des mélodrames médiocres qui envahissaient de plus en plus les écrans. Tout en empruntant les trajectoires narratives classiques et neutralisant les passions idéologiques, le metteur en scène laisse courir son esprit créatif. Avec des images simples, non explétives, Biélikov filme le cours quotidien de la vie, les foyers d’étudiants, les premiers postes de télévision, les bals populaires dans les parcs publics, la vie dans les appartements communautaires régulée par une éthique de la solidarité et du partage. L’action se situe du début du dégel khroutchévien jusqu’au premier vol cosmique de Gagarine, le jour où Youlka mettra au monde un enfant. Pour cette œuvre de qualité montrant les séquelles physiques et psychologiques de l’après-guerre, Biélikov confia le rôle de Sachko au jeune premier Taras Denyssenko. Il sera la grande révélation du film d’Andriї Dontchyk, Anoxie (1991), et deviendra un acteur populaire dans les années 90. Sa partenaire Olena Chkourpelo, actrice de théâtre, ne réapparaîtra à l’écran qu’en 2010 dans le film russe de Youri Schiller, Le Moineau.
Connu en Occident pour La Désintégration (1990), la première fiction prenant pour thème la catastrophe de la Centrale nucléaire de Tchornobyl, Mykhaïlo Biélikov est de ces cinéastes passés par le VGIK qui intégrèrent les studios ukrainiens dans les années 60 et qui créèrent le fameux courant dit École de Kiev. L’un des opérateurs les plus doués de sa génération avec Alexandre Antypenko, Valeriï Kvas et Vilen Kalouta, Mykhaïlo Biélikov s’était fait remarquer notamment pour son travail sur le film Qui reviendra aimera (1967) de Léonide Ossyka et Les Nuages blancs (1968) de Rolland Serhienko. Dès 1974, il se lança dans la réalisation de téléfilms en signant avec Alexandre Mouratov La Vieille forteresse (1973) d’après le célèbre roman de Vladimir Biélaiev, puis l’excentrique Coq rouge de Plymouth Rock (1974). Ses premiers longs métrages, Sur ondes courtes (1977), Travail caché (1978), La Nuit est courte (1982), sont des films qui transcendent la problématique industrielle et sociétale en spectacle civique. À l’issue du Vème Congrès de l’Union des cinéastes de l’URSS en mai 1986, Mykhaïlo Biélikov remplacera l’apparatchik Timothée Levtchouk au poste de secrétaire général de l’Union des cinéastes d’Ukraine. Il y restera pendant une quinzaine d’années tout en continuant son métier de réalisateur.



Lubomir Hosejko



Mardi 8 novembre 2011, 19h

SÉANCE SPÉCIALE DÉDIÉE AU HOLODOMOR

 

PAYSAGE APRES LE DÉSASTRE
(ПЕЙЗАЖ ПІСЛЯ МОРУ)
vo





 

Production : Inspiration Films. Service cinématographique d’Etat, Ministère de la Culture d’Ukraine, 2008, coul. 58 mn.

Scénario : Olga Oungourian, Taras Oungourian, Youriï Terechtchenko .

Réalisation : Youriï Terechtchenko

Photographie : Vitaliї Soulyma, Volodymyr Houїevskyi, Artem Sentchylo

Musique : Victor Krysko
Son : Andriї Demydenko

Témoignages : Natalia Dzioubenko-Mace, habitants du village de Velyka Fosnia, région de Jytomyr, Mykola Brytsoun, Yakiv Hrychtchouk, Valentyna Kravtchouk, Oleksiї Kravtchouk, Fedir Kravtchouk, Halyna Ostaptchouk, Olga Tytartchouk, Serhiї Fedorenko.

Genre  : documentaire


Documentaire tourné dans le village de Velyka Fosnia, avec le témoignage central d’un policier qui avait réuni quelques 7000 documents prouvant la mort par la faim en 1933 de 120 habitants du village. Aujourd’hui encore, certains survivants vivent toujours dans une peur postgénocidaire. Évoquée pendant l’office des morts, où un pope énonce les noms des victimes, l’extermination de millions d’êtres humains est lisible sur les arbres généalogiques aux branches décapitées.





 

CIEL, DES INVITÉS
(ОЙ ГОРЕ, ЦЕ Ж ГОСТІ ДО МЕНЕ)
vo






Production : Ukrkinokhronika, 1989, coul. 27 mn.

Scénario : Fédir Zoubanytch, Alexandre Koval, Pavlo Fareniouk. .

Réalisation : Pavlo Fareniouk

Photographie : Alexandre Koval

Son :Alexandre Moroz
Genre : documentaire


Des cinéastes s’invitent chez une vieille femme qui leur raconte le Holodomor. Dans sa khata de guingois, une radio crachote. Une voix lit un texte de Mykola Khvylovyi Moi, le romantique. Seule survivante de sa famille, la vielle femme commente de temps à autre. Sur les 80 koulaks de son village envoyés en Sibérie, seuls trois revinrent. Il ne restait plus de vache dans les khatas, ni de cochon, seul Staline sur les cloisons. Rentrant un soir du kolkhoze, elle retrouva dans un pot oublié par les voisins la chair salée de son enfant et ses vêtements enfouis dans le jardin.

Lubomir Hosejko



Lundi 7 novembre 2011, 19h

 

LA ONZIÈME ANNÈE
(ОДИНАДЦЯТИЙ)
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Production : VOUFKOU, 1928, 53 mn, nb, muet

Scénario : Dziga Vertov .

Réalisation : Dziga Vertov

Photographie : Mikhaïl Kaufman

Montage : Elisaveta Svilova

Genre  : documentaire


En butte à la censure du Goskino moscovite, Dziga Vertov est invité en 1927 par la VOUFKOU à travailler en Ukraine, où il conclut un accord pour la réalisation d’un documentaire célébrant l'industrialisation du pays à travers la construction d'une centrale hydroélectrique sur le Dniepr, l’électrification des campagnes, les charbonnages et fonderies, la société mutant vers le militantisme communiste. Vertov parle de son film comme d’un opus réalisé de manière spontané, sans scénario, dans un langage socialiste cinématographiquement pur où s’entremêlent photographie et surimpressions et où l’emploi d’images doubles qui s’empiètent à différents rythmes, crée la véritable dynamique du film. C’est la première partie du film qui est la plus intéressante, puisqu’elle enregistre sous tous les angles le dynamitage du saut Nenasytets sur le Dniepr. La construction entre 1927 et 1932 de la plus grande station hydro-électrique d’Europe devait inonder les sauts du Dniepr et engloutir à jamais le patrimoine archéologique. À cet effet, le célèbre ethnographe Dmytro Yavornytskyi procéda en toute hâte aux ultimes fouilles de l’île de la Khortytsia qui contenait des trésors sarmates, scythes et cosaques. La superbe image récurrente d’un squelette scythe reposant en chien de fusil donne le ton au film : le passage de l’ancien au nouveau. Suspecté de formalisme, le film restera le moins connu des trois opus que Vertov réalisera en Ukraine, bien que dix mille spectateurs le virent durant les trois premiers jours de projection.

La Onzième année a aussi une autre histoire. Lorsque Vertov le présenta en Allemagne en mai 1929, la presse l’accusa de plagiat. Vertov aurait emprunté impunément des scènes, tirées du documentaire allemand de Albrecht Viktor Blum et Leo Lania Im Schatten der Maschine (Dans l‘ombre des machines). Vertov resta perplexe parce que le contraire était vrai aussi : son film n'avait pas encore été montré en Allemagne, et avait été dépouillé par Blum et Lania pour leur propre compilation. En effet, l’activiste communiste autrichien Albrecht Viktor Blum avait été engagé par la Volksfilmverband pour réaliser un court métrage sur un scénario de Leo Lania. Ce court métrage devait être un recueil d’extraits de films ukrainiens inédits et de quelques séquences américaines sur la base de 50 à 60 films visionnés. Le film de Blum s’appuyait principalement sur la cinquième partie du film de Dovjenko Zvenyhora (1928) – le réalisateur ukrainien lui-même s’était servi dans les stocks shot de ses collègues documentaristes -, et sur la dernière partie du film de Vertov La Onzième année. En réalité, Blum avait intégré dans son propre film, à partir du film de Vertov, 282 pieds (3'50’’ à raison de 20 images par seconde), presque inchangés. Ceci incita Vertov à récuser ces accusations dans la presse, bien que la Commission du Commerce Soviétique voulût étouffer l'affaire pour des raisons politiques. Du point de vue juridique, Vertov considéra l'affaire comme un plagiat et une infraction au copyright. De son côté, Blum déclara que son patron, la Weltfilm, l'avait empêché de citer les sources de son film à cause de la réglementation des quotas d’importation. Pour être déclaré allemand par le Comité de censure, le film devait être libre de toute matière étrangère. Mais autant que Blum, Dziga Vertov avait certainement visionné plusieurs travaux de ses collègues ukrainiens et s’en était approprié certains passages. La construction du barrage sur le Dniepr avait ameuté une foule d’équipes de tournage pour les actualités filmées de l’époque. Le documentaire Dniprohès de Hlib Zatvornytskyi exaltait la première grande édification jamais réalisée en Ukraine. Le réalisateur russe Victor Tourine, qui travailla en Ukraine entre 1924 et 1927, avait inclus des plans du Dniproboud dans son film de production kazakhe Turksib. Arnold Kordioum qui se préparait à tourner son film Le Vent des rapides, anticipa sa fiction avec le documentaire Bétonnage sur le Dniepr. C’est aussi à cette époque que Léonide Mohylevskyi, le futur Léonide Moguy, chef-monteur aux actualités et chroniques filmées de la VOUFKOU, signa à partir de 40 000 mètres de bandes d’actualités archivées ou privées les docus Comment c’était et Documents d’époque. Réalisé onze ans après la prise du pouvoir par les bolcheviks en Ukraine,La Onzième année est un autre exemple pratique de documentaire dans lequel le concept du reportage supplante celui de la propagande.



Lubomir Hosejko




 

LA SYMPHONIE DU DONBASS (ENTHOUSIASME)
(СИМФОНІЯ ДОНБАСУ (ЕНТУЗІАЗМ))
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Production : Ukraїnfilm, Studio de Kiev, 1930, 68 mn, muet, nb.

Scénario : Dziga Vertov .

Réalisation : Dziga Vertov

Photographie : Boris Zeitline

Musique : Extraits de La Marche de la symphonie du Donbas de Nemyrovskyi et du Premier mai (Symphonie n°3 en mi bémol majeur) de Dmitri Chostakovitch
Son :Nicolas Tymartsev, Petro Chtro
Genre : documentaire


En Ukraine, le cinéma sonore apparaît de manière hésitante au début des années 30. Résultant d’une décision politique qui privilégie l’industrie lourde aux dépens de l’industrie légère, le passage du muet au parlant se fera par étapes successives. Sur les quelques 110 longs métrages tournés en Ukraine entre 1930 et 1935, seule une vingtaine sera sonorisée ou conçue sonore selon trois catégories : les films naturalistes ou expérimentaux, les films à illustration ou accompagnement musical, les films de fiction parlant. Expérimental selon la conception théorique vertovienne, La Symphonie du Donbass est considéré comme le premier film sonore ukrainien, tous genres confondus. Appelé aussi Enthousiasme, ce troisième et dernier documentaire de Dziga Vertov tourné en Ukraine connut en 1931 un succès en Europe occidentale lors du passage de Vertov à Berlin, Hambourg, Breslau, Hanovre, Genève, Bâle, Paris et Londres. Mais une fois de plus le spectateur soviétique ne le suivit pas en raison du caractère expérimental de l’œuvre et sous l’effet défavorable de la critique de son film précédent L’Homme à la caméra. Initialement, dans ce documentaire sur l’industrialisation de la région houillère du Donbass, Vertov devait montrer comment les mineurs avaient voulu et pu atteindre en quatre ans seulement les objectifs que leur fixait le plan quinquennal, mais il s’enthousiasma pour un style lyrique enrichi par l’usage recherché des sons industriels et la musique de Nicolas Timoféiev et Dmitri Chostakovitch. Le son fut enregistré à l’aide de la première station mobile du cinéma sonore conçue par Alexandre Chorine, système encore balbutiant comparé aux techniques américaines ou européennes de l’époque. Le réalisateur et les preneurs de son travaillèrent avec acharnement, au jugé, sans possibilité de vérifier le résultat des enregistrements. Vertov recourut fréquemment aux surimpressions et aux collages aussi bien visuels que sonores. Le résultat fut plus que médiocre. Le réalisateur s’obstinait à user de son outil au maximum et finissait par empêcher toute perception normale de son propos. Lors des projections, il s’occupait lui-même des mises au point sonores, martyrisant les oreilles des spectateurs tant il montait le son des haut-parleurs. Bien que félicité par Charlie Chaplin qui, par sympathie et solidarité, considérait que c’était le meilleur film de l’année, Vertov n’obtint pas le succès escompté. Véritable symphonie du vacarme des machines, avec des enregistrements synchrones de voix humaines tantôt sourdes, tantôt tonitruantes, ce documentaire allait dans le sens du contrepoint sonore qu’inférait la théorie du ciné-œil/ciné-oreille - capter le son sur le vif et le dissocier au minimum de l’image -, mais le résultat fut plus cacophonique que de l’ordre d’une expérimentation avant-gardiste formelle. La bande-image primait sur la bande-son. Opposant l’ancien au nouveau dans un style très proche du reportage, Vertov s’attarda sur les fidèles dans les espaces cultuels qui allaient être désacralisés et repris par les activistes communistes. La séquence de la démolition du bulbe de l’église et son remplacement par l’étoile rouge est en son genre un spectacle visuel rarement égalé. La caméra chancelle face à des titubants ivrognes. Interactive, elle se faufile dans les fanfares militaires, les défilés du komsomol, mais reste contemplative, en contre-plongée frontale, face au secrétaire général du PCU Stanislav Kossior, l’un des futurs responsables du holodomor en Ukraine. De superbes séquences à effet visuel réalisées dans les fonderies rehaussent ce documentaire de commande et de propagande sociale.

Lubomir Hosejko



Mardi 4 octobre 2011, 19 h

 

ANDRIECH
(АНДРІЄШ)
vostf


avec le concours d’Arkeion Films











 

Production : Studio de Kiev, 1954, 63 mn. coul.

Scénario : Emilian Boukov, Hryhoriї Koltounov, Serhiї Laline, d’après le conte éponyme de Emilian Boukov .

Réalisation : Yakiv Bazelian, Serge Paradjanov

Photographie : Souren Chakhbazian, Vadim Verechtchak

Décors : Victor Nikitine, Oleg Stepanenko

Son : Mykola Medvediev

Montage : Varvara Bondina

Musique : Igor Chamo, Grigoriu Tirceu. Orchestre du Ministère de la culture de la RSS d’Ukraine, sous la direction de Constantin Simeonov

Directeur de production : Naoum Vaintrob

Inteprétation : Kostia Russu, Nodar Chachik, Loubov Sokolova, Kirill Chtirbu, Yevhen Ureke, Dominique Darienko, Robert Vizyrenko-Klavine, Tryfon Gruzine, Giuli Tchokhonelidze

Genre  : conte épique et féérique


Synopsis

Le jeune berger Andriech emmène son troupeau dans les pâturages. Il y rencontre le chef des bergers, Vainovan, qui lui offre une flûte magique dont le son procure plaisir et joie à tous ceux qui l’écoutent. Mais la musique éveille la colère du mauvais génie Tchornyi Viter. Celui-ci enlève la belle fiancée de Vainovan et déclenche un terrible orage sur la région qui emporte bêtes et hommes. La jeune femme et le troupeau sont transformés en statues de pierre dans la caverne du sorcier. Andriech parvient à s’en approcher pour rendre la vie à son troupeau, mais Tchornyi Vykhr déjoue son plan et le pétrifie à son tour. Aidé de ses amis, Vainovan, le bon génie, vole au secours d’Andriech au moment où l’ignoble sorcier est sur le point de s’emparer de la flûte magique.


Opinion

Andriech est la version longue de Conte moldave, film de fin d’études de Paradjanov coréalisé au VGIK avec Yakiv Bazelian, avec la même distribution et la même équipe technique. Le film annonce le mode de récit de prédilection de Paradjanov en lui donnant libre cours à la magie et au merveilleux, à ses recherches et son goût pour les puissances visuelles propres à l’univers du conte épique et féérique. La mise en scène est étayée par une dramaturgie théâtralisée penchant volontiers vers l’opéra, et n’évite pas l’écueil des canons imposés des films soviétiques de l’époque, notamment le ballet folklorique. Les décors sont entièrement créés en studio, hormis les séquences pastorales et celle de la lande incendiée, superbement filmée. Saturée de ralentis, surimpressions, transparences, d’effets spéciaux, de couleurs et maquillage outré, cette réalisation qui n’attira sur elle ni l’intérêt du public ni celui de la critique, porte déjà l’empreinte du surréalisme magique qui marquera l’œuvre du futur grand maître. En général, celui-ci interdisait à son entourage de regarder ses films antérieurs aux Chevaux de feu, sauf Andriech, et affirmait qu’il aurait pu tourner son chef-d’œuvre bien plus tôt. Visiblement, le travail du jeune opérateur Souren Chakhbazian inspirera le futur opérateur des Chevaux de feu Youriï Illienko. Déjà, certains cadrages, certains mouvements de caméra, par rotation ou par translation, s’opposent clairement à la photographie statique prônée par Paradjanov et codifient les fondements et la modélisation esthétiques des Chevaux de feu. Filmer de cette manière était peu courant à l’époque, au vu de la production de 1954.
Nés, l’un en 1924, l’autre en 1925, Paradjanov et Bazelian décéderont tous deux en 1990, à quelques jours d’intervalle.



Lubomir Hosejko




 

UN HOMME DANGEREUSEMENT LIBRE
(НЕБЕЗПЕЧНО ВІЛЬНА ЛЮДИНА)
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suivi d’une intervention de Lessia Matsko, cinéaste



Production : Cinémathèque Nationale d’Ukraine, Ministère de la Culture d’Ukraine, 2004, 52 mn. coul.

Scénario : Serhiї Trymbatch .

Réalisation : Roman Chyrman

Photographie : Edouard Tymline

Animation : Radna Sakhaltouiev, Artem Sakhaltouiev

Son : Igor Barba

Montage : Artem Sakhaltouiev
Genre : documentaire


Parmi la quarantaine de documentaires sur Serge Paradjanov réalisés à ce jour, Un Homme dangereusement libre de Roman Chyrman est celui qui a cerné le plus la personnalité et le génie du cinéaste. Jusque là, les documentaires précédents n’étaient que panégyriques, celui de Chyrman montre le regard ironique de Paradjanov sur le monde et le refus total du pouvoir soviétique. C’est le premier film sur Paradjanov tourné dans l’esprit du maître arménien, artiste introverti et extravagant dans l’imaginaire comme dans le réel.
Conçu sur un ton humoristique, le film mise sur l’ironie, l’autodérision, la mystification et les fantasmes du metteur en scène. Personnage carnavalesque, il est croqué non pas comme un martyre ou une victime du régime soviétique, mais comme un individu original, plein de paradoxes. Le titre du film lui-même a été soufflé au réalisateur par Roman Balaїan, cinéaste et fils spirituel de Paradjanov.
Ponctués d’inserts, de collages, de dessins réunis de manière ironique, suivant chronologiquement la vie du maître, le film égrène en parallèle des extraits des Chevaux de feu, Le Premier gars, Une fleur sur la pierre, Natalia Oujvij, Sayat Nova, Achik Kerib. Puis le verbe surplombe l’image avec les interviews de son épouse Svitlana Chtcherbatiouk, du poète et scénariste Ivan Dratch, des actrices Alla Demydova et Sofiko Tchiaourelli, du directeur du Musée Paradjanov à Erevan, Zaven Sargsian et du photographe Youri Metchitov. Ses amis considéraient souvent ses récits et discours supérieurs à ses films, et ses anecdotes antistaliniennes toutes plus absurdes les unes que les autres. Il parle de Fellini qui a marqué son univers baroque, de son film Amarcord, du comédien Marcello Mastroianni, de son aversion pour les livres. Paria et cosmopolite refusant le terme de dissident, il clame néanmoins : « Je suis un Arménien, né à Tbilissi, j’ai croupi dans les prisons russes pour nationalisme ukrainien ».

Lubomir Hosejko




Mardi 13 septembre 2011, 19 h

 

LES AVENTURES DU SERGENT TSYBOULA
(ДАЧНА ПОЇЗДКА СЕРЖАНТА ЦИБУЛІ)
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avec le concours d’Arkeion Films







 

Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, 1979, 77 mn. Coul.

Scénario : Pavlo Avtomonov, Vitaliї Chounko, Mykola Litous, d’après le récit de Pavlo Avtomonov L’Autographe du sergent Tsyboula.

Réalisation : Mykola Litous, Vitaliї Chounko

Photographie : Victor Politov

Décors : Edouard Cheїkine, Mykola Terechtchenko

Musique : Ivan Karabyts

Son : Anatoliï Tchornootchenko

Montage : Roman Lorman

Inteprétation : Serhiї Ivanov, Volodymyr Olexienko, Mykhaïlo Kokchenov, Nadia Smyrnova, Volodymyr Tchoubarev, Mykhaïlo Lvov, Nina Reous, Stepan Olexenko, Serhiї Svietchnykov, Marguerite Krynytsyna, Boris Sabourov, Mykola Litous, Yevhen Majouha

Genre  : comédie


Synopsis

De retour d’une expédition de diversion dans les lignes allemandes, le sergent Tsyboula est de nouveau envoyé dans l’arrière-front ennemi. Il a pour ordre d’acheminer aux partisans des médicaments, vivres et explosifs. Ayant pris les feux ennemis pour des signaux du maquis, Tsyboula atterrit chez l’ennemi. Bernant ses poursuivants, il fait prisonnier un officier supérieur et réussit à s’emparer d’un train blindé pour rejoindre les siens.


