L’année de la crise
Un regard sur le cinéma russe 2008-2009
Par Elena Kvassova-Duffort
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Il y a quelques mois, le Gouvernement et le Ministère de la Culture russe ont annoncé des changements dans le modèle de financement du cinéma dans les trois années à venir, ainsi que la création d’un Conseil gouvernemental dédié au développement de l’industrie cinématographique russe et présidé par le premier ministre Vladimir Poutine.
En 2010 ce nouveau modèle de soutien de l’industrie cinématographique prévoit de partager un budget de plus de 4 Milliards de roubles en trois grandes parties:
- financement des films « d’une grande importance », c'est-à-dire des films véhiculant les valeurs patriotiques et morales,
- financement des projets montés par les plus grandes sociétés de production, et,
- financement d’autres projets parmi lesquels les films à petit budget : films d’art et d’essai, films d’animation et documentaires.
Ce changement dans la politique de financement du cinéma a provoqué beaucoup de polémiques dans la presse russe et dans le milieu cinématographique. Jusqu’à présent la répartition des subventions de l’Etat dans les projets cinématographiques était décidée au cas par cas. Le choix des projets subventionnés par l’Etat a toujours été très contesté. Mais aujourd’hui, plusieurs voix soulignent que le nouveau modèle de financement qui privilégie les grandes sociétés, représente un réel danger pour les sociétés indépendantes, produisant des premiers films et des films d’art et d’essai. Sous le diktat des chiffres du box-office, la diversité du cinéma russe est en danger, tandis que le choix des sociétés bénéficiant de l’aide d’Etat demeure arbitraire.
Pour illustrer la situation, il faut dire que l’année dernière, plus de 250 longs métrages de fiction ont été produits en Russie. Seul un tiers de ces films est sorti en salles. Sur environ 180 sociétés de production qui existent dans le pays on en compte une dizaine, parmi lesquelles Central Partnership, CTB, TRITE, Non-Stop Production, Profit, Filmocom, Rekoun etc., ayant la capacité réelle d’assurer à leurs films une vie en salles. Les autres sociétés produisant souvent un seul projet à la fois n’ont pas une solidité financière suffisante pour investir dans la promotion du film. Les producteurs de projets à grand budget comptent généralement sur le soutien d’une grande chaîne de télévision, co-producteur du film, devenu indispensable. Cela a été le cas notamment pour le film
L’Amiral, sorti le 09 octobre 2008 en 1247 copies, dont 120 en Ukraine, et avec une recette en salles de 33,7 Mln US dollars. Co-produit avec la Première chaîne de télévision russe, ce film a bénéficié d’une très importante campagne publicitaire, surtout à la télévision, ce qui est aujourd’hui une condition indispensable pour qu’un film marche bien en Russie.
Comme chaque année depuis la sortie très réussie de
Day Watch en 2006, plusieurs films se livrent une bataille au spectateur pendant les grandes vacances de Nouvel An. Cette année étaient en lice la première partie de l’Ile habitée, réalisé par Fiodor Bondartchouk d’après un roman de science-fiction des frères Strougatski (budget annoncé de plus de 30 Mln US dollars, sorti sur 932 copies),
L’Amour - carotte 2 de Maxime Pejemski (sorti le 23 décembre 2008 à un millier de copies, budget de production de 3 Mln US dollars) et
Stilyagi/Les Zazous de Valery Todorovski (sorti le 25 décembre 2008 sur plus de 900 copies, budget de production de 16 Mln US dollars). Rappelons que le film qui a eu le plus d’entrées dans l’histoire récente du cinéma russe a été la suite de la fameuse comédie d’Eldar Riazanov
L’Ironie du sort (1975)
– L’Ironie du sort 2, sortie le 1 janvier 2008 qui, avec un budget de 5 Mln US dollars, a récolté 49,9 Mln US dollars de recettes.
Tout récemment encore tous ces chiffres rendaient optimiste sur l’évolution de l’industrie cinématographique russe. Mais aujourd’hui la crise économique a stoppé plusieurs projets de films, les budgets de production sont revus à la baisse. Selon certains experts, la production cinématographique russe diminuera en 2009 de 70 %.