Opinion

L’héroïsme individuel ou collectif qui agrémente les films de guerre des années 70 demeure une caractéristique formelle de la cinématographie soviétique. Cependant, bien qu’au service de la conjoncture politico-militaire brejnévienne, l’amour pour la patrie laisse parfois place à l’humour tout court. Les images doivent divertir et faire oublier la guerre froide et les rigueurs des futurs conflits militaires. C’est le cas des Aventures du sergent Tsyboula (Partie de campagne du sergent Tsyboula), comédie loufoque de Mykola Litous, réalisée en binôme avec Vitaliї Chounko, relatant les exploits d’un éclaireur parachuté en zone ennemie. Le rôle du sergent est interprété par Serge Ivanov, comédien attitré des Studios Dovjenko de Kiev qui s’est fait connaître dans les célèbres comédies dramatiques de Léonide Bykov Seuls les anciens vont au casse-pipe (1973) et Une deux, les soldats marchaient (1976). Dans Les Aventures du sergent Tsyboula, Ivanov forme un duo comique avec Mykhaïlo Kokchenov, un policier empoté, Gergalo, caricaturé pour la circonstance de manière non moins sympathique. Tous deux sont exposés à des situations saugrenues mais finalement amusantes. Dans ce comique de guerre, le réalisateur Mykola Litous s’applique à détourner les codes du genre, qui exalte les violences spectaculaires, et à livrer une vision affadie de l’armée d’occupation. Le film fait penser à La Grande Vadrouille de Gérard Oury et davantage encore au film de Robert Lamoureux Où est donc passée la Septième compagnie, distribués à l’époque en Union Soviétique. Avec La Mercedes en cavale (1980) de Youriï Lachenko, autre film-poursuite accumulant les exploits des Soviétiques infiltrés dans les lignes allemandes, il permet d’éponger les mauvaises recettes occasionnées par la programmation de mélos sirupeux, indiens ou égyptiens. La même année, Serge Ivanov ajoute occasionnellement son nom au registre pathétique du cinéma de guerre dans le film de Vadim Lyssenko Détachement à destination spéciale. Après une carrière émaillée de succès populaires dans plus d’une cinquantaine de films, il crée en 1991 une unité de production indépendante et réalise Lune de miel, une comédie sur le banditisme ambiant. Véritable star de la stagnation brejnévienne, Serge Ivanov décédera subitement en janvier 2000.


 

Lubomir Hosejko

 



Mardi 7 juin 2011, 19 h

 

LA CROIX DE PIERRE
(КАМІННИЙ ХРЕСТ)
vostf, copie restaurée en 2010


Projection suivie d’un débat animé par Jean-Bernard Dupont-Mylnyczenko, professeur agrégé d’histoire, auteur de Les Ukrainiens en France, éd. Autrement, 2007











 

Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, 1967, 82 mn, nb.

Réalisation : Léonide Ossyka

Scénario : Ivan Dratch

Photographie : Valeriï Kvas

Décors : Mykola Rieznyk

Musique : Volodymyr Houba

Son : Sophie Serhienko

Inteprétation : Danylo Iltchenko, Boryslav Brondoukov, Kostiantyn Stepankov, Vassyl Symtchytch, Kateryna Mateїko, Boris Savtchenko, Ivan Mykolaїtchouk, Antonina Leftiї, Olexiї Atamaniouk


Récompenses : Prix de la meilleure photographie décerné à Valeriï Kvas, Prix du meilleur rôle masculin à Boryslav Brondoukov au Festival Pansoviétique de Leningrad, 1968. Premier Prix décerné à Léonide Ossyka au Festival de l’art orthodoxe l’Orante d’Or, Kiev, 1995.


Synopsis

Accablé d’impôts, Ivan Didoukh a trimé toute sa vie. Au sort de paysan abruti par l’alcool et le travail sur une terre rocailleuse où règnent la loi du silence et une justice sommaire, il préfère, pour lui et ses fils, le destin d’immigrant qui ira creuser sa tombe au Canada. Pour réunir l’argent nécessaire au voyage, il vend tout ce qu’il possède. Détroussé pat un voleur, il décide de le tuer.


Opinion

Revigorée par sa vitalité créatrice, la production cinématographique ukrainienne de 1968 est, contre toute attente, peu représentée au IIIème Festival pansoviétique. Seuls Calme Odessa de Valeriï Isakov et La Croix de pierre de Léonide Ossyka font le chemin de Leningrad où se tient le festival. Les distinctions qu’obtient le film d’Ossyka - Prix de la meilleure photographie et du meilleur rôle masculin – témoignent du travail en profondeur qu’effectue la nouvelle vague ukrainienne. Or, le langage poétique du jeune réalisateur, la beauté plastique des paysages filmés par Valeriï Kvas ne sont pas pour autant les surgeons paradjanoviens que d’aucuns voient d’un mauvais œil, car sortis du même sanctuaire géographique. Le film aurait été inconcevable en couleur, tant sa violence dramatique, son naturalisme virulent et son graphisme ascétique induisaient l’emploi du noir et blanc. L’idée du film naît à l’époque où foisonne une littérature appelée « prose rurale », inspirée par les migrations répétées des Russes et des Ukrainiens. Les premiers arrivent massivement en Ukraine, les seconds partent en Crimée ou vont défricher les terres vierges en Asie Centrale. C’est donc en opposition à ce chassé-croisé qu’apparaît l’intérêt vital d’affirmer leurs racines et leur culture.
Tiré de deux nouvelles de Vassyl Stefanyk, La Croix de pierre est par essence cinématographiquement préconçu en amont du scénario, au même titre que l’étaient les nouvelles de Kotsioubynskyi pour Les Chevaux de feu, les quelques infidélités faites au récit par le scénariste Ivan Dratch ne faisant que renforcer la portée sociale du film qui s’inspire d’un fait authentique, le départ, en 1912, vers le Canada du premier Ukrainien de la région, Ivan Akhtemiїtchouk. Quelques années auparavant, une tentative avait été faite en vue d’un documentaire sur Vassyl Stefanyk par la réalisatrice Laryssa Chepitko, qui parcourut les Carpathes. L’histoire se passe dans les Carpathes, d’où partent, comme de toutes l’Europe des misères, des milliers de paysans vers le Nouveau Monde. Ossyka chante l’abandon de la terre nourricière, thème central de l’œuvre de Stefanyk, et sublime le tragique en choisissant d’une manière expressément noire, la résignation sans espoir. Ici, tout est traité avec des longueurs diffuses, des travellings fluides, le plus souvent latéraux, des champs-contrechamps alternant gros plans et plans d’ensemble. Le dialogue est concis dans un dialecte houtsoule coloré. Hormis Danylo Iltchenko (Ivan Didoukh) et Boryslav Brondoukov (le voleur), Vassyl Symtchytch (Georges), Ivan Mykolaїtchouk (Ivan, fils), Boris Savtchenko (Mykola), Kostiantyn Stepankov (Mykhaïlo) et Antonina Leftiї (la belle-fille), tous les acteurs sont des non-professionnels du village de Roussiv et de Sniatyn. La caméra de Valeriï Kvas affectionne la terre aride et s’attarde volontiers sur les visages sortis tout droit de portraits de manants, bossus, borgnes et éclopés, croqués à la manière d’un Bruegel. Saisissantes la photographie et la dramaturgie de la scène précédant la mort du voleur, empruntée au tableau de Rembrandt Le Retour du fils prodigue. Alors que Paradjanov ou Illienko (La Nuit de la Saint-Jean) se servent de la couleur pour rehausser la métaphore, c’est vers un graphisme au style compassé qu’Ossyka se tourne pour activer la fonction visuelle. La croix que traîne le vieux Ivan jusqu’au sommet de la montagne, sépulture du voleur, est d’un exceptionnel rendu photographique, entretenu par sa force biblique. Formant une symétrie avec Les Chevaux de feu de Paradjanov autour d’un axe ethnographique et ritualiste, La Croix de pierr souligne, dans le même temps, son antinomie avec La Terr de Dovjenko, une terre où l’homme, tout aussi mortel, fusionne avec la nature, riche et généreuse. On retrouve encore cette analogie dans la scène culminante de la danse, où Didoukh et sa femme exécute une polka face à un public stupéfait. Dans le courant poétique du cinéma ukrainien, la danse remplit essentiellement une fonction plastique et dramatique. Tel fut le cas pour la danse de Vassyl dans La Terre, pour Ivan et Maritchka dans Les Chevaux de feu, de Dana et Orest dans L’Oiseau blanc marqué de noir de Youriï Illienko. Elle est accompagnée obligatoirement par une musique symphonique mâtinée de variations folkloriques, écrites par des compositeurs de renom, tels Valentin Sylvestrov, Léonide Hrabovskyi, Vitaliї Hodziatskyi et, principalement, Volodymyr Houba. Auteur de musiques de film assorties à une culture régionale, Volodymyr Houba en a signé en près de cinquante ans plus d’une centaine.
C’est à partir de La Croix de pierre que se dégagera l’impression d’une sorte de réserve carpathique nationale dans le cinéma ukrainien, louée pour des œuvres de plus en plus personnelles, auxquelles s’associent les décorateurs Reznyk, Novakov ou Yakoutovytch. Dès sa sortie, le film servira de matériau de cours pour la célèbre école de cinéma de Lodz en Pologne. C’est encore à partir de ce film-culte que le critique polonais Janusz Gazda appellera la nouvelle vague ukrainienne des années soixante « École poétique de Kiev », école qui aujourd’hui encore a ses émules.


 

Lubomir Hosejko

 



Mardi 3 mai 2011, 19 h

 

INCLINE-TOI JUSQU'À LA TERRE
(ВКЛОНИСЯ ДО ЗЕМЛІ)
vostf


Projection suivie d’un débat animé par Virginie Symaniec, spécialiste du théâtre bélarusse, chargée du pôle édition et traduction (Maison d’Europe et d’Orient)









 

Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, 1985, 78 mn, coul.

Réalisation : Léonide Ossyka

Scénario : Valentin Yéjov, Volodymyr Loubomoudrov, Léonide Ossyka

Photographie : Valeriï Kvas

Décors : Petro Slabynskyi

Musique : Volodymyr Houba

Son : Alexandre Kouzmine

Inteprétation : Stéphanie Staniouta, Nadia Markina, Victor Fokine, Pavlo Kormounine, Nina Tobilevytch, Slava Kniazev, Evhen Pachyne, Alexandre Movtchane, Lev Kolesnyk, Lès Serdiouk, Mykola Krioukov, Svitlana Kniazeva, Volodymyr Andreïev.

Genre  : drame psychologique


Récompenses : Diplôme du Festival de Jdanov décerné à Léonide Ossyka, Prix du Comité d’État de la cinématographie d’Ukraine et Diplôme de la meilleure Photographie décernés à Valeriï Kvas.


Synopsis

Maria vit dans une petite métairie. Survient la guerre, son mari part au front. Les Allemands occupent le village voisin. Maria cuit du pain pour les partisans qu’elle rejoint bientôt avec ses trois fils. Au cours d’un raid, son fils Mykola est arrêté et fusillé. Sa fille Nina préfère le suicide au déshonneur. Son fils cadet tombe en héros sur le champ de bataille. Plongée dans le chagrin, Maria trouve un jour à côté d’une femme tuée un bébé. Elle recommence à vivre et adopte par la suite trois orphelins qu’elle aime comme ses propres enfants. La voici grand-mère avec ses petits-enfants. Mais le temps n’efface pas ses peines. Des années plus tard, Maria retrouve la tombe de celui qu’elle enterra de ses propres mains en 1943.


Opinion

Après huit années d’absence, Léonide Ossyka revient à la fiction avec Incline-toi jusqu’à la terre, relatant le rude destin d’une femme ukrainienne qui a perdu sa famille pendant la guerre, réalisé dans l’esprit du film d’Elem Klimov Requiem pour un massacre. Le thème de ce drame psychologique est aussi celui qu’il développa dès son premier long métrage Qui reviendra, aimera (1967) – le destin d’une mère face à la guerre. Le rôle de l’héroïne Maria est interprété successivement par la jeune première Nadia Markina et par l’actrice bélarusse Stéphania Staniouta, coutumière des rôles de mater dolorosa. Devenue très populaire en dehors de sa patrie, après l’admirable rôle de Daria qu’elle tint dans Les Adieux à Matiora d’Elem Klimov et Laryssa Chepitko, Stéphania Staniouta revient une deuxième fois dans le cinéma ukrainien. En 1976, elle avait participé à Septembre, mois d’angoisse (1976), autre film de guerre du même Ossyka qui stigmatisait le maquis nationaliste ukrainien. Ici encore, comme dans la plupart des films de guerre de l’époque, une séquence antinationaliste s’impose. Marie, la jeune héroïne, refuse de se donner à un policier ukrainien parce qu’elle ne veut pas de rejeton nationaliste. Film alimentaire, quand bien même humaniste mais bien en-deçà des Cloches de paill que Youriï Illienko se prépare à réaliser, Incline-toi jusqu’à la terre sera le dernier tribut que paiera Léonide Ossyka au cinéma brejnévien. Passage obligatoire pour la survie des cinéastes, ce cinéma phagocyte plus du quart de la production des Studios Alexandre Dovjenko de Kiev, livrée à l’occasion du 40ème anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Le succès de Stéphania Staniouta lui vint relativement tard dans sa carrière, lorsque des rôles de femmes âgées lui furent confiés. Par la suite, l’actrice participera dans d’autres productions ukrainiennes, notamment dans Les Histoires d’Ivan (1988) de Boris Ivtchenko, Le Paria (1990) de Volodymyr Saveliev et Le Prix d’une tête (1992) de Mykola Ilinskyi, des films importants qui laisseront une trace visible dans le passage mouvementé de la perestroïka vers l’indépendance.


 

Lubomir Hosejko

 



Mardi 5 avril 2011, 19h

 

L’EXPLOIT D’UN ÉCLAIREUR
(ПОДВИГ РОЗВІДНИКА)
vostf


suivi d’un débat animé par Raymond Clarinard, journaliste au Courrier International et écrivain







 

Production : Studio de Kiev, 1947, 89 mn. nb

Réalisation : Boris Barnet

Scénario : Mikhaïl Bleiman, Kostiantyn Issaїev, Mykhaïlo Maklarskyi

Photographie : Danylo Demoutskyi

Décors : Mauritz Oumanskyi

Musique : Oscar Sandler, Dmytro Klebanov

Son : Alexandre Babiї

Montage : Valentyna Oliїnyk

Inteprétation : Pavel Kadotchnikov, Victor Dobrovolskyi, Ambroise Boutchma, Dmytro Miloutenko, Serhiї Martinson, Olena Izmaїlova, Boris Barnet, Mykhaïlo Romanov, Petro Arjanov

Directeur de production : Natacha Popova, G. Tatchann

Genre  : comédie


Récompenses : Prix d’État de l’URSS en 1947 à Mikhaïl Bleiman, Kostiantyn Issaїev, Mykhaïlo Maklarskyi, Boris Barnet, Mauritz Oumanskyi, Pavel Kadotchnikov.


Synopsis

Parachuté en Ukraine occupée par la Wehrmacht pour une mission à haut risque, l’officier des services secrets soviétiques Alexis Fedotov se fait passer pour un entrepreneur zurichois sous le nom d’Heinrich Eckert. Pour infiltrer le haut commandement militaire ennemi, il noue des liens avec Friedrich Pommel, un vieil industriel allemand dont le fils le conduit à Vinnytsia et l’aide à rencontrer le général von Kuhn. Bien qu’il déjoue un à un les pièges que lui tendent les services secrets nazis et qu’il liquide un agent double, il ne parvient pas à subtiliser un document secret signé du Führer, relatif à un plan d’offensive dans le sud de l’Ukraine. Il décide alors d’enlever le général et l’emmène à Moscou.


Opinion

À l’automne 1947, Boris Barnet, qui travaille alors au Studio de Kiev, termine L’Exploit d’un éclaireur où réapparaît le thème de la guerre. Le film subit tous les aléas de la production de l’après-guerre, assujettie aux moindres décisions du Conseil des Ministres. Le temps de tournage est réduit de moitié, cinq mois au lieu de dix, la précarité des équipements techniques, des accessoires et des costumes entraînent inévitablement le chômage technique. À cela viennent s’ajouter la pénurie d’électricité, le manque de comédiens, de discipline aussi. Comme un peu partout en Europe, Barnet tourne dans les ruines. Il prend une certaine liberté par rapport à l’Histoire en entourant de caractères intéressants le célèbre partisan et agent soviétique Nicolas Kouznetsov, rebaptisé ici Alexis Fedotov. Eu égard au grand succès populaire du film, les critiques croient discerner le début d’une nouvelle étape dans le cinéma ukrainien. Mais si tous les ingrédients du film d’espionnage sont réunis, le réalisme froid d’une dramaturgie construite comme une passionnante partie d’échecs ne peut corroborer une telle supposition. Le film est plein de mots de passe, de rencontres anonymes, de rendez-vous secrets, de personnages doubles, et il est indéniable que ce type d’exploit fait du héros, admirablement campé par Pavel Kadotchnikov, un cauteleux psychologue dont la tâche consiste justement à ne pas éveiller les soupçons des nazis. Cependant, tout ce qui a trait au sentiment, jusqu’au monologue intérieur de Fedotov, est soigneusement écarté. Sauf, peut-être, dans la scène où, après que les nazis viennent de porter un toast à leur victoire, il répond justement : « À notre victoire ! » Misant sur le patriotisme, L’Exploit d’un éclaireur fait volontiers penser à un film antérieur, Sigmund Kolossovski (réalisé en 1945 par Sigizmund Navrotskyi et Boris Dmokhovskyi) à ceci près que le documentarisme cède le pas à l’épique et au suspense, renforcé par la superbe photographie de Danylo Demoutskyi. Le grand acteur Ambroise Boutchma, qui tient le rôle d’un vieil agronome et dont c’est le dernier vrai rôle dans un film – il apparaîtra une ultime fois à l’écran en 1952 dans la pièce filmée Le Bonheur volé d’Isaac Chmarouk -, interprète un personnage pathétique dans lequel se reconnaissent des millions d’individus qui eurent à surmonter la difficulté de rester loyal envers leur patrie face à l’occupant. À l’opposé, Dmytro Miloutenko, qui incarne l'espion allemand Berejnyi, demeure le personnage incontournable du cinéma de l’époque, un nationaliste ukrainien chargé d’infiltrer la résistance bolchevique. Pour sa part, Kadotchnikov conquiert, à la sortie du film, le cœur des spectateurs ukrainiens par son interprétation romantique. L’Exploit d’un éclaireur, dont la quasi-totalité des comédiens et des techniciens est ukrainienne, deviendra pour de longues décennies le film culte de la jeunesse soviétique. Il paraîtra en France en 1947 sous le titre Personne ne le saura.


 

Lubomir Hosejko

 



Mardi 1er mars 2011, 18h30

 

SYNDROME ASTHÉNIQUE
(АСТЕНІЧНИЙ СИНДРОМ)
vostf


Avec le concours d’Arkeion Film et l’intervention de Martine Godet, auteure de la monographie La pellicule et les ciseaux, la censure dans le cinéma soviétique du Dégel à la perestroïka (CNRS Editions, 2010)









 

Production : Studio d’Odessa, 1989, 156 mn. coul/nb

Scénario : Kira Mouratova, Serguei Popov ; Alexandre Tchernykh

Réalisation : Kira Mouratova

Photographie : Volodymyr Pankov

Décors : Yevhen Holoubenko, Oleg Ivanov

Musique : Franz Schubert

Son : Elena Demydova

Montage : Valentyna Oliїnyk

Inteprétation : Serguei Popov, Pavlo Polichtchouk, Alexandre Tchernykh, Victor Aristov, Nikolaï Semionov, Olga Antonova, Natalia Bouzko, Galina Zakhourdaieva, Alexandra Svenskaia, Natalia Ralleva, Galina Kasperovytch, Vira Storojeva, Oleg Chkolnyk, Léonide Kouchnir

Directeur de production : Natacha Popova, G. Tatchann

Genre  : comédie


Récompenses : Ours d’argent, Prix spécial du Jury, Festival de Berlin (1990), Prix Nika du meilleur film (1990). Prix du meilleur second rôle féminin décerné à Olga Antonova par L’Académie des sciences et des arts cinématographiques au Festival Souziria (1990).


Synopsis

Dans un cimetière, Natacha qui vient de perdre son mari crie sa douleur. Rejetant ses amis qui tentent de l’aider, elle s’enfuit et se réfugie dans une solitude désespérée. Elle quitte son travail à l’hôpital et déambule, hagarde, dans les rues, transformant sa souffrance en haine envers le genre humain. Nikolaï se réveille dans une salle de cinéma. Il n’a rien vu du film projeté et se lève, indifférent aux paroles du réalisateur qui veut lancer le débat. Il est en effet atteint du syndrome asthénique, dû à son incapacité de se consacrer à l’écriture, un état de perpétuelle faiblesse qui lui vaut de s’endormir n’importe où et n’importe quand. Il se retrouve dans un hôpital parmi des fous. Sorti de l’hôpital, il s’endort dans le métro. Une rame vide le conduit dans un tunnel sombre.