Selon plusieurs observateurs, l’effondrement du marché cinématographique en Russie est la suite logique de l’explosion des coûts de production au cours de ces dernières années. Le succès très médiatisé de films comme Night Watch ou Day Watch ont attiré vers le cinéma beaucoup d’investisseurs privés qui ne semblaient pas toujours intéressés par le retour sur leurs investissements. La généralisation d’un système assez irrationnel du financement des projets, l’existence de plusieurs productions à très gros budget et de l’argent des investisseurs coulant à flot, ont entraîné l’inflation des coûts et des salaires. L’industrie cinématographique russe s’est habituée à la démesure. En raison de cette situation un tournage à Moscou ou Saint-Pétersbourg est devenu une affaire très onéreuse, pour les productions étrangères comme pour les Russes qui faisaient de plus en plus souvent le choix du tournage à l’étranger, où pour un coût moindre ils pouvaient bénéficier de meilleurs services.
Les budgets de production faramineux, affichés encore très récemment avec une certaine fierté, feront bientôt partie du passé. De toute façon, avec seulement 1864 salles dans le pays (736 cinémas), on ne pouvait pas imaginer que la production de films pour le marché local avait quelque chance d'être rentable. Dans cette situation la construction de nouvelles salles, surtout en province, est devenue une priorité, mais la crise économique rend la recherche d’investisseurs très difficile. D’après les chiffres communiqués par la société Nevafilm lors du dernier Marché du film russe (du 9 au 13 mars 2009 à Moscou), la construction de salles de cinéma devrait ralentir dans les années à venir. En 2009-2010 seulement 150 salles par an vont ouvrir, ce qui signifie un ralentissement considérable par rapport aux chiffres des années précédentes : 238 salles en 2007, 251 salles en 2006, 258 salles en 2005. Cela s’explique surtout par le fait que la plupart des cinémas devraient ouvrir dans les grands centres commerciaux en projet dont environ 90% sont gelés en ce moment.
Donc pour le moment, dans ce pays à la riche tradition cinématographique, la situation par rapport aux salles peut être qualifiée de très peu satisfaisante. En Russie plus de 60% de la population ne va pas au cinéma car il n’y a pas de salles à proximité. Selon les chiffres du Ministère de la Culture russe le ratio entre le nombre de salles et la population est d’une salle pour 80.000 personnes. Quant à la fréquentation, après une croissance assez régulière du box-office (+40% en 2008 par rapport à 2007), les exploitants ont constaté en janvier 2009 une baisse de fréquentation de 14%. Selon le journal Kinobusiness, la fréquentation pour les trois mois d’hiver a baissé de 21 %. Avec un prix moyen de la place de cinéma d’USD 5,70 environ aujourd’hui, on peut supposer que, contrairement aux spectateurs des pays occidentaux, les spectateurs russes vont réduire beaucoup plus leur budget loisirs et par conséquent leur nombre de sorties au cinéma.
Autre fait inquiétant : confrontées à la baisse des revenus publicitaires, les grandes chaînes de télévision ne souhaitent plus investir dans la production et préfèrent se limiter au rôle de partenaire publicitaire.
Outre la baisse des budgets de production des films russes et de leur nombre, on peut imaginer que la crise provoquera le retour de « la longue exploitation » c'est-à-dire qu’avec la baisse de la production nationale et la diminution du nombre d’achats à l’étranger, les films resteront à l’affiche plus longtemps et les distributeurs seront plus vigilants quant à la durée de vie et la rentabilité d’une copie.
Dans ces conditions le soutien de l’Etat au cinéma devient indispensable. On peut aussi s'attendre, dans les années à venir, à un processus important de consolidation de sociétés et à la naissance de grands holdings incluant les sociétés de production, de distribution et d’exploitants. Ainsi, très récemment, on a pu lire dans la presse, que les producteurs Serguei Sélianov et Fiodor Bondartchouk projetaient de créer KinoCity une nouvelle société de distribution à l’échelle du pays et de construire 122 nouvelles salles de cinémas dans les villes de moins de 400.000 habitants.
Profit Cinéma International, une autre grande société de distribution qui appartient à Evgueni Béguinine (ancien Directeur Général d’Universal Pictures International Russia - UPI) et à laquelle on attribue aujourd’hui 4,44% du box-office russe, pourrait prochainement faire partie d’un grand holding, financé notamment par la Banque de Moscou, avec Profit, la société de production d’Igor Tolstounov et la société d’exploitation Cinema Invest.
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Aujourd’hui, c’est au Festival Kinotavr (7-14 juin 2009) que l’on peut voir la plupart des meilleurs films russes de l’année. C’est le plus important festival du cinéma russe et il a lieu chaque année au début de juin à Sotchi, au bord de la mer Noire.