Opinion

Dans Le Syndrome asthénique (1989), Kira Mouratova, à coups d’images-choc, assène sa vision morcelée d’une société soviétique moribonde en plein chaos. La réalité que montre la cinéaste – celle des années de la perestroïka – n’est plus qu’une parodie des rapports humains. Les deux héros – qui apparaissent dans deux segments de film successifs – réagissent de manière diamétralement opposée à l’agression permanente qu’ils subissent du monde extérieur, à la spirale de violence que la réalisatrice nomme « corridor de la haine ». Le premier, une veuve qui vient d'enterrer son mari, "cogne” littéralement tous ceux qu'elle croise sur son chemin. Le second, enseignant, souffre du “syndrome asthénique”: sa tactique de fuite consiste à s’endormir chaque fois qu’on l’assaille, jusqu’à ce qu’il ne se réveille plus de ce sommeil irrésistible, allongé par terre dans une rame de métro, mort dans l’indifférence générale. Mouratova alterne lieux publics (bus, marchés, escaliers d'immeubles collectifs) où l'obscénité est à son comble, et lieux privés, où l'individu affronte soit une solitude insupportable, soit une incommunicabilité totale. Un assemblage de voix cacophoniques occupe la plus grande partie de la bande-son. Les dialogues ne sont que des monologues à plusieurs. Ils sont rédigés dans un langage largement ordurier, ce qui a retardé de quelques mois l’autorisation de sortie du film, bien que la levée de toute censure ait été proclamée en 1986 lors du Ve Congrès de l’Union des Cinéastes de l’URSS. Dans cette œuvre majeure de la perestroïka, Mouratova tend à tous un miroir où se reflète la désintégration de la société soviétique qui, épuisée par 70 ans de lutte des classes et un combat acharné pour la survie quotidienne, atteint un stade extrême d’agressivité.


Martine Godet


Témoignage de la réalisatrice

C’est un film qui existe parce que la perestroïka existe. Il montre l’image totale de la société soviétique actuelle. On ne sait pas comment faire, comment changer. Nous disons toujours en URSS qu’il faut changer sans savoir exactement comment y parvenir et où aller. Si je ne m’endors pas, c’est parce que l’acte de réalisation m’est possible. Sinon, comme nous ne savons pas quoi faire avec cette vie nous restons passifs. Je suis combative pendant que je filme. Quand c’est fini, je deviens très conformiste dans la vie. Filmer, écrire, faire de l’art, c’est comme un royaume de liberté. Cette liberté, quand je filme, m’est suffisante. C’est à ce moment que je ne veux pas de règles, de lois, de morale.


Kira Mouratova



Mardi 1er février 2011, 19h

 

LE PREMIER GARS
(ПЕРШИЙ ХЛОПЕЦЬ)
vostf








 

Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, 1958, 86 mn, coul.

Scénario : Pavlo Loubenskyi, Victor Bezoroudko

Réalisation : Serge Paradjanov

Photographie : Serhiї Revenko

Décors : Alexandre Lissenbart, Valeriї Novakov

Musique : Yevhen Zoubtsov, Hryhoriї Glazov

Son : Nina Avramenko

Montage : Nina Horbenko

Inteprétation : Heorhiї Karpov, Loudmyla Sossioura, Youriï Satarov, Valérie Kovalenko, Andriї Andrienko, Mykola Choutko, Tamara Alexeiéva, Loudmyla Orlova, Mykhaïlo Kramar, Yaroslav Sasko, Mykola Yakovtchenko, Youriï Tsoupko, Varvara Tchaïka, Ivan Matveiev. Avec la participation des kolkhoziens du village de Pechtchane.

Genre  : comédie


Synopsis

Après sa démobilisation, Danylo (Youriï Satarov) rentre au village et devient très vite populaire grâce à sa passion pour le sport. Son retour ne perturbe en rien le cours paisible de la vie au kolkhoze, si ce n’est que Youchka (H. Karpov), jusque-là allergique à la culture physique, décide de devenir footballeur pour impressionner Odarka (L. Sossioura), la belle komsomole chargée des loisirs du kolkhoze. Youchka s’entraîne seul dans une grange à l’insu de tout le monde. Lors d’un match, il propose de remplacer le gardien de but défaillant, mais sa prestation peu glorieuse contribue à la défaite de l’équipe de son village. Youchka ne désespère pas et continue de s’entraîner pour les beaux yeux d’Odarka.



Opinion

Premier d’une série de trois longs métrages à consonance idéologique (Le Premiers gars, Rhapsodie ukrainienne, Une fleur sur la pierre), Le Premier gars est une comédie calquée sur des dizaines d’autres films louant le paradis soviétique, avec parfois des situations à la limite de l’absurde. Dans la traduction filmique du scénario aux velléités satiriques, ainsi dans la scène du dégel qui commence par la fonte d’un bonhomme de neige, Paradjanov arrive à injecter çà et là un brin d’ironie. Passant au crible quelques poncifs du cinéma stalinien et parodiant, par certains côtés, le burlesque américain, sa fantaisie moqueuse fait de cette comédie un classique acidulé du cinéma khrouchtchévien. Tout l’art du réalisateur, qui engage des comédiens frais émoulus de l’Institut théâtral de Kiev, consiste à tourner en dérision des choses qui passeront inaperçues ou seront minorées aux yeux de la censure et de la critique. De jolies blondes époussettent les tournesols avec des mouchoirs blancs, des tracteurs défilent sur un extrait du Lac des cygnes, des bicyclettes composent des ballets, le socialisme avance au rythme des moissonneuses-batteuses et de l’accordéon. Cependant, Paradjanov ne semble pas se soustraire au message social que lui demande de délivrer la direction des studios, mais s’attache à filmer avec une conscience militante, dans la plus pure tradition du réalisme socialiste. Ici, c’est le souci du détail, la décoration, le rituel, l’utilisation de la couleur qui l’intéressent. Extrêmement mobile, la caméra est celle de Serhiї Revenko, avec qui Paradjanov fit ses premières armes dans Maxymko en tant qu’assistant de Volodymyr Braun. Le tout est plutôt réussi, malgré quelques aspects irritants - joie de vivre, kermesse, chants et danses folkloriques -, les personnages devenant à la longue moins intéressants.

Film de commande largement diffusé à l’époque, Le Premier gars est sans doute le meilleur de la trilogie, universel et tout à la fois profondément ukrainien, laissant entrevoir le futur grand metteur en scène.


 

Lubomir Hosejko

 



Mardi 4 janvier 2011, 19h

 

RHAPSODIE UKRAINIENNE
(УКРАЇНСЬКА РАПСОДІЯ)
vostf






 

Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, 1961, 88 mn. coul.

Scénario : Alexandre Levada

Réalisation : Serge Paradjanov
Assistant réalisateur : Andriї Botcharov

Photographie : Ivan Chekker

Décors : Mykhaïlo Rakovskyi

Musique : Platon Maїboroda, avec la participation de l’Orchestre Symphonique de la RSS d’Ukraine sous la direction de Benjamin Tolba.
Texte des chansons : Mykola Nahnybida, avec la voix d’Eugénie Mirochnytchenko doublant Olga Petrenko

Son : Nina Avramenko, Sofia Serhienko

Montage : Marthe Ponomarenko
Costumes : Nina Braun

Directeur de production : Bernard Glazman

Inteprétation : Olga Petrenko, Edouard Kochman, Youriï Houlaiev, Natalia Oujviї, Alexandre Haї, Valeriї Vitter, Stepan Chkourat, Serhiї Petrov, Valentin Hroudinine, Mykola Slobodian, Olga Nojkina, Dmytro Kapka, Kateryna Lytvynenko, Youriï Sarytchev, Constantin Stepankov, A. Pospelov, Olena Kovalenko, Svitlana Konovalova, et la participation des kolkhoziens du village de Boutchak et des soldats de l’Armée Soviétique.

Genre  : mélodrame


Synopsis

Une jeune chanteuse lyrique, Oxana Martchenko, devient célèbre en remportant un prix dans un grand concours international à Paris. Son succès ne parvient pourtant pas à lui faire oublier Anton, son bien-aimé, parti à la guerre. Blessé puis prisonnier, Anton s’évade du convoi qui l’emmène au camp. Recueilli et caché par un brave Allemand antifasciste, il est arrêté par les Américains qui libèrent le village où il s’est réfugié. Le hasard permettra aux deux amants de se retrouver un jour sur le quai d’une gare.



Opinion

Troisième long métrage de Serge Paradjanov réalisé en Ukraine au Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, Rhapsodie ukrainienne a la particularité d’appartenir à la série de films mélodramatiques, très en vogue au début des années soixante, tel Roman et Francesca de Volodymyr Denyssenko, dont l’action se déroule partiellement en Occident. Fortement agrémentées de chansons populaires et d’arias d’opéra, ces œuvres ne prétendent pas véritablement constituer un film musical/film-opéra. Dans le cas du film de Paradjanov, la rhapsodie n’intervient que dans le titre, et non dans sa structure diégétique. Confié au grand compositeur de musique de film Platon Maїboroda, connu pour la fameuse chanson Rouchnytchok dans le film d’Alexandre Michourine Les Jeunes années (1958), l’arrangement musical est quelque peu illustratif et frôle parfois la revue. Paradjanov avouera que dans ce film, ses aspirations et ses inexpériences se heurtèrent violemment: leur coexistence s’avéra inévitablement cocasse et absurde. À l’époque, il ne possédait ni culture ni métier, mais que de bonnes intentions, intentions louables, avec un résultat peu satisfaisant, loin de la subjectivité de ses films postérieurs, dont la mise en scène se dissoudra dans une solution picturale. Sur la fin de sa vie, il évitait que l’on parle de ce film, bien que par certains thèmes il annonçait Les Fresques de Kiev (film de 1966 non terminé et partiellement endommagé), et que l’utilisation de la couleur (Sovcolor), enluminée de collages artisanaux, deviendrait l’élément significatif de sa quête esthétique. En ce sens, Rhapsodie ukrainienne alterne des scènes dominées par des tissus et des couleurs ouatées, et un monde minéral. La dissociation des matières qui symbolisent des mondes semble aussi supposer des voisinages ou des incrustations : ce qui devrait être ensemble mais est réellement séparé dans l’espace, se côtoie pourtant dans l’image. Les scènes sont éclatées et se répondent à travers des sensations et des sentiments liés par la musique, le chant et les chœurs. Mis à part quelques clichés conventionnels sur le patriotisme et les contraintes idéologiques du moment, la place faite à l’art lyrique dans ce film montre combien la musique a son importance dans l’œuvre du cinéaste, notamment dans la scène volontairement étirée d’Oxana devant son miroir où apparaît soudain Anton, réfugié dans une église allemande. Quelques plans laissent entrevoir un cinéaste en pleine mutation : un marché aux puces surréaliste, les ruines d’un théâtre où gisent pêle-mêle décors, toiles et sculptures, un soldat jouant du Beethoven sur un piano à queue. Dans les séquences montrant gauchement un Paris rêvé, Paradjanov arrive, avec peu de moyens à dire l’essentiel sans tomber dans le dépliant touristique par le truchement de l’humour et de la caricature : Paris au son du limonaire, peintres de la place du Tertre, ses clochards, passants africains, policier, midinette, titi parisien lisant ostensiblement L’Humanité (L’Humanitté, avec deux t - sic !). Exagérément présente, la propension paradjanovienne aux flashes-back (retour régulier au leitmotiv des rails et d’Oksana dans le train) est conçue pour dilater le canevas chronologique en évasant le lien entre le passé et le présent. Réalisé dans l’immuable tradition du cinéma soviétique de l’époque, cette chronique d’un amour de guerre se fond principalement sur les antithèses pour souligner le pathétique des situations. Les horreurs de la guerre sont volontairement éludées et remplacées par des objets symboles. Partagée entre le statique et le mouvement, la caméra n’est pas encore celle des Chevaux de feu.
Rhapsodie ukrainienne reste aussi un exercice de style pour le scénario signé Alexandre Levada. Admirablement interprété par Olga Petrenko, doublée pour les chants par Eugénie Mirochnytchenko, le rôle de la cantatrice, qui joue le fil rouge en reliant les séquences, figure comme rôle majeur dans la carrière de l’actrice qui tourna dans une quarantaine de films. Parmi les plus connus : Jeunesse inquiète d’Alexandre Alov et Volodymyr Naoumov, Le Poème pédagogique de Metchyslava Maїevska et Alexandre Masloukov, Une-deux, les soldats marchaient de Léonide Bykov, Mars froidd’Igor Minaiev, La Désintégration de Mykhaïlo Biélikov.


 

Lubomir Hosejko

 



Mardi 7 décembre 2010, 19h

 

UNE SOURCE POUR LES ASSOIFFÉS
(КРИНИЦЯ ДЛЯ СПРАГЛИХ)
vostf






 

Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, 1965, 73 mn. nb.

Scénario : Ivan Dratch

Réalisation : Youriï Illienko
Assistant réalisateur : Lev Kolesnyk

Photographie : Youriï Illienko, Volodymyr Davydov

Décors : Petro Maxymenko, Anatoliï Mamontov

Musique : Léonide Hrabovskyi

Son : Nina Avramenko

Montage : Natalia Pychtchykova
Costumes : Nina Kybaltchytch
Maquillage : Yakiv Grinberg

Directeur de production : David Yanover

Inteprétation : Dmytro Miloutenko, Laryssa Kadotchnikova, Théodossia Lytvynenko, Nina Alissova, Jemma Firsova, Ivan Kostioutchenko, Yevhen Baliev, Youriï Majouha, Olena Kovalenko, Kostiantyn Yerchov, Natalia Michtchenko, Volodymyr Lemport, Mykola Sylis, Hryhoriї Bassenko, Sachko Vienikov.

Genre  : art et essai


Synopsis

Dans un village déserté par ses habitants, un vieil homme dépérit dans la plus complète solitude. L’unique possibilité de la rompre est de rassembler ses enfants en leur envoyant un télégramme annonçant sa mort. Bientôt, toute la famille accourt pour son enterrement, sauf l’un de ses fils, pilote d’essai, qui vient de se tuer dans le crash de son avion.



Opinion

Une source pour les assoiffés est le premier long métrage de Youriï Illienko et Ivan Dratch, respectivement réalisateur et scénariste. Avec Les Chevaux de feu de Serge Paradjanov et La Croix de pierre de Léonide Ossyka, ce film de fin d’études amènera la production des Studios Dovjenko de Kiev à une définition éminemment nationale. Ivan Dratch, chef de file de la nouvelle vague littéraire ukrainienne, avait imaginé une histoire sur le dépeuplement d’un village en Ukraine. Le scénario était construit selon un schéma allégorique intéressant, une ciné-parabole – terme rejeté par la censure qui le qualifia d’antikhokozien –, dans un style visuel et sonore recherché autour du thème de l’eau. C’est l’histoire vraisemblable d’un vieillard abandonné par les siens qui s’éteint dans un village déserté. Il garde et entretient un puits où viennent se désaltérer toutes sortes de passants assoiffés. Les visions du vieillard traduisent un univers furtif et associatif, oscillant entre prémonition et prophétie, où tout est codifié : la fin de la vie spirituelle, la désintégration de la cellule familiale, la destruction de la vie rurale, la pollution. Pour le vieillard qui perd ses repères et ne peut retrouver la tombe de sa génitrice, la vie n’a de sens que si le puits ne tarit pas. Le film est imprégné de métaphores et d’allégories transposées de La Terre ou du Mitchourine de Dovjenko. Le vieillard rase le verger qu’il a planté dans sa jeunesse et porte les arbres sur ses épaules. Expérimental à plus d’un titre, cet opus étonne par son graphisme pictural dans un décor naturel presqu’irréel. Illienko le réalise dans le village de Melnyky de la région de Tcherkassy où ne survivent que quelques veuves de guerre. Les khatas sont perchées sur des monticules de sable et les vergers noyés dans le tchernoziom en contrebas. On croit voir une mer de sable qui avance, un arbre mort, une terre aride, alors que l’œil du spectateur est habitué à voir une pomme, une porteuse d’eau, un cheval noir. Paysage rare en Ukraine, cette anomalie géologique rend tangible la sensation d’oppression et de canicule. Le film est tourné en noir et blanc sur pellicule Nikron avec des scènes en négatif, portées à l’incandescence ou solarisées. La mise en scène pourrait être celle de Paradjanov avec une présentation frontale et statique d’éléments décoratifs. Bien que le nom du compositeur Léonide Hrabovskyi figure au générique, il n’y a pas, à proprement parler, de musique de film, mais une polyphonie de sons-collages : le vent, le grincement du puits, le silence, le son du carillon rebondissant sur l’eau, la terre, le ciel. La caméra est assagie. Elle ne traque pas, elle est traquée par le regard du vieillard (Dmytro Miloutenko). L’acteur attend la mort dans le film mais aussi sa propre mort. Il décèdera peu après le tournage. À ses côtés, Laryssa Kadotchnikova, plus belle encore que dans Les Chevaux de feu, Théodossia Lytvynenko, Nina Alissova, Jemma Firsova, futures vedettes des films d’Illienko.

Le film, dont le budget se situait à hauteur de 268 000 roubles de l’époque, fut interdit sur décision du CC du PCU (Décision n°3 du Comité d’État de la RSS d’Ukraine pour la cinématographie du 10 mars 1967) pour son style, son langage allégorique obscur qui, selon la critique officielle, salissait la réalité soviétique (quand bien même Ivan Dratch avait saupoudré ce scénario de quelques anecdotes pour contourner les affres de la censure). Il fut l’un des premiers d’une longue liste de films qui seront mis à l’index et ne seront réhabilités qu’à l’issue du Vème Congrès de l’Union des cinéastes de l’URSS en novembre 1987. Le déchaînement des autorités contre l’exploitation commerciale du film d’Illienko illustrait bien la vague de destructions physiques d’œuvres uniques que subira le cinéma pendant la stagnation brejnévienne. Les salles de montage étaient scellées, le matériel confisqué. Il arrivait parfois que les agents de la sécurité oubliaient quelques pièces à conviction. C’était justement le cas d’Une Source pour les assoiffés dont une copie était en cours de développement pendant la perquisition nocturne des laboratoires. Elle fut cachée par les techniciens des années durant. La veille de la descente du KGB dans les Studios Dovjenko de Kiev, Illienko subtilisa sa propre copie de travail qu’il remisa dans son garage durant 22 ans. Comme toute nouvelle expérience en URSS, celle d’Illienko eut une fin. Fauché dans son élan vers un cinéma d’auteur, le réalisateur devint, dans un premier temps, le porte-drapeau d’un cinéma en pleine renaissance puis, brimé pendant la stagnation brejnévienne, il entreprit la réalisation de films plus sages. La source s’était tarie, le cinéma aussi. Le film sera montré pour la première fois en novembre 1987 dans un festival organisé par le ciné-club de Zaporijjia, puis en 1988 au Festival International de San Francisco.


 

Lubomir Hosejko

 



Mardi 2 novembre 2010, 19h

 

LES SURVIVANTS
(ЖИВІ)
vosta


Projection suivie d’une intervention de Mark Edwards, producteur.








 

Production : Lystopad Film, 2007, 75 mn. coul.

Scénario : Serhiї Boukovskyi, Serhiї Trymbatch, Victoria Bondar, Evhenia Kravtchouk

Réalisation : Serhiї Boukovskyi
Assistant : Valentyna Selentieva

Photographie : Volodymyr Koukorentchouk

Cadreurs : Pavlo Kazantsev, Roman Yelenskyi

Montage : Alexandre Soukhov

Son : Igor Barba, Heorhiї Stremovskyi

Directeur de production : Maryna Cheloubska
Coordination : Olga Soulimenko
Régie : Serhiї Zakharov
Genre : documentaire

Récompense : Grand Prix de Genève, Forum International Médias Nord-Sud de Genève, septembre 2009.


Synopsis

Couvrant la période tragique de 1932-1933, ce documentaire est basé sur les observations de Gareth Jones, jeune journaliste gallois qui se rendit illégalement en Ukraine en mars 1933. Le récit est tissé de témoignages de ceux qui, dans leur enfance et dans l’attente de la mort, ont survécu à la Grande Famine.



Opinion

Le film commence sur des images du président Victor Youchtchenko déambulant avec sa fille dans un bosquet, lieu de sépulture anonyme des gens du village de Kojoukhivka, morts pendant les années tragiques de la Grande Famine. Il se termine par le vide laissé par d’ultimes témoins oculaires rappelant qu'il n'y aura bientôt plus personne pour évoquer les horreurs de la Famine. Agrémenté de documents d’archives parfois inédits (SBU, Croix Rouge, Archives nationales de Pologne, de l’Italie ou privées), ce documentaire est aussi un hommage à Gareth Jones qui parcourut à pied un territoire officiellement fermé aux étrangers et exposa au monde, de manière fiable et impartiale, les raisons de la famine. Considéré comme observateur indépendant et gênant, il sera assassiné dans des circonstances mystérieuses en 1935 en Mandchourie. La découverte tardive, en janvier 1990, de ses carnets de voyage et articles au vitriol permit aux chercheurs et historiens d’établir de nouvelles passerelles cognitives sur le Holodomor et de conscientiser l’opinion publique. L’idée de réaliser un film sur le Holodomor avait été émise par le président Victor Youchtchenko, en 2006, à l’issue de la première du film de Serhiї Boukovskyi Spell your name, qui traitait de la Shoah en Ukraine ( lors des recherches de témoignages se référant à ce dernier film, plusieurs témoignages avaient été enregistrés sur la Grande famine ). À vrai dire, bien avant que cette idée ne soit soufflée en direction de Steven Spielberg présent pendant la cérémonie, cette remarque avait été exploitée dès 1989 par l’acteur Mykola Ichtchenko à la sortie du film Le Songe du même Boukovskyi. En 2008, le producteur d’origine américaine Mark Edwards confia à Serhiї Boukovskyi, chef de file des documentaristes ukrainiens, la réalisation de cet opus reposant sur de nouveaux éléments mais encore sur les antagonismes politiques existant dans l’Europe des années 30. Plus que tout autre cinéaste engagé ayant travaillé sur le thème du Holodomor dans la décennie écoulée, Serhiї Boukovskyi réussit à créer le recul nécessaire à l’égard du sujet sans se risquer à faire sentir le poids des revendications nationales ou sociétales, et se gardant même d’employer le terme de génocide. Pourtant, le film ne se prive pas de couvrir d’ignominie une frange de la population autochtone qui participa aux réquisitions et aux exactions. D’une remarquable tenue conceptuelle, tel le travail sur la reconstruction de la bande son d’images d’archives, à l’instar des documentaires de Serge Loznitsa, Les Survivants s’inscrit dans la continuité de la nouvelle école documentariste ukrainienne. Présenté dans plusieurs festivals de par le monde, ce documentaire reste cependant inédit en France.


 

Lubomir Hosejko

 



Mardi 5 octobre 2010, 19h

 

ROUSLAN, CHIEN FIDÈLE
(ВІРНИЙ РУСЛАН)
vostf


projection suivie d’une intervention d’Elisabeth Gesatt-Anstett, anthropologue, chercheur au CNRS






 

Production : Studio Fest-Zemlia, Fond Culturel ukrainien, Svea Sovconsult (Suède) 1991, 101 mn, coul.

Scénario : Volodymyr Khmelnytskyi, d’après le récit de Gueorgui Vladimov

Réalisation : Volodymyr Khmelnytskyi

Photographie : Natalia Kompantseva

Décors : Jevhen Pitenine

Musique : Volodymyr Bystriakov

Son : Igor Barba

Inteprétation : Léonide Yanovskyi, Lidia Fédosseiéva-Choukchina, Jevhen Nikitine, Serhiї Pojohine, Mykola Sektymenko, Viktoria Korsoun, Lidia Tchachtchina, Bohdan Beniouk, Taras Kyreїko, Mykhaїlo Ignatov.

Genre  : film dramatique animalier


Synopsis

Rouslan est un berger allemand qui ne comprend plus le monde. Après avoir passé sept années de dur labeur au Goulag, il perd son travail le jour, où il n’entend plus d’ordre et où la neige a définitivement recouvert les traces des bagnards libérés. Sa vie perd tout son sens. N’ayant plus rien à faire, il réfléchit à ses perspectives d’avenir et revoit son passé parmi ses congénères livrés à eux-mêmes. Rouslan n’accuse pas son maître, ne lui fait aucun reproche. Il est vieux et sait que les maîtres font parfois des erreurs. Il sait que les chiens de garde répondent toujours de leurs erreurs, et souvent des erreurs de leurs maîtres. Cela était déjà arrivé à Rex, un chien très expérimenté et dévoué qu’il enviait.



Opinion

Avec Le Dernier bunker de Vadim Illienko et Le Paria de Volodymyr Saveliev, Rouslan, chien fidèle est l’un des trois films produits par le Studio Fest-Zemlia, unité de production éphémère, créée au moment où l’Ukraine accédait à son indépendance. Son réalisateur Volodymyr Khmelnytskyi avait fait ses armes à l’Ukrtéléfilm puis au Studio des films de vulgarisation scientifique. Après avoir réalisé une trentaine de documentaires sur la société soviétique, la jeunesse, le tourisme, le sport, il tâta du film de fiction au Studio d’Odessa en signant en 1976 le scénario et la mise en scène Moi – le plongeur 2. Il revint à la fiction en 1991 avec Rouslan, chien fidèle, tiré du récit éponyme, largement diffusé dans les années 70 en samizdat, de Gueorgui Vladimov (Volosevytch), écrivain dissident et futur activiste d’Amnesty International. Tout au long de cette saisissante allégorie sur l’univers concentrationnaire, Rouslan est la métaphore terrible de la foi aveugle d’une société tout entière et de chaque individu qui, comme le fidèle Rouslan, servit longtemps et honnêtement les idéaux du socialisme. Un socialisme de caserne et de barbelés où n’existait pas un pouce de terre où une créature n’en garde une autre et où il fut son propre garde-chiourme. Plus incisive encore, la métaphore mettant en garde tout un chacun dans la séquence finale, où Rouslan, retrouvant son instinct de tueur, se jette sur des jeunes recrues marchant vers ce que fut jadis le camp. La réussite du film est due à la maîtrise du cinéaste qui avait travaillé dans le film animalier (Les Hommes et les dauphins, Le Cerf blanc de la toundra) ainsi qu’au parallèle tracé entre la libération soudaine de l’animal, conduisant à la désorientation, et la confusion morale de l’URSS après le cauchemar stalinien. Ce deuxième et dernier long métrage de Volodymyr Khmelnytskyi s’inscrit dans le registre des films-constat, au même titre que Famine 33 d’Olès Yantchouk, Le Tango de la mort d’Alexandre Mouratov, sortis en 1991.


 

Lubomir Hosejko

 



Jeudi 9 septembre 2010, 19h

 

ANNYTCHKA
(АННИЧКА)
vo







 

Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, 1968, 89 mn, nb.

Scénario : Boris Zahoroulko, Victor Ivtchenko

Réalisation : Boris Ivtchenko

Photographie : Mykola Koultchytskyi

Décors : Valeriї Novakov

Musique : Vadim Homolaka

Son : Ryva Bisnovata

Inteprétation : Loubov Roumiantseva-Chornovol, Grigore Grigotiu, Kostiantyn Stepankov, Ivan Mykolaїtchouk, Anatoliï Barchouk, Ivan Havrylouk, Olga Nojkina, Boryslav Brondoukov, Vassyl Symtchytch, Vitaliї Rozstalnyi, Victor Stepanenko, Victor Mirochnytchenko, Fedir Stryhoun, N. Kozlovska, Boris Ivtchenko.

Genre  : film dramatique

Entrées  : 21,1 millions de spectateurs


Récompenses : Prix spécial du jury au Festival international de Phnom Penh en 1969. Diplôme de la Meilleure première œuvre au Festival des Républiques d’Ukraine et du Caucase, Kiev, 1969.


Synopsis

Annytchka, une jeune Houtsoule, découvre par hasard sur les lieux d’un combat un partisan soviétique blessé. Elle le soigne et le cache et en tombe amoureuse. Après avoir éconduit son ancien fiancé Roman, devenu policier collabo, elle décide de rejoindre avec son amoureux les partisans de Kovpak. Pris de folie, son père la tue.



Opinion

Film dramatique apportant la composante romantique au courant de l’École poétique de Kiev, Annytchka est aussi l’histoire de deux amis, le pauvre Ivanko (Ivan Havrylouk) et le policier Roman Derytch (Ivan Mykolaїtchouk), tout deux amoureux d’Annytchka (Loubov Roumiantseva). L’action se déroule en 1943, lorsque les partisans de Kovpak effectuent un raid dans les Carpates. Pendant la fête de la moisson, Ivanko et Roman décident de régler leur différend à la loyale en exécutant l’arkane, une danse houtsoule endiablée. Le vainqueur de ce duel acrobatique pourra espérer les faveurs de la jeune fille. Mais les événements se précipitent et prennent une autre tournure. Ivanko rejoint dans la montagne les partisans communistes. Roman devient collabo. Lors d’un banquet organisé par le nationaliste Kroupiak (Boryslav Brondoukov) en l’honneur d’officiers allemands, il reçoit même la Croix de fer pour sa fidélité au Reich. Kroupiak a la monstrueuse idée de faire danser les partisans capturés sur une estrade jonchée de tessons de bouteille. Parce qu’ils refusent de danser pieds nus, ils sont exécutés sur le champ, sauf Ivanko qui accepte le défi. Dardant son regard sur Roman, il danse pour Annytchka. Mais, comme pour ses camarades, l’estrade a été dressée pour son exécution. Envahi par les remords, Roman regrette sa conduite. Rien n’apaisera sa conscience, pas même son union avec Annytchka. Lors de la danse nuptiale, selon la coutume, un garçonnet lui jette une assiette décorée qui se brise. La mélodie du cymbalum se transforme progressivement en tintement de verre pilé qui lui déchire les tympans. La mise à mort d’Ivan le hante.
Tourné dans les Carpates, Annytchka est le premier long métrage de Boris Ivtchenko, réalisateur qui disparaîtra très tôt en 1990. Fils du metteur en scène de théâtre et de cinéma Victor Ivtchenko, le jeune cinéaste a hérité de son père la manière de traiter les thèmes sensibles, tels la collaboration, la forfaiture, le nationalisme, en centrant l’action sur l’héroïsme féminin. Que ce soit dans Ivanna (1959, film de V. Ivtchenko) ou dans Annytchka, les jeunes femmes initialement peu concernées par les problèmes de société finissent par s’y impliquer. Boris Ivtchenko admettra plus tard que les images de son film étaient volontairement négatives parce qu’elles se rapportaient à une période douloureuse de l’Histoire, souvent noircie par esprit de conformité idéologique. Des deux versions de la scène finale – le suicide et la folie de Roman - il choisit la seconde, plus dure et plus tragique. Mykolaїtchouk est si bien entré dans la peau de son personnage que, déjà pendant le tournage, il est apostrophé et qualifié de nationaliste ukrainien. À Kiev, il est immédiatement catalogué comme opposant à l’idéologie communiste. À l’instar de ses confrères, Boris Ivtchenko connaît lui aussi ses premières difficultés avec les autorités qui ne cachent pas leur agacement de voir les cinéastes camper dans les Carpates, désormais leur repère favori. Par ailleurs, le néophyte impose d’emblée sa méthode de filmer dans l’ordre chronologique du découpage, pour coller, selon lui, au plus près de la contexture du réel et de la vérité. Cette méthode, qui fait fi de tout plan de travail, est décriée par le directeur de production qui menace le jeune débutant de lui adjoindre un superviseur, voire d’arrêter la production du film. Mais au vu des rushes, le résultat surprend par la primeur et l’originalité du scénario et, surtout, par la performance artistique du jeune premier Ivan Havrylouk. Sacré vedette de l’écran, ce dernier sera suspecté néanmoins de sympathie bandériste. L’Âme de pierre, le nouveau scénario de Boris Ivtchenko écrit avec Mykolaїtchouk, sera refusé en première lecture.


 

Lubomir Hosejko

 








Mardi 1er juin 2010, 19h

 

LES SCEAUX DE L’HETMAN
(ГЕТЬМАНСЬКІ КЛЕЙНОДИ)
vo





 

Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, 1993, 87 mn, coul.

Scénario : Serhiї Diatchenko, Léonide Ossyka

Réalisation : Léonide Ossyka

Photographie : Vadim Illienko

Décors : Inna Bytchenkova

Musique : Volodymyr Houba

Son : Bohdan Mykhnevytch

Inteprétation : Serhiї Romaniouk, Loudmyla Yefimenko, Lès Serdiouk, Svitlana Kniazeva, Boris Khmelnytskyi, Volodymyr Kolada, Volodymyr Holoubovytch, Kostiantyn Stepankov, Taїssia Lytvyvenko, Vladyslav Kryvonohov, Svitlana Krout.

Genre  : drame historique


Synopsis

Après la mort de l’Hetman Bohdan Khmelnytskyi, l’Ukraine se déchire pour sa succession. D’un côté, la majorité des officiers supérieurs cosaques qui ont soutenu Khmelnytskyi lors des guerres contre les Polonais, de l’autre les prorusses regroupés autour du colonel Martin Pouchkar qui ambitionne de devenir le maître de l’Ukraine, appuyé par une partie des Cosaques Zaporogues opposés à l’élection du nouvel Hetman Ivan Vyhovskyi. Les sceaux de feu l’Hetman gardés par sa fille Olèna sont convoités par Zahrava qui n’hésite pas à enlever la femme et les deux enfants de Jourba, fidèle serviteur de l’Hetman.



Opinion

Léonide Ossyka, qui depuis Zakhar Berkout (1971) espérait monter une superproduction historique, réalise en 1993 le dernier film de sa carrière Les Sceaux de l’Hetman, d’après le roman de Bohdan Lepkyi L’Abîme. Interdit en Ukraine Soviétique, le roman décrit les événements de 1659 sur fond d’infamies, de forfaitures et de luttes intestines de la noblesse cosaque. L’Ukraine risque de perdre son indépendance car la Russie ne la considère plus comme un pays ami mais comme l’objet de son expansion territoriale, passant outre le traité d’alliance qu’elle avait signé avec elle en 1654. Le sujet est traité à la limite du film d’aventures avec des héros exempts de contradiction. Après maints rebondissements et un duel final entre Zahrava (Boris Khmelnytskyi) et Valko Bossakivskyi (Serhiї Romaniouk), les sceaux seront enterrés, à l’insu de tous, par Olèna (Loudmyla Yefimenko) et Valko qui s’en iront vivre avec la mémoire des lieux. Filmé dans une authentique propriété cosaque, Les Sceaux de l’Hetman ne s’inscrit pas dans la série des western-borchtch, méthode décriée par Léonide Ossyka à l’encontre des réalisateurs comme Boris Chylenko (La Vallée noire) ou Serhiї Omeltchouk (La Marche des Cosaques). Pas vraiment un film à thèse ni film d’auteur, il est un dernier adieu au cinéma et à l’Ukraine auxquels le réalisateur se consacra corps et âme, avec ses acteurs fétiches, Svitlana Kniazeva, Kostiantyn Stepankov, Lès Serdiouk et tant d’autres. Le personnage central est interprété par le quadragénaire Serhiї Romaniouk dont la première apparition sur les écrans annonce l’un des plus grands acteurs du cinéma ukrainien contemporain.

Au moment de la sortie du film, il était intéressant de comparer la crise politique, économique et culturelle des toutes premières années de l’indépendance de l’Ukraine de 1991 avec le thème du film sur l’époque cosaque communément appelée les Temps de la ruine. La projection dans l’actualité immédiate était frappante : lutte pour le pouvoir, résistances passéistes, sentiment de semi-liberté ou de semi-indépendance où chacun se repent mais n’en fait qu’à sa tête. Souvent en avance ou en adéquation avec son temps, Léonide Ossyka termine sa carrière à un moment clef de la renaissance de sa patrie. L’Histoire retiendra que Les Sceaux de l’Hetman était en cours de réalisation lors de la remise solennelle des Grands Sceaux de la République Nationale d’Ukraine par le président en exil Mykola Plaviouk au président en exercice Léonide Kravtchouk. La hache de guerre était définitivement enterrée.

Dans la foulée, Ossyka n’entreprendra pas son nouveau long métrage, Dovbouch, mis en chantier scénaristique et liste d’attente depuis plus de vingt ans, car jugé trop coûteux. Dans un ultime effort, il se lancera avec Lès Serdiouk, dans un projet sans lendemain. Après quelques jours de tournage, Et ne nous soumets pas à la tentation est abandonné, faute d’argent. Le réalisateur décèdera en 2001, après Ivan Mykolaїtchouk (1987) et Serge Paradjanov (1990), les deux grands ténors du courant de l’Ecole de Kiev.


 

Lubomir Hosejko

 



Mardi 4 mai 2010, 19h

 

LES CLOCHES DE PAILLE
(СОЛОМ’ЯНІ ДЗВОНИ)
vostf


Avec le concours d’Arkeion Films




 

Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, 1987, 142 mn, coul.

Scénario : Youriї Illienko

Réalisation : Youriї Illienko

Photographie : Youriї Illienko

Décors : Alexandre Danylenko, Alexandre Cheremet

Son : Bohdan Mykhnevytch

Montage : E. Soummovska

Directeur de production : Mykola Vesna

Inteprétation : Lès Serdiouk, Pylyp Illienko, Serhiї Pidhornyi, Mylhaїlo Holoubovytch, Nina Matvienko, Loudmyla Yefimenko, Borys Galkine, Maїa Boulgakova, Serhiї Haletiї, Mykola Mouraviov, Natalia Soumska, Olga Soumska, Vassyl Tsybenko, Dmytro Tsapenko, Loudmyla Lobza, Victor Demertach.

Genre  : drame psychologique


Récompenses : Prix du meilleur acteur à Lès Serdiouk au XXVIème Festival International du film de Karlovy Vary de 1988. Prix décerné à Youriї Illienko pour sa contribution au développement du cinéma ukrainien au Festival républicain de Dnipropetrovsk en 1988.


Synopsis

Quelqu’un a tiré sur Vilhota, père du collabo Yourko, tué naguère par les partisans. Vilhota, qui fut en cheville avec les fascistes, cache soigneusement ce fait connu de tout le monde et du jeune Sachko que soupçonne le milicien chargé de l’enquête. Se sentant menacé, Vilhota veut se débarrasser du milicien et de Sachko avant que n’intervienne Yakiv Tcherneha, le père de Sachko.



Opinion

C’est avec Les Cloches de paille que prend fin, en pleine perestroïka, la période de contrainte idéologique du cinéma de Youriї Illienko. Au Festival de Dnipropetrovsk, le Prix de la contribution personnelle au développement du cinéma ukrainien lui est remis en 1988, dès son retour de Toronto, où il fut l’invité d’honneur au Festival du film ukrainien en compagnie des poètes et scénaristes Ivan Dratch et Dmytro Pavlytchko. Il y avait montré ses œuvres maîtresses, Une source pour les assoiffés, La Nuit de la Saint-Jean, mais son dernier opus Les Cloches paille ne fut projeté qu’en huis clos dans une salle communale.
Ne subissant plus la pression idéologique brejnévienne, par laquelle il avait perdu la lucidité de regard du cinéma d’auteur de ses débuts, Illienko amorce une transition vers un art plus libéré. Les personnages de sa dramaturgie, bons et méchants, rouges ou bruns, paient une dernière fois leurs trahisons mutuelles et paranoïa lassante par nettoyage ethnique et éthique. Et si ce film reste en-deçà des films à constat social de ses confrères Mykhaїlo Biélikov (La Désintégration), Léonide Ossyka (Entrez, assoiffés), ou des films tentés par l’argument commercial de Roman Balaїan (Le Fileur) et de Viatcheslav Krychtofovytch (Femme seule désire rencontrer), il suit le postulat logique et immuable des propres choix thématiques du réalisateur. Ces choix sont empruntés à la littérature soviétique ukrainienne centrée sur l’Histoire, comme le confirme sa filmographie tout entière.
Tiré du récit de l’écrivain Yevhen Houtsalo La Zone morte, ce dixième long métrage de Youriї Illienko se passe de musique, comme jadis dans Une source pour les assoiffés, mais porte un titre métaphorique, allusif aux bruissements mélodiques des champs de seigle communément appelés cloches de paille. Relayées par la voix de la chanteuse Nina Matvienko, ces mélopées traduisent les misères d’une nation soumise aux maintes invasions et occupations ennemies. Elles épousent les réminiscences de la réalité filmophanique, entrelacée de scènes d’une extrême violence autour d’une population traumatisée par l’occupation allemande et la police supplétive. La scène de la pendaison, l’insoutenable scène où un nouveau-né est jeté sur un toit de chaume dévoré par le feu, évoquent la barbarie nazie dans l’Arc-en-ciel de Marc Donskoï. Irréaliste, celle du réveillon de Noël met en émoi toute une famille contrainte de manger une nourriture dans une écuelle vide, sous l’œil d’un officier allemand. Au fil du récit filmique, la caméra de Youriї Illienko annonce son retour aux impulsions oniriques et surréalistes, notamment dans les plans aériens expressément chagalliens. L’interminable séquence, où apparaissent en enfilade wagons et compartiments d’un train, véritable morceau d’anthologie fixant dans un long travelling les parias et les nantis de la population au sortir de la guerre, est digne d’une invention fellinienne. L’interprétation très convaincante de Lès Serdiouk dans le rôle de Vilhota, sans doute le plus émouvant de sa carrière, de Loudmyla Yefimenko dans le rôle de la démente, et de Pylyp Illienko dans celui de Yachko, atteste d’une direction d’acteur maîtrisée qui avait fait défaut au réalisateur pendant la stagnation. Les Cloches de paille met fin à la longue série de films qui stigmatisaient la participation des collabos à l’occupation allemande. Les frères Vadim et Youriї Illienko seront les premiers à revenir sur cette période sombre à travers leur nouveau film Le Dernier bunker (1990). Ils essaieront d’évacuer les clichés antinationalistes sans toutefois prétendre réhabiliter le maquis nationaliste, mais le replacer dans son contexte historique par rapport à la tournure que prennent les événements dans le nouveau paysage politique de l’Ukraine en marche vers son indépendance.


 

Lubomir Hosejko

 



Mardi 6 avril 2010, 19h

 

AÉROGRAD
(АЕРОГРАД) vostf









 

Restauration numérique : Centre National Alexandre Dovjenko, IBS d’ART 2006, Kiev

Production : Mosfilm, Ukraїnfilm, 1935, 78 mn, nb.