Sotchi est une belle station balnéaire qui a perdu son calme depuis qu'elle a été désignée pour accueillir en 2014 les Jeux Olympiques d’hiver. Les chantiers sont partout et, partout sur la magnifique côte de la Mer Noire, poussent des immeubles et des complexes hôteliers. La particularité et l’avantage de Kinotavr réside dans le fait que toute la vie du festival se concentre autour de l’hôtel Jemtchoujina. Tout le monde voit tout le monde aux repas et les projections ont lieu dans deux salles très proches. Cela profite aussi aux participants du marché du film qui se mêlent aux journalistes et aux invités du Festival lors des conférences de presse et des différents colloques et séminaires. Kinotavr est en train de devenir un événement cinématographique important pour les journalistes étrangers ainsi que pour les sélectionneurs des festivals internationaux car il présente les nouveautés, indique les tendances et donne un avant-goût des films qui vont représenter la Russie dans le monde entier pendant toute l’année.
Chaque année, une ou deux semaines après Kinotavr, a lieu le Festival international de Moscou (19-28 juin 2009). Présidé par Nikita Mikhalkov, une figure emblématique mais aussi provoquant beaucoup de controverses en Russie ces derniers temps. Ce festival a souvent été en compétition avec Kinotavr pour obtenir dans son programme les plus intéressants films russes de l’année. Avec la baisse de la production cinématographique russe dans les prochaines années, on peut supposer que cette compétition sera encore plus acharnée. Les producteurs russes ne sont pas toujours favorables à la participation de leur film au programme d’un festival national. Il faut dire que les enjeux sont importants, car d’une part l’exposition médiatique permet de bénéficier d’une publicité gratuite, mais d’autre part, on expose le film, avant sa sortie en salles, au feu impitoyable de la critique.
En 2008 nous avons eu la chance de voir en France plusieurs films de Kinotavr et du Festival de Moscou et notamment sélectionnés au festival du cinéma russe à Honfleur, où les réalisateurs et acteurs principaux ont présenté leurs films respectifs. Le Grand prix de Kinotavr 2008, le film Shultes du réalisateur Bakour Bakouradze, a également participé à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. Tourné avec des acteurs non professionnels, ce film-début raconte l’histoire d'une rédemption. Dans un Moscou hivernal et laid, un ancien athlète devenu petit voleur, Liosha Shultes, essaie de vivre sans trop faire attention à ce qui se passe autour de lui. Ceci jusqu’au moment où il fait la rencontre d’un petit garçon pickpocket qui l’assiste désormais dans ses vols. Enfermé dans son silence, Shultes met du temps à s’ouvrir à la vie et aux autres dans une ville qui reste froide et angoissante, où l’indifférence fait la loi. Ce film est un vrai document d’époque montrant une Moscou, très éloignée de son image glamour.
Un autre film traite du thème de la solitude, c’est Champ sauvage, réalisé par Mikhail Kalatozischvili, le petit fils du célèbre réalisateur de Quand passent les cigognes Mais, cette fois, la solitude est géographique et plutôt volontaire. Le jeune médecin Mitya vit au milieu d’une steppe et soigne les gens avec les moyens très modestes et très inventifs. Là aussi l’univers fait la loi, le « champ sauvage » est un espace magique où les gens ne meurent pas et sont même capables de ressusciter et c’est peut-être cela qui rend Mitya incapable de quitter cet endroit. Mais la violence aveugle et irrationnelle fait aussi partie de cette vie et un jour Mitya est obligé de payer pour son envie de croire aux mystères. Mais cessera t-il pour autant d’y croire ?
Plusieurs autres films de 2008 avaient pour grand thème la violence.
Ils mourront tous sauf moi - cette phrase optimiste est le titre d’un film très singulier, réalisé par une jeune réalisatrice Valeria Gaï Guermanica et produit par Profit, la société de production d’Igor Tolstounov. Ce film sort en France le 22 avril 2009 et parle de la révolte des jeunes, de l’intolérance et de l’absence de communication entre les parents et leurs enfants adolescents. L’histoire de trois collégiennes, issues d’une banlieue moscovite, qui veulent à tout prix assister à une boum - le summum de leurs rêves d’adolescentes - surprend surtout par le naturel et l’authenticité des trois actrices, dirigées par une réalisatrice qui, dans un style proche du documentaire, raconte ses propres expériences de jeune adolescente tourmentée et difficile. Les gestes violents et les scènes de beuverie sont réels, les actrices et la réalisatrice ayant convenu dès le début du tournage que les événements à l’écran seraient réellement vécus.