Scénario : Alexandre Dovjenko

Réalisation : Alexandre Dovjenko
Assistants-réalisateurs : Youlia Solntseva, Stépan Kevorkov

Photographie : Edouard Tissé, Mikhaïl Guindine, Nikolaї Smirnov

Décors : Alexeï Outkine, Victor Panteleiev

Musique : Dimitri Kabalevsky
Texte des chansons : Victor Goussev

Son : Nikolaї Timartsev

Directeur de production : Oleg Kokhan

Inteprétation : Stépan Chahaїda, Stépan Chkourat, Sergueï Stoliarov, G. Tsoї, Boris Dobronravov, Nikolaї Tabounassov, Léonide Kan, I. Kim, Elena Maximova, Evguenia Melnikova, Volodymyr Ouralskyi.

Genre  : ciné-poème patriotique

 


Synopsis

Ami de Dersou Ouzala, le chasseur de tigres et frontalier Stépan Hlouchak poursuit deux saboteurs japonais dans la taïga. Après avoir tué le premier, il retrouve l’autre chez son ami Khoudiakov, lui-même en cheville avec les Japonais. Des vieux-croyants, manipulés par le koulak Chabanov, s’opposent à l’édification d’une ville sur la côte du Pacifique. Le soulèvement réprimé, Hlouchak exécute Khoudiakov pour trahison, alors que, par centaines, des avions déferlent sur la taïga, amenant les constructeurs d’une future cité.



Opinion

N’hésitant pas à s’expatrier à Moscou après la grande famine en Ukraine de 1932-33, Alexandre Dovjenko connaît un double exil l’éloignant à la fois de sa terre natale et de son univers créatif qu’il réimagine en Extrême-Orient, lors d’une longue expédition pour les repérages de son nouveau film, Aérograd. Avec le scénariste Alexandre Fadéiev, qui avait vécu sa jeunesse en Sibérie, il parcourt à l’automne 1933 la taïga, mais des divergences dans la conception même du film les séparent dès leur retour à Moscou. C’est finalement le réalisateur lui-même qui écrit le scénario, très différent du projet primitif. Tout en se prévalant du réalisme socialiste naissant, son scénario penche plutôt vers un romantisme pathétique et hymne à l’avenir radieux. Confronté pour la première fois à un paysage non-ukrainien, il trouve dans l’immensité du site un exutoire poétique, photographié par Edouard Tissé, qui n’altère en rien le style du tandem Dovjenko-Demoutskyi. Dans des conditions climatiques souvent très hostiles, il lance un défi au temps, à l’espace et à l’action. Plaidoyer héroïque et lyrique sur le patriotisme soviétique par sa forme, film de défense par son contenu, Aérograd demeure une synthèse de l’imaginaire et du visionnaire. Mais c’est aussi une mystification chère à l’âme slave qui abolit la notion du temps, recule les limites de l’espace et active la complexité des digressions philosophiques pour ne servir que le support idéologique et politique, la défense de la patrie contre l’infiltration d’espions insaisissables. Partant du projet de la construction de nouvelles villes qui serviront de base de défense aérienne sur la côte Pacifique, afin de parer à une éventuelle invasion japonaise de la Sibérie orientale, Aérograd reste invisible dans le film parce que futur objectif militaire dont l’emplacement est suggéré au cours d’une conversation avec Staline par Dovjenko lui-même : « Nous devons créer une ville au bord de l’océan, un second Vladivostok… Aérograd n’est pas une fiction d’artiste, mais la réalité de notre temps. Et si la ville n’existe pas encore, ce n’est pas bien grave. » Cité utopique, Aérograd reste un prétexte. Un jeune Tchouktche, courant 80 soleils pour y venir étudier, ne se sent nullement rebuté par son inaccessibilité. Si Aérograd n’existe pas encore, il le bâtira. Et si ce film d’anticipation s’inscrit dans la production de films appelés films de défense, aux avant-postes d’un cinéma de plus en plus martial, alimenté par des bandes vulgarisatrices traitant de la préparation militaire, il est d’abord un film sur la taïga et sur les hommes de la taïga. Humaniste, Dovjenko s’attarde sur la communauté des vieux-croyants, vieux-ritualistes schismatiques, réfractaires à la réforme de 1653. Pourchassés, vivant au fin fond de la taïga, ils sont utilisés par les Japonais en vue de leurs propres buts de conquête. Comme dans tous ses films précédents, le réalisateur traite le thème de la mort se fondant dans la magnificence du décor naturel. Lorsque le traître affronte sa propre exécution, c’est à la mort tragique d’André de Taras Boulba que pense le réalisateur. Dovjenko, qui depuis Zvenyhora a la fâcheuse manie d’hypertrophier les happy-end de ses films par des défilés militaires, n’échappe pas, une fois de plus, à cet exercice bolchevisant : parachutistes, aviateurs, marins, convergent par centaines vers Aérograd. Ceci conforte sa servile soumission dans la terreur stalinienne, lorsqu’il affirme qu’il se considère comme un combattant, un militaire dans les troupes du Parti. Proposé comme plat de résistance au Premier Festival kolkhozien de Kiev à l’automne 1935, âprement discuté et divisant les spécialistes, Aérograd ne tardera pas à quitter l’écran. Ayant trouvé asile à Moscou puis envoyé en Sibérie pour voir de quel bois il devait se chauffer, Dovjenko sera interpellé par Staline lors de la remise du Prix Lénine pour sa contribution à l’évolution de la cinématographie soviétique : « Il a encore une dette. Il nous doit un Tchapaiev ukrainien ». Le réalisateur retournera donc à Kiev pour tourner Chtchors dans un studio spécialement construit à cet effet. Son exil devenait-il alors un véritable asile plutôt qu’une double résidence pour cinéaste en mal de soutien ou en mal d’avenir ? À vrai dire, le cinéaste avait tout simplement une colossale aptitude à s’orienter dans les événements politiques et de passer à travers les purges et les confrontations directes avec le maître du Kremlin.


 

Lubomir Hosejko

 



Mardi 2 mars 2010, 18h45

 

MELODIE POUR ORGUE DE BARBARIE
(Мелодія для шарманки) vosta



Projection suivie d’une intervention d’Eugénie Zvonkine auteur d’une thèse de doctorat intitulée « Les états de la dissonance dans l’œuvre de Kira Mouratova, 1958-2009 ».







 

Production : Studio d’Odessa, Sota Cinema Group, 2009, 153 mn, coul.

Scénario : Kira Mouratova, Vladimir Zouiev

Réalisation : Kira Mouratova

Photographie : Vladimir Pankov

Décors : Yevhen Holoubenko

Musique : Volodymyr Sylvestrov

Directeur de production : Oleg Kokhan

Inteprétation : Roman Bourlaka, Olena Kostiouk, Natalia Bouzko, Jean Daniel, Gueorgui Deliev, Renata Litvinova, Nina Rouslanova, Oleg Tabakov, Mykola Sliozka, Pylyp Panov.

Genre  : comédie dramatique

 


Récompense : Meilleur rôle féminin (Prix FIPRESCI) à Olena Kostiouk, au XXXIème Festival International du Film de Moscou 2009 ; Grand Prix au 38ème Festival Kinochok des pays de la CEI et des Pays Baltes (Anapa), 2009.

Synopsis

Le jour de Noël, le petit Nikita et sa demi-sœur Aliona dorment appuyés l’un contre l’autre dans un train qui les emmène en ville. Plus tard, nous comprendrons qu’ils sont à la recherche de leurs pères respectifs. Leur itinéraire semé d’embûches les mène à travers tous les lieux emblématiques de l’Ukraine contemporaine…



Opinion

Ce long-métrage est le dernier en date de Kira Mouratova, une cinéaste soviétique puis postsoviétique, aujourd’hui classée par Andrei Plakhov, l’un des critiques russes les plus en vue, comme l’une des « grands classiques vivants ». Réputée pour être une cinéaste marginale, Mouratova parvient à étonner et déranger avec chaque nouveau film. « Je ne représente aucune école, je n’en crée aucune et je n’en ai créée aucune, clame-t-elle. Tu es ce que tu es. Par exemple, je dis : je dois plaire en premier lieu à moi-même, et ensuite il me serait agréable de plaire aussi à l’humanité. Mais même si je ne le disais pas, je ne pourrais rien faire d’autre. Je peux dire : celui-ci, il fait des films pour l’argent, mais même pour l’argent, il fait aussi comme il sait, autrement dit, comme il aime, ce qu’il aime, ce qui lui plait. De toute façon, les gens font ce qu’ils peuvent, ce qui leur est caractéristique. »
Mélodie pour orgue de Barbarie, qui raconte l’histoire de deux orphelins à la recherche de leurs pères respectifs, n’échappe pas à la règle et se présente comme un film surprenant. Il semble prendre la suite de films-contes mouratoviens tels que Le Milicien amoureux (1992) où l’intrigue démarrait lorsqu’un milicien trouvait un bébé dans un chou. Il apparaît, en effet, de prime abord comme un conte de Noël, car il est émaillé de références aux grands classiques littéraires du genre tels que Le Petit garçon à l’arbre de Noël du Christ de Dostoïevski ou encore La Petite fille aux allumettes d’Andersen. L’imagerie de Noël parsème le film sous forme de sapins synthétiques aux couleurs criardes, qui surgissent dans la gare, le supermarché, le casino et les rues de la ville et qui sont vendus dans le train, ou encore sous forme de cartes postales et de chants de Noël. Mais cette imagerie est détournée ou inversée. Le conte de Noël se révèle être un anti-conte non seulement dans sa narration, mais également et surtout dans son refus de l’empathie et du miracle divin. La société que le parcours des enfants permet au spectateur de découvrir est une société éclatée, où se côtoient des personnages isolés et incapables de communiquer. Plus encore, des espaces entiers de cette société autiste semblent dédiés aux pratiques solitaires et soliloquantes. C’est le cas pour le supermarché, où l’action du film vient s’échouer. Si le film se refuse à être un simple conte, il ne se satisfait pas non plus de refléter l’état du monde contemporain. À travers quelques éléments, nous sentons sourdre dans la structure du film une temporalité mythologique.


 

Eugénie Zvonkine

 



Mardi 2 février 2009, 19h

 

DANIEL DE GALICIE
( Данило, князь Галицький ) vo



Projection suivie d’une intervention de Iaroslav Lebedynsky, historien et enseignant à l’INALCO.





 

Production : Studio d’Odessa, 1987, 100 mn, coul.

Scénario : Olès et Yaroslav Loupiї

Réalisation : Yaroslav Loupiї

Photographie : Victor Kroutine

Décors : Yevhen Lyssyk

Musique : Volodymyr Houba

Son : Anatoliї Netrebenko

Montage : T. Prokopenko

Directeur de production : Olga Senina

Inteprétation : Victor Yevgrafov, Ivan Havrylouk, Serhiї Bystrytskyi, Mykhaїlo Hornostaї, Nourmoukhan Jantourine, Bolot Beichenaliev, Ernest Romanov, Bohdan Stoupka, Youriї Grebenchtchikov, T. Haïdouk, Vira Kouznetsova, S. Mertsalo, Kostiantyn Artemenko, M. Volkov, S. Maksmyntchouk, Youriї Doubrovine, E. Savitskis

Genre  : film historique

 


Synopsis

Au XIIIème siècle, Daniel, l’éminent souverain de l’État de Galicie-Volhynie, est le dernier prince à résister à la Horde de Batou. Inféodé, Daniel tente de former une coalition avec le Pape, le roi de Hongrie, les princes de Pologne et de Lituanie. Mais le projet d’une croisade des puissances catholiques échoue. En 1255, Daniel repousse seul une ultime fois les hordes mongoles des marches de l’Europe.



Opinion

Lancée en 1985 par Mikhaïl Gorbatchev, la perestroïka ne tarda pas à inciter l’industrie du cinéma à se restructurer en unités de production indépendantes. Bien que la liberté de création, définie au mois de mai 1986 par le Vème Congrès de l’Union des cinéastes de l’URSS, s’avéra totale, depuis la conception jusqu’à la commercialisation des films, la carence en matière scénaristique freina inévitablement la réforme proposée par le Syndicat des cinéastes ukrainiens - passer à l’autofinancement et à l’économie du marché. La situation était telle que la Commission d’attribution du Prix Dovjenko pour le meilleur scénario décida de ne pas le décerner en 1987, faute de sujets valables. Cependant, dans le paysage débridé de la perestroïka, la première hirondelle du printemps arriva du Studio d’Odessa, qui de tout temps avait cultivé la différence avec les studios de la capitale, en livrant un film de Yaroslav Loupiї sur l’histoire de l’Ukraine du Moyen-âge, Daniel de Galicie. Impensable de par son sujet il y a quelques années encore, la réalisation du film rencontra néanmoins des résistances bureaucratiques, réactivées pour la circonstance. Récrit inlassablement depuis huit ans, le scénario de l’écrivain Olès Loupiї, frère du réalisateur, mettait en lumière une page essentielle de l’histoire de l’Ukraine à l’époque où sa partie occidentale aurait pu devenir une place forte de l’Europe et restaurer l’autorité des princes kiéviens. Tournant in situ en pleine ébullition indépendantiste – Loupiї est originaire de la région de Lviv -, le réalisateur se heurta aux apparatchiks locaux paniqués. Même le directeur de production, Olga Senina, fut atterré par les atermoiements de l’administration qui repoussait sans cesse les autorisations de tournage. Paradoxalement, on lui fit croire qu’il n’y avait plus en Galicie de prairies ou de champs en jachère, de chemins vicinaux sans poteaux électriques, de paysages écologiquement propres, sans cheminées et sans avions agricoles. Comme pour La Terre de Dovjenko, mais pour d’autres raisons, on ne pouvait trouver une paire de bœufs dans toute la région, et c’est de la lointaine Russie que furent acheminés des chevaux. L’acteur Ivan Havrylouk, qui tenait le rôle du prince Vassylko, fut même pris à partie par le KGB qui fouilla son passé pour savoir si certains membres de sa famille n’avaient pas frayés avec les nationalistes. Et pourtant, le film de Loupiї n’avait rien de l’idéalisation historique trop souvent reprochée au cinéma ukrainien. Au moment où commençaient à craquer les fondements de l’empire soviétique, il focalisait sur le thème du rassemblement des terres slaves, prenait ses distances avec l’Église uniate, et ne revenait pas sur les campagnes de Daniel contre les Hongrois, les Polonais et les Teutons, dont les descendants restaient des alliés temporels au sein du Pacte de Varsovie. Très proche de Zakhar Berkout par son thème, sa facture et sa composition musicale que signa Volodymyr Houba, Daniel de Galicie représentait une œuvre rare dans le cinéma ukrainien avec, dans le rôle-titre, l’acteur russe Victor Yevgrafov qui avait fait une courte apparition dans le film Yaroslavna, reine de France de Igor Maslennikov (1983). Dans des tonalités sombres et sans interprétation normative, Yevgrafov imprima un regard d’une grande noblesse, avivé par la prescience du futur, et s’acquit de son rôle dans un ukrainien parfait. Pour les historiens, Daniel de Galicie est considéré comme l’un des tout premiers films-phare ukrainiens émergeant via la perestroïka.


 

Lubomir Hosejko

 



Mardi 12 janvier 2009, 19h

 

REZ-DE-CHAUSSÉE
(Перший поверх) vostf



En présence de l’auteur, avec le concours d’Arkeion Films





 

Production : Odessa Films Productions, 1990, 65 mn, nb.

Scénario : Olga Mikhailova

Réalisation : Igor Minaiev

Photographie : Volodymyr Pankov

Décors : Anatoliї Naoumov

Musique : Anatoliï Dergatchev

Son : Igor Riabinine, Dina Iasnikova

Montage : Polina Roudykh

Inteprétation : Ludmila Davydova, Evguenia Dobrovolskaia, Maxime Kisselev, Svetlana Krioutchkova, Nikolaï Tokar

Genre  : drame psychologique

 


Récompense : Prix spécial du Jury et Prix de la meilleure interprétation féminine pour Evguenia Dobrovolskaia au Festival de Genève en 1990


Synopsis

Un soir d’été, Nadia est arrêtée par la police, mais l’agent auxiliaire Serguei la laisse s’échapper du fourgon. Peu de temps après, ils se rencontrent à l’entrée d’une discothèque. Nadia séduit sans peine ce timide policier, l’emmène chez elle et lui fait découvrir l’amour. Le temps passe, Serguei croit posséder Nadia pour lui seul…



Opinion

Second long métrage d’Igor Minaiev, Rez-de-chaussée relate une histoire d’amour entre un policier et une jeune prostituée. Le film est tourné en quatre semaines avec un budget restreint, dans des décors réels et un dénuement parfois total. Tout en évitant l’écueil du film politique, Igor Minaiev livre une description acerbe de la société gorbatchévienne dans ses détails quotidiens. Régime en décrépitude, marginalité étrange et réalisme perestroikien servent d’arrière-plan à un duel charnel entre Evguenia Dobrovolskaia et Maxime Kissiliev, les deux révélations du film. Mais ce sont sans doute le choix esthétique du noir et blanc, l’élégance à la Lynch, quelques détours cinéphiliques par Truffaut ou Mouratova qui trahissent et attisent la passion de Minaiev pour les grandes histoires d’amour universelles. Plutôt que de tracer un parallélisme avec la Nouvelle vague, il convient de parler ici d’un cinéma mouvant, sans retenue, en rupture totale avec l’académisme oppressant du cinéma soviétique, où le drame trouve son épiphanie scénique dans une codépendance et un huis clos destructeur. Perçu comme une transposition de Carmen dans la société soviétique de la fin des années 80, Rez-de-chaussée a valu à son réalisateur d’excellentes critiques à l’étranger. Igor Minaiev, qui a choisi la France par amour pour le cinéma, est le seul réalisateur d’origine ukrainienne à avoir été sélectionné deux fois à La Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes, en 1988 et 1990. À ce propos, il confia au boulimique d’images et découvreur de talent Pierre-Henri Deleau : « Il y a de nombreuses années, j’ai fait un rêve étrange. L’été. Le soleil. Le ciel bleu. Une petite ville inconnue. D’un côté, la mer. De l’autre, les collines, ça ressemble beaucoup à la Crimée. Peut-être est-ce Yalta ? Je ne sais pas. Je me promène au bord de la mer. Il souffle une brise légère. Il y a des fleurs devant chaque maison. Elles sont toutes blanches et toutes en porcelaine. Je lève la tête vers les arbres, eux aussi sont tous en fine porcelaine transparente. Et toute cette végétation tinte comme des milliers de clochettes d’argent. Tout à coup, quelqu’un prononce un mot mystérieux. Qui est-ce ? Un passant ? Je ne m’en souviens pas. Je me réveille avec ce mot inconnu dans la tête, me demandant ce que peut signifier « Croisette ». 1988. Cannes au mois de mai. Il tombe des cordes. Je suis sur la Croisette, devant le Palais Croisette. Dans quelques minutes débutera la première de mon film Mars froid. À la Quinzaine des réalisateurs !... Je ne dors pas, mais ça ressemble à un rêve. Ce fut le plus grand jour de ma vie. En tant que réalisateur, je suis né à la Quinzaine, et dans une famille exceptionnelle. J’y suis revenu, en 1990, avec mon deuxième film, Rez-de-chaussée. Ce film avait été produit par le Studio d’Odessa et présenté par une société allemande. Tout était sens dessus dessous. Seule, la Quinzaine restait une constante. Comme la première fois (et, j’en suis sûr, comme toujours) c’était chaleureux, amical, cordial. Il faut ajouter : avec liberté, égalité, fraternité, sans pathos. » Bientôt, le cheminement artistique de Minaiev s’est concrétisé en France par trois autres longs métrages, dont le dernier, Loin de Sunset Boulevard, véritable chef-d’œuvre visuel et émotionnel, le place parmi les plus surprenants de sa génération.


 

Lubomir Hosejko

 



Mardi 8 décembre 2009, 19h

 

LA VIE ET LES AVENTURES EXTRAORDINAIRES DE ROBINSON CRUSOÉ
(Життя та дивовижні пригoди Робінсона Крузо), vf





 

Production : Studio d’Odessa, 1972, 92 mn, coul.

Scénario : Félix Mironer, d’après le roman de Daniel Defoe

Réalisation : Stanislav Govoroukhine

Photographie : Oleg Martynov

Décors : Sergueï Youkine

Musique : Andreï et Evgueni Guevorgian

Son : Edouard Hontcharenko, Raïssa Vatsyk

Montage : Valentyna Oliïnyk

Inteprétation : Evgueni Jarikov, Irakli Khizanichvili, Valentin Koulyk, Leonid Kouravliov, Vladimir Marenkov, Alexeï Safonov

Genre  : film d’aventures

 


Distinction : Prix de la meilleure photographie au Festival d’Alma Ata, 1973


Synopsis

Marin d’York parti sur les mers en quête d’aventures, Robinson Crusoé se retrouve naufragé sur une île déserte au large de l’Orénoque. Confronté à la nature, principalement constituée d’une jungle, il apprend à survivre dans la solitude. Après vingt-quatre années de solitude, Vendredi, un indigène, fait irruption dans sa vie.