A propos de la violence on ne peut pas ne pas mentionner l’un des films les plus controversés de 2008 – La Terre Neuve du réalisateur Aleksandr Melnik. En 2013 les prisons surpeuplées partout dans le monde font naître un nouveau programme expérimental. Ce programme prévoit que les prisonniers condamnés à perpétuité seront envoyés avec quelques petites réserves de nourriture sur une île déserte, livrés à eux-mêmes. Ainsi la Russie envoie ses prisonniers : tueurs, maniaques, chef de gangs etc. quelque part dans le Nord. Parmi eux - des Russes, mais aussi des Caucasiens, notamment Tchétchènes, avec lesquels les Russes livrent une bataille sans merci. Le personnage principal Zhiline, joué par Konstantin Lavronenko, est condamné à perpétuité pour avoir tué les aiguilleurs du ciel responsables d’un crash aérien dans lequel sa famille a péri. Réfléchi et silencieux, Zhiline s’éloigne tout de suite des autres prisonniers, préférant vivre seul, tandis que les autres créent sur l’île une espèce de camp de concentration, tuant et même mangeant les plus faibles. La communauté internationale, représentée surtout par les Européens, observe tout cela sans intervenir et lorsqu’une révolte menée par Zhiline finit par triompher et que les hommes, libérés, tentent de revenir à une vie normale, allant même jusqu’à construire une chapelle, un nouveau groupe de prisonniers leur est envoyé. Cette fois ce sont des Américains, habillés en robes oranges façon Guantanamo, qui refusent toute cohabitation avec les Russes et déclenchent une bagarre mortelle dont les derniers survivants seront achevés par des tirs de militaires, sur ordre des observateurs européens. Ce film, à relativement gros budget (le budget de production est de 12 Millions de US dollars, le budget de promotion de 3 Millions de US dollars, avec 90 jours de tournage notamment sur l’île de Spitsbergen en Norvège, en Crimée, à Malte et à Moscou), a été réalisé par Aleksandr Melnik. Ce businessman très engagé dans la cause de l’éducation patriotique du peuple russe, a dit qu’il voulait surtout parler de l’importance des valeurs orthodoxes et comparait ce qui se passait sur l’île au premier jour de la venue de l’Antichrist sur terre. Son début cinématographique à l’âge de 50 ans a beaucoup étonné les journalistes. Néanmoins la qualité de réalisation est indiscutable et laisse de très forts souvenirs chez le spectateur. Le scénario original a été écrit par Arif Aliev, l’un des scénaristes russes les plus connus en ce moment (Mongol, Le prisonnier du Caucase etc.), les images sont de Ilya Diomine (prix de la meilleure image de Kinotavr).
Plusieurs films de 2008 ont été consacrés à la province russe.
Un jour sans fin à Youriev de Kirill Serebrennikov, La Mouche de Vladimir Kott et Il était une fois, en province de la jeune réalisatrice Ekaterina Shagalova (ce film, signé par la fille du scénariste Aleksandr Mindadze, a récemment été montré en France au Festival de film de femmes de Créteil) raconte l’histoire de personnes qui, à la suite de différentes circonstances, sont amenées à quitter la capitale pour aller vivre en province.
Une chanteuse d’opéra moscovite (Un jour sans fin à Youriev), narcissique et arrogante, visite avec son fils la ville où elle est née. D’une façon mystérieuse et soudaine son fils disparaît et la mère, désespérée, se met à sa recherche en passant par tous les cercles de l’enfer, apprenant ainsi l’humilité. Une jeune actrice qui, grâce à une série télévisée, a connu une brève célébrité (Il était une fois, en province) est amenée à passer quelque temps chez sa sœur qui vit dans une baraque quelque part dans une petite ville industrielle avec son mari, jeune vétéran de la guerre de Tchétchénie. Le mari souffrant de ses blessures bat sa femme à mort et seuls ses amis, également anciens soldats, sont capables de protéger les deux sœurs. Un chauffeur-routier (La Mouche) apprend qu’il est père d’une adolescente et décide de tout quitter pour aller vivre aux côtés de cette fille, sauvage et violente, dans une petite ville d'Oural.
Finalement, on pourrait penser que le choix des thèmes traités aujourd’hui par le cinéma russe est le reflet assez exact d’une certaine partie de l’opinion publique russe, convaincue du pouvoir omniprésent des services secrets, de l’hostilité de l’occident vis-à-vis de la Russie (La Terre Neuve en est le meilleur exemple), du pouvoir rédempteur de l’orthodoxie (Un jour sans fin à Youriev est surchargé d’allusions religieuses et dans La Terre Neuve la réintégration dans la société des criminels, maniaques et des tueurs en série, commence par la construction d’une chapelle). On note aussi l’apparition de nombreux films dédiés à la gloire d’un personnage historique ou de la nation russe, tournés sur commande et en parfait accord avec l’idéologie officielle.