Opinion

L’histoire du cinéma mondial regorge d’adaptations tirées du plus célèbre roman de Daniel Defoe, à commencer par la bande de onze minutes de Georges Méliès (1902). Parmi les longs métrages, on retiendra surtout la version d’Edward Sutherland, avec Douglas Fairbanks dans le rôle-titre (1932), et celle de Luis Buñuel (1954). Le cinéma soviétique, quant à lui, livra deux superbes versions, l’une en 1947, stéréophonique, de Alexandre Andrievsky, l’autre en 1972, en sovscope, de Stanislav Govoroukhine, sans doute la plus touchante, produite par Studio d’Odessa. Réalisée en pleine stagnation brejnévienne, cette dernière est aussi l’une des rares à sortir de la thématique et géographie traditionnelles soviétiques de l’époque, car de tout temps le Studio d’Odessa se tourna vers la mer et les voyages au long cours. Cette histoire narrant l’aventure du marin écossais Alexander Selkirk, inspira d’innombrables écrivains qui s’attachèrent à fixer des récits de survie insulaire, calqués les uns sur les autres, d’où le terme de robinsonnade, anthroponyme inventé par Karl Marx. La littérature populaire ukrainienne n’y échappa pas, et ce ne fut qu’en 1919 que parut à Kiev un Robinson ukrainisé sous la plume de Igor Fediv et de Val. Zlotopolets, Fils d’Ukraine (Син Украïни), dont le héros Mykola Nalyvaïko deviendra l’otaman de la Nouvelle Ukraine, l’île où le destin l’avait conduit. Évidemment, ce ne fut pas cette robinsonnade nationaliste que Govoroukhine porta à l’écran mais le scénario de Félix Mironer. Séduisant par sa vaste réflexion sur le comportement humain, ce film pour la jeunesse est émaillé de scènes étonnamment poétiques, et soutenu par une musique des frères Guevorgian, d’Albinoni et Vivaldi. Dès sa sortie, La Vie et les aventures extraordinaires de Robinson Crusoé obtint un succès international sans précédent, et fut le film de production ukrainienne le plus vendu à cette époque. Des USA à l’Inde, de Trinidad au Japon, il sera le titre le plus réclamé : 28 pays l’achèteront en 1973, 15 en 1974, 29 en 1975, 24 en 1976. Ingénieur géophysicien passé à la réalisation par la télévision, Stanislav Govoroukhine intégra le Studio d’Odessa en 1966, où il travailla pendant un quart de siècle en qualité de metteur en scène et de scénariste, livrant des films de l’extrême (La Verticale), ou catastrophe (Le Jour de l’ange), des polars (Les Dix petits nègres) et autres films d’aventures tirés de la littérature américaine.


 

Lubomir Hosejko

 



Vendredi 27 novembre 2009 à 19h

 

FAMINE 33 (ГОЛОД 33), vostf

 

Projection suivie d’une intervention de Jean-Louis Panné, historien et éditeur






 

Production : Lisbank, Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, Fest-Zemlia, 1991, 95 mn, nb/coul

Scénario : Serge Diatchenko, Lès Taniouk

Réalisation : Olès Yantchouk

Photographie : Vassyl Borodine, Mykhaїlo Kretov

Décors : Valeriї Bojenko

Musique : Victor Patsioukevytch, Mykola Kalondionok

Son : Victor Briountchouhine

Montage : Natalia Akaїomova

Producteur exécutif : Olexiї Tchenychov

Inteprétation : Heorhiї Moroziouk, Halyna Soulyma, Petro Beniouk, Léonide Yanovskyi, Olexiї Horbounov, Maxim Koval, Olia Kovtoun, Kostiantyn Kazymyrenko, Neonila Svitlytchna.

Consultant : James Mace

Genre  : drame

 


Distinction : Grand Prix au Premier Festival Panukrainien de Kiev, Fest-Zemlia, 1991
Prix Henri Langlois Européen aux Quatrièmes Rencontres Internationales du Cinéma du Patrimoine de Vincennes 2009

Synopsis

Embrigadés par le Kremlin pour appliquer une solution brutale face à une paysannerie hostile à la collectivisation, vingt-cinq mille jeunes activistes communistes et repris de justice déferlent sur les terres riches et fertiles de l’Ukraine. Rafles meurtrières, profanation des lieux de culte, réquisition des dernières réserves de nourriture, silos à grain pourrissant gardés, frontières fermées entre la Russie et l’Ukraine, barrages aux abords des grandes villes afin d’empêcher les affamés d’y pénétrer, sans-abri errant et mourrant comme des mouches, anthropophagie, infanticide, servent de toile de fond à la lente agonie d’une famille dont l’unique survivant sera un petit garçon, Andriїko. Andriїko sait où est dissimulé le calice de l’église que son père aurait pu vendre ou restituer aux autorités pour sauver toute sa famille de l’atroce famine. Mais, caché dans un arbre, le calice doit être bu jusqu’à la lie.



Opinion

Bien avant sa nomination à la tête de l’Ukrderjkinofond, Youriї Illienko avait invité Olès Yantchouk, auteur d’un court métrage de fin d’études remarqué (Pour la route), à travailler au sein de l’unité de production Zemlia (Studio Alexandre Dovjenko de Kiev) sur le thème de la famine de 1932-33. Le projet était d’autant plus prémédité qu’en 1984 deux cinéastes d’outre-Atlantique d’origine ukrainienne, Slavko Novytskyi et Youriї Louhovyi, avaient produit et réalisé, un documentaire sur le Holodomor (La Moisson du désespoir - Harvest of Despair ) qui fit le tour des chaînes de télévision du monde entier.
Écrit à partir de témoignages recueillis dans les villages parmi les survivants de la famine, le scénario de Lès Taniouk et Serge Diatchenko est cependant très vite dépassé par la nécessité d’en faire une chronique fictionnée montrant le visage de la mort organisée, rationalisée. C’est Lès Taniouk qui conseille au jeune réalisateur de lire le roman Le Prince jaune de Vassyl Barka (Жовтий князь, paru dans sa traduction française chez Gallimard en 1981), écrivain, poète et essayiste ukrainien exilé aux Etats-Unis, témoin oculaire de la violence génocidaire stalinienne. La rencontre entre les scénaristes, l’écrivain et le réalisateur aboutit à un scénario original, Famine 33.
Lancé en 1989, le financement du film est lui aussi singulier puisque monté à partir d’une souscription nationale ou de dons, et non grâce à l’avance sur recettes de l’État soviétique qui ne reconnaît pas le génocide stalinien. Aux quelque 400 000 roubles collectés, un prêt d’un million de roubles est octroyé par la Lisbank de Oujhorod, en Ukraine occidentale. Réalisé dans la région de Poltava où l’on trouve encore des villages intacts datant de la famine de 1932-33, le film est enregistré en noir et blanc, avec quelques tableaux en couleurs, procédé typique du cinéma pictural qui renforce la noirceur du monde et des hommes. Traités en flash-back, les plans en couleurs déroulent les souvenirs joyeux du temps où la famille était heureuse. Sous l’œil d’une caméra exempte de naturalisme excessif ou d’imagerie sulpicienne, quelques scènes choc s’imposent : le charnier de la fosse commune où brûlent les corps des révoltés, exécutés pour avoir mendié un quignon de pain pour leur progéniture ; un jeune homme mangeant de la chair humaine pris de folie ; des moissonneurs ressemblant étrangement avec leur faux à des spectres de la mort, sous la garde de policiers armés. Quelques métaphores coulées et plans expressionnistes rehaussent la qualité esthétique du film, heurté par un montage alternatif parfois décousu, mais gommé par la perfection du jeu des grands acteurs de l’écran ukrainien, Heorhiї Moroziouk (le père), Halyna Soulyma (la mère), Olexiї Horbounov et Petro Beniouk (les activistes communistes).
Pour les critiques et les historiens, Famine 33 entrera dans l’Histoire du cinéma ukrainien comme un film charnière qui oscille entre esthétique facile, empruntée au courant de l’Ecole poétique de Kiev, et la volonté du réalisateur d’en faire une œuvre incontournable. Sélectionné in extremis, le film est montré le 12 novembre 1991 au Premier Festival Panukrainien de Kiev et obtient le Grand Prix. Y assistent les représentants de la Lisbank qui, après l’ovation au jeune débutant, annulent sur le champ la dette et deviennent, par la force des choses, les sponsors majeurs du film. En récompense, le 30 novembre, la veille du référendum sur l’indépendance de l’Ukraine, Famine 33 est programmé à la télévision ukrainienne avec le logo de la Lisbank pour décourager le piratage. Ravivant la conscience nationale chez les spectateurs qui n’ont ni oublié ni pardonné le crime stalinien, la diffusion du film à une heure de grande écoute poussera indubitablement un nombre non négligeable de citoyens indécis à voter pour l’indépendance. Yantchouk révélera plus tard qu’il chercha à rencontrer Lazare Kaganovitch, l’ancien dirigeant communiste qui mit en œuvre le génocide sur l’ordre de Staline. Le dernier jour du tournage, il apprit en rentrant avec son équipe à l’hôtel que Kaganovitch s’était éteint paisiblement le jour même.
Dix-huit ans après sa réalisation, ce film non distribué en Occident obtint le Prix Henri Langlois Européen aux Quatrièmes Rencontres Internationales du cinéma du Patrimoine de Vincennes 2009. Plus qu’un accessit honorifique, ce Prix sera considérée en Ukraine comme une haute distinction. Mais à l’instar du Holodomor, toujours pas reconnu comme génocide par l’ensemble de la communauté internationale, le film de Yantchouk reste quant à lui méconnu du public occidental.


 

Lubomir Hosejko

 



Mardi 3 novembre à 19h



Séance autour du thème du Holodomor





DESTINS. Maria Vlasivna Balas (Долі. Марія Власівна Балас), vo


Production : Ukrkinokhronika. Service cinématographique d’État du Ministère de la culture et du tourisme d’Ukraine. 2008, 20 mn. coul.

Réalisation : Pavlo Faréniouk

Photographie : Bohdan Pidhirnyi, Alexandre Mokhnatko

Son : Léonide Moroz, Youriї Rastorhyiev

Chargé de production : Olena Moskalenko

Régie : Olena Nykyforova

Genre  : documentaire


Synopsis

Monologue de Maria Vlasivna Balas, habitant Vilchanka près de Bila Tserkva. Son récit édifiant sur les villageois pendant la famine de 33, les réquisitions, la survie, les enlèvements, la banalisation de l’anthropophagie, dépasse l’imaginaire humain.



L’ANNÉE TRENTE-TROIS (Тридцять-третій), vo


Production : Ukrkinokhronika. 1989, 60 mn. coul/nb

Scénario : Mykola Laktionov-Stezenko, Oxana Kotlar

Réalisation : Mykola Laktionov-Stezenko

Photographie : Vitaliї Hrychkiv

Genre  : documentaire


Synopsis

Premier essai et travail de mémoire réalisé en Ukraine Soviétique sur la famine artificielle de 1932-33, basé sur des témoignages de survivants et des documents photographiques inédits, provenant d’un lot de 400 négatifs sur verre retrouvé chez un particulier du village de Novoserhiïvka dans le Donbass. Ce premier documentaire du gendre ne fut diffusé à la télévision ukrainienne que plusieurs années après l’indépendance sous le titre Témoins oculaires du Holodomor 1933.



LA FLAMME DE JAMES MACE (Свіча Джемса Мейса), vo


Production : Agence Stojary. Service cinématographique d’État du Ministère de la culture et du tourisme d’Ukraine, 2008, 55 mn. coul/nb

Scénario : Igor Kablak

Réalisation : Natalia Souchtcheva

Photographie : Youriї Niesterov

Musique : Yaroslav Odryn

Genre  : documentaire


Synopsis

Plusieurs personnalités du monde scientifique et culturel font l’éloge de James Mace, citoyen américain, chercheur postdoctoral à l’Institut ukrainien de Harvard qui s’est spécialisé dans le domaine de la famine en Ukraine de 1932-33. Directeur exécutif de la Commission américaine sur le Holodomor, à Washington, il quitta les États-Unis en 1993 pour se fixer à Kiev où il poursuivra ses recherches jusqu’à sa mort en 2004.



Opinion

Les trois films présentés font partie d’une série de dix documentaires, éditée par le Service cinématographique d’État du Ministère de la culture et du tourisme d’Ukraine en 2008. Ces documentaires ont été réalisés par plusieurs réalisateurs de renom, tels Pavlo Faréniouk, qui a obtenu le Prix Taras Chevtchenko 2009 pour l’ensemble de son œuvre, Mykola Laktionov-Stezenko, Alexandre Koval ou Volodymyr Vassyliev.


 

Lubomir Hosejko

 



Mardi 6 octobre 2009 à 19h

 

L’ATTENTAT (Атентат. Осіннє вбивство в Мюнхені)

vosta

 

Projection suivie d’un débat animé par Wolodymyr Kosyk (Université Ivan Franko de Lviv)






 

Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, Olès Film, 1995, 110 mn, nb. coul.

Scénario : Vassyl Portiak

Réalisation : Olès Yantchouk

Photographie : Vassyl Borodine

Décors : Vitaliї Chavel

Musique : Volodymyr Hronskyi

Son : Bohdan Mikhnevytch

Montage : Natalia Akaїomova

Inteprétation : Valeriї Lehin, Maryna Mohylevska, Orest Ohorodnyk, Yaroslav Mouka, Yuriї Odynokyi, Olès Sanine, Mykola Boklan, Youriї Mouravytskyi, Peter Bejger, Boris Klymenko, Alexandre Gereles, Gino Ivantsiv, Valeriї Pravotorov, Lubomir Markevytch, Petro Matichek, Halyna Soulyma.

Genre  : drame historique

 


Synopsis

Alors que la Seconde Guerre mondiale est terminée, l’UPA (Armée Insurrectionnelle ukrainienne) se bat toujours contre l’envahisseur soviétique. Harcelés par les régiments du MVD, des groupes de résistants réussissent à gagner l’Occident pour déposer leurs armes aux Américains et crier au monde la barbarie des Soviétiques. À Munich, où vit dans la clandestinité le chef de l’organisation nationaliste, Stépan Bandera, et d’où il dirige la résistance, les services secrets soviétiques s’activent. Un agent secret prépare un attentat contre lui.



Opinion

Les obstacles financiers que rencontre le réalisateur Olès Yantchouk lors de la préparation de son second long métrage, L’Attentat, sont révélateurs du favoritisme entretenu dans les studios de la capitale. S’agissant de traiter un thème aussi sensible que la résistance du maquis nationaliste de Bandera, le jeune cinéaste a visiblement moins de chance d’obtenir les fonds nécessaires à la réalisation de son film que, par exemple, le vétéran Hryhoriї Kokhan, qui réalise sans peine Aurores perdues, l’histoire de kolkhoziens aidant l’UPA contre l’ennemi bolchevique. Pourtant, Yantchouk réussit à monter le financement de la production grâce à un heureux concours de circonstances. Invité au Festival du Film forum de New York, Yantchouk avait présenté son premier opus, Famine 33, le 15 décembre 1993, le jour même où passait La Liste de Schindler de Steven Spielberg. Le lendemain des articles sur les deux films étaient publiés dans le New York Times, le Daily News et le New York Post. L’énorme différence entre les deux budgets était frappante : 28 millions de dollars pour le film de l’Américain et seulement 150 000 pour celui de Yantchouk. Cette information flatta le lobby ukrainien des États-Unis et plus particulièrement l’Ukrainian Congress Committee of America. La majeure partie du budget pour le nouveau film de Yantchouk fut sitôt réunie par d’anciens résistants émigrés. Aussi, parce qu’il s’était vu refuser le financement de son projet par Serge Vorobiov, directeur des Studios Alexandre Dovjenko, au profit de Kokhan, Yantchouk créa sa propre unité de production, l’Olès Film.
Yantchouk, qui n’a pas connu cette sombre période de l’Histoire, se charge de redorer l’image de l’UPA ternie par les services de propagande soviétiques. Assisté dans son travail de recherche par le scénariste spécialisé en la matière, Vassyl Portak, le réalisateur restitue de manière très documentée la lutte des nationalistes ukrainiens contre l’Armée Rouge à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. L’action débute en 1947, où l’UPA adopte de nouvelles formes de combat et remonte jusqu’en 1959, l’année où le chef des indépendantistes Stépan Bandera est assassiné à Munich par Bohdan Stachynskyi, un agent du KGB. Le film est enregistré en noir et blanc, hormis le prologue et l’épilogue, pour des raisons stylistiques que suscite cette armée de l’ombre habillée d’uniformes hétéroclites, mais aussi pour éviter l’écueil de l’effet carte postale que peuvent donner les splendides paysages des Carpathes. L’Attentat est tourné aux Studios Alexandre Dovjenko, sur la base d’un partenariat, mais n’a aucune chance d’exploitation commerciale en Ukraine, hormis en Galicie, tout comme les documentaires sur l’UPA et Stépan Bandera de Alexandre Kossynov et Mykhaїlo Satchenko, de Léonide Moujouk ou de Mykhaїlo Djyndjyrystyi. Véritable sosie de Bandera, l’acteur Yaroslav Mouka, incarne son rôle de manière convaincante et inspirée.
Tourné dans l’esprit des fictions de ses collègues, tels Le Dernier bunker de Vadim Illienko, Aurores perdues de Hryhoriї Kokhan, Nuits rouges de Arkadiї Mykoulskyi, Pas de glas pour nos morts de Mykola Fédiouk, ou L’Or des Carpathes de Victor Jyvoloub, ce second long métrage de Yantchouk reste le point de départ d’un postulat, d’une carrière vouée au thème de la lutte des indépendantistes ukrainiens, notamment avec L’Indompté (2001) et La Compagnie héroїque (2004). Ces films sont emprunts de patriotisme et d’héroïsme, de sentiment individuel revanchard ne relevant pas forcément d’une idéologie affirmée, mais d’une volonté froide et militante de rappel des contentieux dans la mémoire collective.


 

Lubomir Hosejko

 



Mardi 1er septembre 2009, à 19h

 

LE PISSENLIT EN FLEUR (Цвітіння кульбаби)

 



 

Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, 1992, 77 mn, coul., vo.

Scénario : Oleg Martian

Réalisation : Alexandre Ihnatoucha

Photographie : Vadim Illienko

Décors : Petro Slabynskyi

Musique : Youriї Chevtchenko

Son : Serhiї Batchi

Inteprétation : Alexandre Myronov, Lina Harnaka, Anatole Diatchenko, Oleksiї Horbounov, Arseniї Tymochenko, Hanna Soumska, Boris Molodan, Bohdan Lyssenko, Tetiana Lazareva, Alexandre Bondarenko, Victor Stepanenko.

Genre  : drame psychologique

 


Synopsis

Tribulations d’un jeune repris de justice en cavale. Victime d’une méprise, à cause de son mauvais caractère, il est poursuivi par les policiers qui le tuent, au moment même où l’Ukraine accède à l’indépendance.



Opinion

Au début des années 90, ce sont principalement des films sur la criminalité qui essaient tant bien que mal de résister à la déferlante américaine. Le Pissenlit en fleur est le premier long métrage de l’acteur Alexandre Ihnatoucha.
Bien que portant un titre bucolique, le film dénonce la brutalité policière. La traque musclée est jalonnée de survivances de la culture soviétique à laquelle s’accrochent les vieux retraités, très vite évacuées par l’occidentalisation des jeunes. Édifiante du point de vue sociologique et politique, une grande réflexion sur le passage à l’indépendance donne le ton à une course-poursuite. La cavale du héros devient alors prétexte à un survol de l’Histoire, sur les lieux mêmes où l’Ukraine perdit jadis son indépendance. Sa rencontre avec une jeune Lettone, indépendantiste dans l’âme, sur le site de la bataille de Poltava et sur la terre du fondateur de la littérature ukrainienne Ivan Kotliarevskyi, n’a rien d’une ballade touristique. Pédant, élevé dans la fierté nationale, il avoue qu’il se cultiva pendant ses huit années de détention et que les livres ne manquaient pas, les dissidents non plus. Tout au long du film, des extraits de discours du Président Léonide Kravtchouk scandent les journées décisives qui ont amené l’Ukraine à l’indépendance : « Dans notre pays, il n’y aura plus jamais de soldat ennemi, de même qu’aucun soldat ukrainien n’ira souiller une terre étrangère. » Ce passage en douceur vers la démocratie est traduit de manière très républicaine dans les plans où le colonel qui mena la traque se métamorphose en officier de sécurité du Président lors de la Fête nationale. L’action est menée tambour battant, sur des images de Vadim Illienko et une bande-son saturée de tubes occidentaux, disco soviétique, rock national et chansons populaires.


 

Lubomir Hosejko

 

Séance précédée par la projection des actualités de la télévision ukrainienne du 24 août 1991.



Mardi 2 juin 2009, à 19h

 

LA NUIT DE LA SAINT-JEAN

 



 

Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, 1968, 89 mn, coul., vostf.

Scénario : Youriї Illienko

Réalisation : Youriї Illienko

Photographie : Vadim Illienko

Décors : HPetro Maksymenko, Valeriї Novakov

Musique : Léonide Hrabovskyi

Son : Léonide Batchi

Inteprétation : Laryssa Kadotchnikova, Boris Khmelnytskyi, Yevgueni Fridman, Boryslav Brondoukov, Mykhaїlo Illienko, Victor Pantchenko, Kostiantyn Yerchov, David Yanover, Jemma Firsova, Sachko Serhienko, M. Silis.

Genre  : drame poétique

 


Synopsis

Le pauvre Petro (B. Khmelnytskyi) et Pédorka (L. Kadotchnikova), fille d’un riche paysan, se voient refuser leur mariage. Envoûté par le sorcier Bassavriouk (E. Fridman), Petro tue un enfant pour se procurer de l’or et épouser Pédorka. Obsédé par son crime, il devient fou et laid. Pour comble de malheur, il périt dans sa maison incendiée. Pédorka part en pèlerinage à Kiev expier leur faute commune. Mais en chemin, elle se fait violer par les Tatars.



Opinion

Tiré de la nouvelle éponyme de Nicolas Gogol, elle-même truffée de légendes et de contes populaires, La Nuit de la Saint-Jean de Youriї Illienko est un film poétique et fantasmagorique qui s’inscrit dans le courant de l’Ecole poétique de Kiev. Il confirme une personnalité distincte dans le cinéma ukrainien à travers laquelle le cinéma pictural, hérité de Paradjanov, obtient ses lettres de noblesse. Mais, à l’instar de Zvenyhora de Alexandre Dovjenko, cette oeuvre stupéfiante suscite le plus de controverses dans le milieu professionnel et artistique. Elle indigne les uns, ravit et enchante les autres, parce que le réalisateur s’évertue à filmer des œuvres de la littérature classique en chefs-d’œuvre insolites, impulsifs et esthétisants, où la forme prend le pas sur le contenu. Découplée des êtres et des choses, elle oscille entre le monde réel et le monde des masques. Il en sort une fresque convulsive aux images surréalistes et chagalliennes entremêlant lyrisme, humour, satire et féeries. Rendant parfois la compréhension du film difficile avec une métaphore très concentrée – par exemple, Pédorka donnant le sein à une hache – et une composition très plastique de l’image, ce cocktail est d’autant plus étonnant qu’il contraint le spectateur peu averti à devenir actif. En plus de sa fonction émotionnelle, la couleur a dans le film son contenu rationnel et symbolique. L’acteur, dont le jeu est relégué au second plan, est lui aussi une tache de couleur. Il va dans le sens du grand thème gogolien – la beauté est l’opération du diable – livré à une imagination débridée de l’auteur qui use de la variation comme d’un concept catharsistique. Ainsi l’on admet chez Illienko que la comédie simule le réel, le drame romantique travestit l’ironie, et la tragédie philosophique se substitue à la mystification.
Illienko a aussi l’art et la manière de s’attaquer aux tabous historiques qui dépassent largement le cadre éthique et social de la première partie du film. La dérision est poussée à son paroxysme dans la séquence de la mascarade organisée par les sbires de Potemkine pendant le voyage de la Grande Catherine en Ukraine : village en trompe-œil construits à la hâte sur les rives du Dniepr, figurants recrutés pour tenir le rôle de moujiks endimanchés, chants et danses ad libitum. La politique d’oppression y est clairement dénoncée. Dans l’épisode dramatique de l’agression de Pédorka, c’est tout le destin tragique de l’Ukraine, maintes fois envahie et soumise, qui est symbolisé. Pour Illienko, la question fondamentale reste celle de la confrontation entre le Bien et le Mal, thèmes essentiels de l’œuvre de Gogol. Sorti à la même époque queViї (Le Roi des gnomes), autre film tiré d’une nouvelle de Gogol et réalisé en Russie par Kostiantyn Yerchov et Gueorgui Kropatchev, privé de distribution à l’échelle de l’Union et à l’étranger, mais autorisé pour une brève apparition en Ukraine, La Nuit de la Saint-Jean est boudé par la presse, puis interdit jusqu’en 1987. Raison invoquée : abus d’exotisme, Gogol hypertrophié. Ce mépris vis-à-vis d’une œuvre de talent est considéré en Ukraine comme une offense directe à Gogol, auquel la critique reprocha en son temps un manque d’imagination et, selon Biélinski, des symptômes d’irréalisme mystique. Pour leur part, les censeurs y virent une déification de la caméra, des élucubrations visuelles versant dans l’art pour l’art et un biologisme sous-jacent dans le personnage de Pédorka. Plus grave encore, sa condamnation ultérieure pour exaltation de l’identité nationale et déviationnisme nationaliste, et son exclusion du registre des films.


Anecdote
Alors qu’Illienko terminait son film, le directeur du Festival de Venise, conseillé par quelqu’un de Moscou, se rendit à Kiev pour le contacter en vue d’une sélection. Le KGB n’autorisant pas le visionnage du film, Illienko outrepassa les ordres et montra le film dans son intégralité. A la suite de quoi, le directeur lui promit le Lion d’or à Venise, car il ne fallait rien attendre du Festival de Cannes, le film n’étant pas commercial. Comme le KGB ne souhaitait sa présence ni en France, ni en Italie, on décida d’envoyer le réalisateur à Prague. Les événements voudront qu’à la dernière minute, au lieu du cinéaste, on y envoya les tanks de l’Armée Rouge.

 

Lubomir Hosejko



Mardi 5 mai 2009, à 19h

 

UNE, DEUX, LES SOLDATS MARCHAIENT

 




 

Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev, 1976, 86 mn, coul. vf.

Scénario : Boris Vassiliev, Cyril Rapoport

Réalisation : Léonide Bykov

Photographie : Volodymyr Voïtenko

Décors : Heorhiï Prokopets

Musique : Gueorgui Dmitriev

Son : Nina Avramenko

Inteprétation : Léonide Bykov, Volodymyr Konkine, Olena Chanina, Mykola Hrynko, Léonide Bakchtaiev, Mykola Sektymenko, Boris Koudriavtsev, Bogdan Beniouk

Genre  : film de guerre

Distinction  : Prix Taras Chevtchenko, 1977

 


Synopsis

Devant le monument de la Victoire se rassemblent les enfants de ceux qui sont morts en défendant leur patrie lors de la Deuxième Guerre mondiale. Evocation par un officier du souvenir de son père mort très jeune au combat. Ils n’étaient que 18 jeunes komsomols en embuscade près d’un pont où devaient passer des blindés ennemis.



Opinion

Des trois films de guerre sortis simultanément en 1976 aux Studios Dovjenko de Kiev - Septembre, mois d’angoisse de Léonide Ossyka, Les Carpathes, troisième volet de la trilogie de Timothée Levtchouk Le Chant de Kovpak, et Une, deux, les soldats marchaient de Léonide Bykov -, seul le dernier peut s’apparenter à une comédie dramatique. Nettement en dessous de son film précédent, Seuls les anciens vont au casse-pipe, le dernier film de Léonide Bykov a été réalisé pendant les années noires de la stagnation brejnévienne. S’il est vrai qu’après l’effet brutal de la réorientation idéologique du début des années 70 le cinéma ukrainien retrouva en partie sa capacité créatrice, dès 1976, il ne le fit qu’en adhérant à la nouvelle culture du cinéma brejnévien, cinéma bolcho-prolo-buro-technocratique, mais encore cinéma de guerre. Cependant, l’humour débridé du réalisateur rompt ici avec le genre conventionnel ou épigonique. Au tournant de la guerre froide, alors que l’Armée Rouge s’armait jusqu’aux dents, à trois ans de l’invasion de l’Afghanistan, le sujet est traité sur le mode antihéroїque avec un certain culot. La scène centrale, où le caporal Sviatkine (Léonide Bykov) affronte au mépris de la mort un Tigre allemand comme un vulgaire tigre de papier, est une véritable prouesse. Chez Bykov, la verve lyrique et humaniste est particulièrement émouvante dans la séquence du savon volé, autre cliché-accessoire résiduel de l’imagerie familière. Confronté à un cas humanitaire d’exception - la découverte dans le paquetage d’un homme de rang d’un morceau de savon volé qu’il voulait envoyer à sa mère -, le lieutenant Sousline (Volodymyr Konkine) émet un verdict clément : au nom de toute la section, le larcin sera expédié à la mère nécessiteuse. Sur le plan de la conception, le réalisateur opta pour la chronologie inversée afin de rematérialiser la perspective mémorielle éclatée. Pour ce film, qui draina près de 36 millions de spectateurs, Léonide Bykov obtint, en 1977, la plus haute distinction de la RSS d’Ukraine, le Prix Taras Chevtchenko, ce qui, à l’époque de la déculturation forcenée brejnévienne, relevait d’une absurdité totale, puisqu’en principe le prix récompensait une œuvre à consonance nationale à l’échelle de toutes les républiques et minorités de l’URSS.

 

Lubomir Hosejko



Mardi 7 avril 2009, à 19h

 

LE CINÉMA EXPÉRIMENTAL de OKSANA CHEPELYK
En présence de la réalisatrice

 



Suivi d’une intervention de Christian Lebrat,
cinéaste, vidéaste, directeur des Editions Paris Expérimental



Oksana Chepelyk est née en Ukraine, où elle vit et travaille aujourd’hui. Elle a étudié à l’Institut des Beaux-Arts de Kiev entre 1978 et 1984. A la suite de ces études, elle a approfondi son cursus à Moscou (1986-1988) et a participé au programme d’étude au CREAC de Paris (1996), au Residency Program du Banff Center pour les Arts, au Canada (1998), et au Bauhauss-Kolleg, Dessau, Allemagne (2000). Artiste multimédia, elle travaille avec la vidéo, la performance, la photographie, l’installation, la peinture. Reconnue en Ukraine, Oksana Chepelyk a largement exposé à travers le monde et a reçu de nombreux prix.




CHRONIQUES DE FORTINBRAS, vosta, 30 mn, coul. 2001



Production : Ukrkinokhronika, Ministère de la Culture et des Arts d’Ukraine
Directeur de production : Valentyna Vynnytchenko, Tamara Lobanova
Scénario et réalisation : Oksana Chepelyk
Assistant réalisation : Svitlana Kondrachova
Photographie : Volodymyr Pika, Bohdan Pidhirnyi
Montage : Taïssia Boïko
Son : Léonide Moroz
Musique : Alexandre Nesterov
Interprétation : Iryna Androssova, Guenadiï Korjenko, Heorhiï-Hryhoriï Pylypenko, Rostyslav Loujetskyi, Viatcheslav Barabolia

Transposition allégorique sur la culture et la société post-communiste ukrainiennes, conçue à partir de l’essai éponyme de l’écrivaine Oksana Zaboujko. L’imaginaire mythologique et métaphorique y est induit par des événements du passé, réhaussés de quelques extraits tirés des films de Dovjenko ou de Savtchenko. Les références au poète Taras Chevtchenko et à son approche de la condition féminine sont représentées par le corps d’une femme profané par des nains répulsifs. Ces derniers symbolisent le sexe fort face à une Ukraine passive. Par le truchement de l’absurde et du grotesque, l’argumentaire shakespearien tient compte également de l’irrationalité poétique dans la littérature ukrainienne.



CONTE DE TCHERNOBYL, vosta, 9 mn 20, coul. 2006



Scénario, réalisation et montage : Oksana Chepelyk
Musique : Michael Delia, Stephan Stanza, Alexandre Nesterov
Interprétation : Oksana Chepelyk, Annika Saarinen, Inka Saarinen, Slavko Chepelyk, Viatcheslav Chepelyk

Conte expérimental et paradigmatique sur l’évolution de l’espèce humaine face aux catastrophes violentes et inhabituelles. De minuscules personnages se meuvent sur le corps tatoué d’une femme enceinte. Dans un environnement multidimensionnel, la forme ovoïdale du ventre souligne la forme primaire de la pysanka et l’image du globe terrestre.


GENÈSE, vosta, 6 mn, coul, 2005

Production : Progetti Dadalumpa (Italie-Ukraine)
Réalisation : Oksana Chepelyk
Photographie : Oksana Chepelyk, Alexandre Talko

Malgré son caractère symbolique, l’opus se soumet à l’événement non fictionnel de la naissance d’un enfant pendant la Révolution orage. L’accouchement a lieu simultanément avec l’occupation par les manifestants de la Place de l’Indépendance à Kiev. Le propos du film n’empiète pas sur le discours politique, seul comptent l’espace, le socium et l’existence de la vie.


LES DIRIGEANTS ET LEURS JOUETS PRÉFÉRÉS, vosta, 15 mn, coul. 1998

Réalisation : Oksana Chepelyk
Assistant réalisation : Jennifer Woodbury
Photographie : Craig Lewis
Directeur artistique : Sara Diamond
Voix : Sharla Sava, Jeff Derksen
Son : Paul Herspiegel

Vidéo basée sur la performance éponyme de l’auteur « Piece of shit », réalisée au Banff Center pour les Arts au Canada en 1998. L’essai met en confrontation la sexualité et la politique, les illusions des masses et les manipulations des idées à la fin du siècle écoulé.


CHANGEMENT DE TEMPS, vosta, 6 mn, coul. 2004

Réalisation et photographie : Oksana Chepelyk
Production : UCLA, Ukraine

Démystification sur la vidéosurveillance et son ubiquité en tant que fournisseur de sécurité face à la culture de la peur. Pour de nombreuses applications de reconnaissance de faciès, la technique du détournement est devenue courante. Un anneau portant huit commutateurs de caméra est installé sur un piédestal. En un mouvement circulaire, les caméras capturent le visiteur, debout sur le socle du cercle intérieur. Le visiteur est alors confronté à sa propre image projetée sur un double écran. L’espace fait fonction à la fois de métaphore des phénomènes sociaux et de récipient contenant l’imaginaire créatif.


GÈNE TEXTUAIRE, vosta, 6 mn, coul. 2004

Réalisation : Oksana Chepelyk en collaboration avec Jorge Pereira

L’idée du projet a recours à la notion de communication interculturelle des langues et des identités, de la génétique et des nouvelles technologies numériques. L’auteur utilise l’idée lacanienne sur le rapport inéluctable entre les diverses formations de l’inconscient et le langage à travers lequel elles se manifestent. Les mutations des langues s’opèrent autour des questions sociales et éthiques en combinant la génétique, la peau artificielle, le cyber-organisme, le réseau. Grâce à l’Internet, on peut traduire un texte dans plusieurs langues. L’interactivité fixant le texte sur le visage de l’internaute fait fonction de génothèque, et paramètre les coordonnées dans l’espace en coordonnés invisibles. Selon sa position spatiale, le visage est conçu en fonction de sa langue et change d’une langue à l’autre.


LE CHŒUR DES MALENTENDANTS, vosta, 6 mn, nb, 2004

Réalisation : Oksana Chepelyk
Photographie : Olena Poroshan

Concept basé sur une performance réalisée par un chœur de malentendants au Centre Culturel des Malentendants de Kiev. La notion de l’Europe unie, traduite par l’absence du timbre vocalique, y est perçue comme un non-sens de l’Europe divisée entre l’Est et l’Ouest. De manière empirique, la gestuelle des doigts et des mains se transforme en métaphore existentielle et transfrontalière.


LA TOUR VIRTUELLE, vosta, 5 mn, coul. 2000

Scénario : Oksana Chepelyk, Zoran Eric, Zoran Pantelic
Réalisation : Oksana Chepelyk
Photographie : Oksana Chepelyk, Bettina Bachem, Zoran Pantelic
Montage : Martin Maria Leckert

Un ballon s’élève dans les airs avec une caméra, créant une connection symbolique entre la ville et les habitants des favelas. La nuit tombée, la surface du ballon devient l’écran de projection d’une vidéo montrant les vues aériennes enregistrées le jour. Les spectateurs présents durant cette performance ont aussi le loisir de se voir et s’y reconnaître. Cet espace de communication est créé grâce à l’installation de la Virtual See Tower. Les jours venteux, elle devient The Virtual Migration Tower.

UTOPIE URBAINE MULTIMÉDIA, vosta, 10 mn, coul. 2002

Production : Oksana Chepelyk, Fondation Bauhauss Dessau (Allemagne)
Réalisation et photographie : Oksana Chepelyk
Texte et voix : Esther Anatholitis

Opus traitant de la mondialisation des outils de communication à travers les alliances politiques et leurs structures, dans le but de créer un nouveau paysage culturel. L’objectif est de dévoiler le masque du totalitarisme soft des nouveaux médias et de la dictature culturelle.




Mardi 3 mars 2009, à 19h

 

LE MIRABEAU

 


 

vostf.
Projection inédite suivie d’un débat animé par Wolodymyr Kosyk.

Production : UKRAЇNFILM, Studio de Kiev
1930, 55 mn, nb, muet.

Scénario : Anton Agalarov, Arnold Kordioum, Kostiantyn Matiach

Réalisation : Arnold Kordioum

Photographie : Joseph Rona, Youriї Tamarskyi, Alexandre Pankratiev

Inteprétation : Lidia Ostrovska, Serge Minine, L. Negri, Petro Massokha, Volodymyr Sokyrko, Volodymyr Lissovskyi, Arnold Kordioum, D. Loubtchenko, N. Reimers, M. Mykhaїlov, K. Stepanov, R. Orlov

Genre  : drame historico-révolutionnaire

 


Synopsis

Venue soutenir la contre-révolution en Ukraine, la marine française impose le blocus du port d’Odessa. Mais la fraternisation des rouges avec les marins du cuirassé Mirabeau va empêcher le massacre des ouvriers et des paysans par les forces interventionnistes et oblige ces dernières à lever le blocus. Lancés sur leurs tatchankas, les détachements de la Première Division de la Steppe foncent vers la ville.

 

 

Opinion

D’abord responsable du Parti aux Studios de Yalta et d’Odessa, Arnold Kordioum réussit à s’imposer en tant que metteur en scène dès 1926 avec des films à thème internationaliste, notamment Le Mirabeau qui connaîtra un remake en 1966 avec L’Escadre appareille vers l’Ouest de Myron Bilinskyi et Mykola Vinhranovskyi. Ce drame historico-révolutionnaire, consacré à l’intervention des forces de l’Entente pendant la Guerre civile en Ukraine, fut l’un des tout premiers films, où l’image de la France apparaît dans la production cinématographique ukrainienne.
Au début du mois d’avril 1918, les troupes sous l’autorité de l’hetman Pavlo Skoropadskyi envahirent la Crimée au grand soulagement d’une partie de la population, qui voyait ainsi un semblant d’ordre revenir. Mais le 13 novembre, quelques jours après l’armistice du 11 novembre 1918, une flotte franco-anglaise composée notamment de cinq cuirassés français, franchit les Dardanelles, afin de défendre les intérêts des Alliés et chasser les unités allemandes qui occupaient le territoire de l’Ukraine suite à la Paix de Brest-Litovsk. Sous le commandement du vice-amiral Dejay, l’escadre française se présenta devant Odessa avec les cuirassés Mirabeau et Justice. Le 17, le Général Borius débarqua des troupes et installa le général russe Grichine-Almazov comme gouverneur de la ville, après avoir chassé les derniers contingents ukrainiens et allemands. Après une occupation relativement calme, la ville fut reprise par les troupes de l’ataman Grigoriev en avril 1919.
La notion de solidarité internationaliste étant un trait caractéristique du cinéma soviétique, Arnold Kordioum exploite un argument non fallacieux : grâce à la propagande bolchevique, les marins français refusent de tirer sur les ouvriers. Comme les matelots du cuirassé Potemkine, ils n’obéissent pas à leurs officiers et hissent sur le mât du croiseur Mirabeau le drapeau rouge. Cependant, il semble bien que, dans la réalité, ces mutineries n’avaient rien de spontané mais, bien au contraire, qu’elles avaient été préparées par différents mouvements politiques et syndicaux. Une centaine de mutins furent condamnés dont plusieurs à des peines de détention. En juillet 1922, une amnistie générale libéra l’ensemble des mutins de la Mer Noire, sauf André Marty qui le sera en 1924. Il y a, à vrai dire, un véritable absent dans ce film : le personnage de Jeanne Labourbe, une communiste française vivant à Odessa qui tenta de rallier à la cause des soviets les soldats occidentaux et qui fut faite prisonnière par les blancs puis passée par les armes. Elle est relayée par une ouvrière bolchevique œuvrant dans la clandestinité. Un timide face-à-face entre les forces belligérantes se résume à de gros plans de gueule de canons obturés ou de baïonnettes pointées vers un ennemi lointain. Malgré l’excellente interprétation de Lidia Ostrovska, la clandestine, de Serge Minine, le chef de l’organisation bolchevique, et quelques scènes de masse bien réglées, l’intensité dramatique du sujet ne parvint pas à pallier une ligne conductrice quelque peu étriquée. Ayant appris le métier sur le tas, Kordioum avait une fâcheuse tendance au mimétisme. Dans Le Mirabeau, l’influence du Cuirassé Potemkine d’Eisenstein paraît on ne peut plus saisissante, et la dramaturgie moins pathétique.

 

Lubomir Hosejko



Mardi 3 février 2009, à 19h - en présence de l’auteur

 

LE MÉTROPOLITE ANDRÉ

 




 

vosta.

Production : Olès Film, Ministère de la culture et du tourisme d’Ukraine, Studio National Alexandre Dovjenko de Kiev
2008, 129 mn, coul..

Scénario : Mykhaïlo Chaievytch, Olès Yantchouk

Réalisation : Olès Yantchouk

Photographie : Vitaliï Zymovets

Décors : Vitaliï Yasko, Roman Adamovytch

Musique : Volodymyr Gronskyi

Son : Natalia Dombrouhova, Kateryna Kel

Montage : Natalia Akaiomova

Inteprétation : Serhiï Romaniouk, Taras Postnikov, Roman Hryniv, Iryna Mak, Fedir Stryhoun, Yevhen Nychtchouk, Taras Jyrko, Orest Ohorodnyk, Halyna Deliavska, Lembit Ulfsak, Oxana Voronina, Victoria Yantchouk, Yanouch Youkhnevytch, Yaroslav Moukha, Oleh Tsiona, Oleh Trepovskyi, David Oxenyk, Anatoliï Bevz, Oleh Dratch

Genre  : drame historico-biographique

 


Synopsis

Promis à une belle carrière militaire, mais visité par la grâce dès son enfance, le jeune André se tourne vers la prêtrise. Devenu évêque, il œuvre pour la réunification des chrétiens orientaux. Parce qu’il défend des persécutés, catholiques, juifs et orthodoxes, il est surveillé par les diverses autorités d’occupation, russe, polonaise, allemande ou soviétique, et bientôt empoisonné par l’un de ses serviteurs.

 

 

Opinion

Cinquième long-métrage de Olès Yantchouk, Le Métropolite André s’inscrit dans le thème favori du cinéaste, l’exploration de l’Histoire de l’Ukraine du XXème siècle. Il est aussi le premier à être consacré entièrement à l’homme d’église André Cheptytskyi, hormis le film de propagande anticlérical Ivanna, réalisé par Victor Ivtchenko (1960), où l’acteur Dmytro Stepovyj incarnait épisodiquement le vieux métropolite et où l’église uniate était la cible d’une campagne antireligieuse d’une grande envergure. Issu d’une famille de l’aristocratie ukrainienne, de longue date polonisée et latinisée, André Cheptytskyi embrassa la vie monastique et le rite oriental ancestral pour accéder au siège métropolitain de Lviv en 1900. Devenu chef suprême de l’église gréco-catholique ukrainienne, il connut pendant 44 ans les bouleversements provoqués par deux guerres mondiales, la révolution bolchevique, l’exil en Russie, la pacification polonaise, l'invasion nazie suivie de l'occupation soviétique. Sa grande idée était l'unité des orthodoxes et des catholiques de rite byzantin, concrétisée par l'érection d'un patriarcat à Kiev. Soucieux de son clergé et du bien spirituel et matériel de ses fidèles, ce prélat sut mettre en place des structures propres à une hiérarchie de langue et de tradition ukrainiennes et de droit canonique oriental. Son activité prodigieuse en Europe et ses voyages dans le Nouveau monde lui donnèrent un visage légendaire surmontant la tentation nationale et identitaire pour répondre à une foi droite et universelle.
Le film de Olès Yantchouk ne prétend pas parcourir toute la vie et l’œuvre du métropolite qui fut considéré par le pouvoir soviétique comme ennemi de la nation ukrainienne. Le réalisateur y exploite la rumeur de l’empoisonnement du prélat par les services spéciaux soviétiques, rumeur qui ne fut jamais confirmée, ni par les historiens, ni par l’Eglise uniate elle-même, mais amalgamée avec celle de l’évêque Youriï Romja, évêque de Moukatchevo, empoisonné au curare, en 1947, sur son lit d’hôpital. Le film fut mis en chantier à la sortie de la Révolution orange, aussi l’on devine très vite l’intention du réalisateur de tracer un parallèle entre la tentative d’empoisonnement du président Victor Youchtchenko et l’empoisonnement supposé du métropolite. Soutenu par la caméra très hiératique de Vitaliï Zymovets, l’acteur Serhiï Romaniouk incarne avec brio le rôle-titre dans ce film un peu trop sacralisé et où le personnage de Joseph Slipyi, successeur du métropolite, reste complètement effacé, comme si le réalisateur voulait éviter de dévoiler le sujet de son prochain film.



 

Lubomir Hosejko



Mardi 13 janvier 2009, à 19h

 

L’HOMME À LA CAMÉRA

 

musicalisé par Volodymyr Shpinov,
séance en présence de l’auteur


 

Production : VOUFKOU, Studio de Kiev
1929, nb, muet, 1h.07mn

Scénario : Dziga Vertov

Réalisation : Dziga Vertov

Photographie : Mikhaïl Kaufman, Gleb Troyansky

Montage : Elizaveta Svilova, Dziga Vertov

Genre  : documentaire

 

Distinction :Œuvre citée parmi les douze meilleurs documentaires de tous les temps au Festival International de Mannheim, en 1964.


Synopsis

Un jour de la vie à Odessa. La ville s’éveille le matin. Un homme filme tout à l’improviste : les rues animées, le travail, les machines, les loisirs. A midi, la pause, puis le rythme reprend de plus belle, l’agitation grandit, la caméra s’emballe, les images se bousculent. Un œil mécanique se ferme, le soir tombe, la ville s’endort.

 

 

Opinion

Après lui avoir commandé, en 1928, la réalisation d’un film de propagande, La Onzième année, la Direction générale photocinématographique d’Ukraine (VOUFKOU) apporte une nouvelle fois son soutien à Dziga Vertov pour sa création la plus audacieuse et la plus achevée, L’Homme à la caméra. Dans ce film expérimental proche de l’écriture automatique, où le montage joue un rôle central, se chevauchent quatre lignes conductrices : l’opérateur en quête d’images, la vie au quotidien du citoyen lambda, la monteuse rivée à sa table de montage, le spectateur observant l’écran. La destruction volontaire du récit, assurée par un montage d’une complexité rigoureuse, et l’absence totale d’inter-titres, n’altèrent en rien le relevé diégétique spatio-temporel : une grande ville d’Ukraine sous la NEP – le film est tourné sur le vif à Kiev, Kharkiv et Odessa -, en plein processus institutionnel dit de l’indigénisation. Partout, l’ukrainien envahit progressivement le paysage socioculturel. Enseignes, calicots, panneaux publicitaires, administrations, journaux, signalétique sont photographiés au hasard, non pas pour les besoins d’une propagande superflue, mais en tant qu’éléments différentiels, témoins iconiques d’une volonté qui s’opère plus en surface qu’en profondeur. Surchargés d’allitérations visuelles, de collages, de surimpressions à échelles différentes, de dédoublements ou d’inversements de l’image et, en guise de bouquet final, d’un enchaînement ultrarapide de plans courts, le film reste incompris du public, rejeté par la critique pour fétichisme technique et infantilisme. Ce film fondateur de la théorie sur le ciné-œil reste un hommage de l’homme à sa nouvelle conquête mythique - la caméra, qui, sous l’aspect technique et esthétique, se conjugue à la première personne. Vertov cherche, en réalité, à en faire une sorte d’essai sur la morphologie filmique en s’interrogeant sur les capacités de l’œil humain et du médium lui-même. En réinventant l’espace quotidien de la vie d’une cité, ce manifeste futuriste préfigure, en quelque sorte, le futur dispositif de vidéosurveillance des grandes agglomérations d’aujourd’hui.

 

Lubomir Hosejko



Mardi 16 décembre 2008, à 19h

 

ZAKHAR BERKOUT

 




 

Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev
1971, coul. 1h.37mn, vostf

Scénario : Dmytro Pavlytchko

Réalisation : Léonide Ossyka

Photographie : Valeriï Kvas

Décors : Mykhaïlo Rakovskyi

Son : Anatoliï Tchornootchenko

Musique : Volodymyr Houba

Genre  : épopée historique tirée du roman éponyme de Ivan Franko.

 

Interprétation : Ivan Havrylouk, Antonina Leftiï, Kostiantyn Stepankov, Boryslav Brondoukov, Ivan Mykolaïtchouk, Vassyl Symtchtytch, Bolot Beïchenaliev, Fédir Panassenko, Volodymyr Prokofiev.


Premier prix et Prix de la meilleure photographie au Festival « Molod’ molodym » de Dnipropetrovsk, 1971.
Prix de la meilleure création dans la catégorie épopée historique au Festival pansoviétique de Tbilissi, 1972


Synopsis

Chef d’une communauté libre des Carpathes, Zakhar Berkout s’oppose à l’invasion des hordes mongoles sur le chemin de l’Europe. Loin de se résigner au pouvoir des boyards, Berkout dénonce la félonie du voïvode Touhar Vovk, rallié aux Mongols et désavoué en cela par sa fille Myroslava, amoureuse de Maxime Berkout. Au terme d’un combat incertain, les montagnards attirent l’armée de Bouroundaï dans un défilé qu’ils inondent. Mais Maxime, retenu en otage, trouve une mort héroïque.

 

 

Opinion

Manifestement influencé par le cinéma de Kaneto Shindo et d’Akira Kurosawa, Léonide Ossyka livre une superproduction, équivalente des films de la même époque, Le Dit de Roustam du Tadjik B. Kimjagarov ou Gerkus Mantas du Lituanien M. Gedris, des œuvres exhumant des pans d’histoire du Moyen-Âge dominé par la violence.
L’idée du film revient cependant à Hryhoriï Yakoutovytch, décorateur sur les Chevaux de feu de Paradjanov, qui travaillait à l’époque sur une série de gravures, inspirées des chroniques médiévales. Après le pittoresque Zakhar Berkout de Joseph Rona tourné en 1929 aux Studios d’Odessa (film muet non distribué et considéré comme perdu), dans l’histoire du cinéma ukrainien, le film de Léonide Ossyka est le premier à être entièrement consacré à la Rous’ kiévienne. Il met en lumière les derniers îlots de résistance à l’expansionnisme féodal des princes kiéviens et galiciens et à la propagation du christianisme dans les vallées les plus reculées des Carpathes, où vivent en totale autarcie des microsociétés patriarcales. Pour garder les marches du royaume, les princes attribuent des terres inexplorées aux nobliaux. La tribu de la vallée de Toukhla est celle qui résiste le plus longtemps au prince Daniel, préoccupé, après le saccage de Kiev et de Terebovla, par l’invasion imminente des Mongols que souhaitent certains boyards.
Le film fut tourné in situ, d’abord dans les Carpathes, avec les habitants de Toukhla, Skole, Klymets, descendants des montagnards qui arrêtèrent un moment les hordes mongoles. Pour des raisons climatiques et économiques, il le fut aussi en Kirghizie, mais se heurta aux difficultés que représentaient l’altitude à laquelle devaient s’effectuer les prises de vues et l’impossibilité d’acheminer les groupes électrogènes. A défaut de projecteurs, de grands miroirs réfléchissants éclairèrent des scènes grandioses sous un soleil de plomb, méthode empruntée à Perestiani (Les Diablotins rouges).
Pour certains, le film d’Ossyka reste marqué par un manichéisme militant qui, au second degré, peut être perçu comme une mise en garde contre le péril jaune. Cependant, cette ultime création de l’Ecole poétique de Kiev est doublée d’un patriotisme sui generis, à cent lieues d’un sentiment supranational comme l’exige la culture marxiste. Initialement, le film n’est soumis à aucune doctrine délétère ou théorie de la lutte des classes, rappelant que les Carpathes sont les derniers contreforts de l’Europe libre, où depuis la nuit des temps se manifeste une résistance politique, religieuse, économique et culturelle. Cependant, avant que ne s’abatte une chape de plomb sur les dernières résistances artistiques et intellectuelles en Ukraine, et avant que le film d’Ossyka ne soit interdit d’écran dès 1972, Zakhar Berkout a juste le temps de franchir le rideau de fer. Présenté en France aux Journées de Poitiers, en 1973, il restera néanmoins un chef-d’œuvre inconnu à l’étranger.
Ce film a aussi le mérite d’être interprété par les piliers de l’Ecole poétique de Kiev, et notamment par Antonina Leftiï (Myroslava), qui joue son plus beau rôle dans le cinéma ukrainien, Ivan Havrylouk (Maxime), Ivan Mylolaïtchouk (Lubomir), Boryslav Brondoukov (Bouroundaï), Bolot Beïchenaliev (Péta, le superbe chef mongol aux yeux d’argus). Mais la palme de l’interprétation revient à Kostiantyn Stepankov qui, par sa performance dramaturgique shakespearienne ne cède en rien à celle de Symtchytch dans le rôle-titre
C’est dans le plan final qu’est crypté le dernier message de l’Ecole de Kiev et, dans une certaine mesure, de la cinématographie ukrainienne tout entière. Il est le dernier maillon d’une chaîne constitué par un demi-siècle de cinéma dont les fondements furent jetés par Alexandre Dovjenko, l’inspirateur de plusieurs générations de cinéastes ukrainiens et étrangers.

 

Lubomir Hosejko



Mardi 4 novembre 2008, à 19h

 

L’OISEAU BLANC MARQUÉ DE NOIR

 


 

Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev
1971, coul. 1h.39mn, vf

Scénario : Youriї Illienko, Ivan Mykolaїtchouk

Réalisation : Youriї Illienko

Photographie : Vilen Kaliouta

Décors : Anatoliї Mamontov

Son : Leonid Batchi

Musique : orchestre populaire de Hlynnytsia

Genre  : épopée lyrique et historique

 

Interprétation : Larissa Kadotchnikova, Ivan Mykolaїtchouk, Bohdan Stoupka, Youriї Mykolaїtchouk, Vassyl Symtchytch, Natalia Naoum, Djemma Firsova, Alexandre Plotnikov, Oleg Polstvine, Mykhaїlo Illienko, Leonid Bakchtaiev, Volodymyr Chakalo, Mykola Oliїnyk, Kostiantyn Stepankov.


Médaille d’or, Festival International de Moscou, 1971
Prix du Jury, Festival International de Sorrento, 1972


Synopsis

Bucovine, 1939. Pour nourrir sa nombreuse progéniture, Lès, un contrebandier et musicien, s’en va louer ses fils un jour au marché. Le cadet est placé chez le prêtre dont la fille, Dana, affole tous les gars alentour. Bientôt, la Bucovine devient soviétique, puis la guerre arrive. Les frères choisissent chacun leur camp. Dana va se marier avec Boris, un soldat russe, mais Orest l’enlève pendant les noces. Ensemble, ils prennent le maquis nationaliste. Le front s’éloigne. Amante excédée, Dana rentre au village et éconduit son ex-fiancé démobilisé. La paix est longue à revenir. Les hommes combattent confusément dans la rancune et la haine.

 

 

Opinion

Troisième long métrage de Youriї Illienko et superproduction tournée en 70 mm, L’Oiseau blanc marqué de noir est l’une des dernières manifestations de l’Ecole poétique de Kiev. Cosigné par Ivan Mykolaїtchouk et Youriї Illienko, le scénario part de l’idée archétype des vieux films bolcheviques : jeter dans des camps opposés les fils d’une même nation. L’idée originale de cette tragi-comédie revient à Ivan Mykolaїtchouk qui ne fit que raconter ce qu’il a vu et entendu pendant son enfance. Il a vécu dans les Carpates, la région où se déroulent les évènements et où chaque personnage exprime le drame d’une population déchirée par son contentieux idéologique et politique. Drame social et humain vécu par une modeste famille pendant la réorganisation géopolitique de la Bucovine de 1939 à 1950, L’Oiseau blanc marqué de noir est avant tout la rencontre de deux Ukraine qui ne se connaissent pas. Tour à tour occupée par les Turcs, les Russes, les Autrichiens et les Roumains, la Bucovine septentrionale devient soviétique en 1940. Envahie par les Allemands, elle sera définitivement annexée à l’Ukraine soviétique en 1947. Pour la première fois depuis la mort de Staline, un réalisateur ukrainien réussit une investigation poussée sur une période relativement récente et douloureuse de l’histoire de l’Ukraine, tout en s’appuyant sur le concept universel du Bien et du mal et en discourant sur le sens de l’existence auquel l’homme ne peut donner une réponse, même devant la mort. Les fameuses bandes noires fascistes que l’on arrive pas très bien à situer dans le film sont, en réalité, les maquisards de l’Armée Insurrectionnelle ukrainienne qui combattent à la fois les armées allemandes et soviétiques, les sympathisants communistes et les collabos de tout poil. Bien que primé au Festival de Moscou, le film n’a pas eu de diffusion commerciale en Ukraine. Reçu avec froideur par les responsables du Parti communiste de la région de Lviv, il fut frappé d’interdiction pour ses intentions ouvertement idéalistes et son discours passéiste, trop dangereux pour être montré à la population de la Galicie, foyer du nationalisme ukrainien. C’est au secrétaire général du PCU Petro Chelest, lui-même blâmé pour avoir idéalisé sa nation dans son ouvrage intitulé Notre Ukraine soviétique, qu’incomba, le 10 novembre 1971, de dénoncer publiquement cette dérive. Et pourtant, chez Illienko, toutes les conditions préalables à la réalisation d’un film bolchevique, prônées en son temps par Dovjenko, étaient réunies : contenu social, portrait collectif de la nation, cinéma de poésie. A ces préceptes, Illienko ajouta une forte connotation politique, un enracinement régional très prononcé, des ressources profilmiques et techniques extrêmement percutantes. L’Oiseau blanc marqué de noir était-t-il, dans ces conditions, une œuvre à doublure réactionnaire, comme le fut La Terre de Dovjenko selon Demian Biedny. Ici encore, les avis restent partagés. Illienko rappelait plutôt Dovjenko à la sortie de Arsenal, faisant acte de foi et d’allégeance au Parti. Les quelques dizaines de milliers d’Ukrainiens qui ont eu la chance de voir le film se sont sentis fatalement visés par rapport à leur conviction idéologique antérieure et à leur appartenance politique du moment.

 

Lubomir Hosejko



Mardi 7 octobre 2008, à 19h30

 

LIBÉRATION

 


 

Copie restaurée en 2006 par le Ministère de la culture et du tourisme d’Ukraine

 

Production : Studio de Kiev, 1940, nb, 61 mn, sonore, vostf

Scénario : Alexandre Dovjenko

Réalisation : Alexandre Dovjenko, Youlia Solntseva

Assistant-réalisateur : Lazare Bodyk

Photographie : Youriї Iékeltchyk, Hryhoriї Alexandrov, Mykola Bykov, Youriї Tamarskyi

Son : Alexandre Babiї

Décors : Moritz Umanskyi

Musique : Boris Latochynskyi

Genre : documentaire

 

Synopsis

Septembre 1939. Les troupes soviétiques annexent le territoire de la Galicie devenue entre temps polonaise. Parmi elles, le réalisateur emmenant ses opérateurs jusqu’au contreforts des Carpates. Des meetings se suivent un peu partout. Celui de Lviv scelle la réunion des deux peuples séparés.

 

 

Opinion

Alors qu’il venait de donner le premier tour de manivelle de Taras Boulba en Crimée, Dovjenko est rappelé à Kiev pour organiser l’expédition d’équipes d’opérateurs en Ukraine occidentale lors de son annexion  à l’Ukraine Soviétique le 17 septembre 1939. Avec ses opérateurs, Iékeltchyk, Alexandrov, Bykov et Tamarskyi, Dovjenko va sillonner pendant deux mois les terres de la Galicie. De cette équipée, il tire mieux qu’un simple reportage, une chronique historique accompagnée d’un commentaire incisif. On découvre un Dovjenko tribun, haranguant les foules de Lviv, Ternopil, Stanislav, Kolomyia, Kossiv, Boryslav, jouant sur la sensibilité patriotique de la population. Dovjenko montre un peuple effectivement libéré de la tutelle polonaise, mais un peuple riche et civilisé. Un peuple qui connaît la saveur de la liberté, malaisée à dissimuler devant la caméra. Il va de soi que le film ne montre pas la vague de répression qui suivit l’entrée des troupes soviétiques en Galicie. C’est avec Libération que Dovjenko insuffle un nouveau style au documentaire ukrainien auquel se réfèreront directement les films issus de la même expédition : Bucovine, terre ukrainienne de Youlia Solntseva et Lazare Bodyk, réalisé en juillet 1940 sur la région nouvellement investie par l’Armée rouge ; La Perle des Carpates de Mykhaїlo Chapsaї, Lviv soviétique et Kiev reste et sera soviétique de Yakiv Avdienko.

 

Lubomir Hosejko


Mardi 9 septembre 2008, à 19h30


Les noms soulignés indiquent des liens vers une page de kinoglaz.fr



Qui mourra aujourd’hui, 1967, nb, 30 mn, vostf.

Film de fin d’études, interdit à l’époque soviétique.

Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev

Scénario : Victor Merejko et Victor Hrès

Réalisation : Victor Hrès

 

Opinion

Prenant pour sujet l’histoire d’un détachement de soldats dans le désert, ce film de fin d’études fut mis aussitôt à l’index et n’est toujours pas restauré de nos jours. Accompagné de superbes images en noir et blanc, le thème de la soif y est traité sur le mode du western.

 

Une pluie battante, 1969, coul., 30 mn, vostf.

Production : Ukrtéléfilm

Scénario : Victor Merejko et Victor Hrès

Réalisation : Victor Hrès

Photographie : Vitali Zymovets

Décors : Volodymyr Tsyrline

Musique : Igor Kroutykov

Interprétation : Stanislav Borodokine, Sacha Kolosnitsyn, Olga Osypova.

 

Opinion

Entre cinéma poétique et néo-réalisme italien, cette miniature cinématographique qui met en exergue le Kiev des sixties autour des premiers émois amoureux d’un petit garçon, a obtenu le Prix de la meilleure réalisation au Festival de Leningrad en 1969 et la Nymphe d’Or au Festival de Télévision de Monte-Carlo en 1970.

 

La Fin des dieux, 1988, nb, 30 mn, vostf.

Production : Studio Alexandre Dovjenko de Kiev/Studio Début.

Scénario : Jevhen Houtsalo

Réalisation : Andriï Dontchyk

Photographie : Mykhaïlo Kretov

Décors : Alexandre Danylenko

Interprétation : Yaroslav Havrylouk, Boryslav Brondoukov, Guennadiï Harbouk, Loudmyla Lobza, Tetiana Nazarova, Heorhiï Moroziouk, Volodymyr Olexienko

 

Opinion

Réalisation du scénario éponyme non terminé de Dovjenko et inspiré d’extraits de son journal.