Les chiffres du box-office montrent que les spectateurs russes, qui d’après la productrice Elena Yatsura aspirent « à une vie confortable dans un pays confortable », n’aiment pas être confrontés à des sujets difficiles et tristes. Nous n’allons pas nous arrêter sur les « feel-good movies » et sur le « cinéma pour hennir » (expression du producteur Serguei Selianov, en russe le mot hennir signifie aussi « rire bêtement ») qui sont pourtant très nombreux sur les écrans russes. En 2008 plusieurs comédies sont sorties avec beaucoup de succès, notamment Hitler kaput!, Le Meilleur film, L’Amour-carotte-2 etc., mais il est très peu probable que nous ayons l'occasion de voir ces films en France.
Plusieurs films de l’année 2008 parlent des rêves et des illusions brisées. Dans L’Empire disparu de Karen Chakhnazarov, film pénétré par une nostalgie indescriptible des années 50, le héros déçu par sa vie amoureuse part dans le désert à la recherche de la ville mystérieuse. Dans Les Zazous de Valery Todorovski le héros apprend avec désarroi que l’Amérique de ses rêves n’existe pas et que les zazous américains sont une pure invention. Le rêve parisien du héros du film Les Oiseaux de paradis de Roman Balayan se brise. Enfin, le docteur Daniil Pokrovski, personnage principal du Soldat de papier d’Aleksei Guerman jr, mourra la veille du lancement du vaisseau spatial avec le premier cosmonaute russe à son bord et ne verra jamais son rêve se réaliser. Il est très intéressant de noter que plusieurs réalisateurs se tournent vers des histoires qui se passent dans les années 50, à la fin de l’époque stalinienne et au début du Dégel.
On ne peut achever l’analyse de la production russe de l'année dernière sans parler du nouveau film d’Aleksei Balabanov Morphine inspiré d’oeuvres de Mikhail Boulgakov. Aleksei Balabanov est un réalisateur troublant que l’on aime ou que l’on déteste déjà, depuis ses films
Des monstres et des hommes,
Le Frère et surtout depuis La Guerre . Balabanov ignore les tabous et ne prête pas beaucoup d’attention à la critique. Il a sa vision du monde, sa propre façon de montrer ce qui se passe aujourd’hui en Russie et sa propre façon d’expliquer comment on en est arrivé là. On peut ne pas être d’accord avec ses idées ni avec la brutalité des moyens qu’il utilise pour les exposer, mais on ne peut pas nier le professionnalisme du maître qui cherche à provoquer des émotions chez le spectateur et, dans la plupart des cas, y arrive très bien Morphine est sorti très peu après le très controversé Gruz 200 (Cargaison 200). Le film est lui aussi chargé d’images très violentes, illustrant la vie d’hôpital au fin fond de la campagne russe, avec des images comme une trachéotomie sur la gorge d’un enfant ou une amputation des jambes. On y voit un jeune médecin sombrer dans la morphinomanie sans pouvoir faire face à la cruauté de la vie et entraîner dans sa chute la femme amoureuse de lui. Tout cela se passe au cours de l’hiver 1917, alors que la prise de pouvoir par les bolcheviks est inévitable et que le monde se dirige vers la catastrophe. Ce monde ne laisse pas beaucoup de refuges si ce n’est l’hôpital psychiatrique où le docteur Poliakov tente de chercher de l’aide, ou bien la salle de cinéma, refuge des illusions, où on le voit sourire pour la première fois dans le film, pour ensuite se tirer une balle dans la tête. On peut beaucoup s’interroger sur les autres messages idéologiques de Balabanov. Rend-il les juifs (dont l’un est incarné dans le personnage de l'aide-médecin Gorenbourg) responsables de la catastrophe ? La femme amoureuse, d’origine allemande, pouvait-elle sauver le héros de l'autodestruction ou fallait-il pour cela qu'elle fût russe ? Et finalement, comme dans
Gruz 200 dont l’histoire se déroule dans les années 80, est-ce que les spectateurs considèreront que le film traite de problèmes actuels ou bien décideront-ils qu’il s’agit d’un film historique et que ce qui s’est passé en 1917 n’a rien à voir avec la situation d’aujourd’hui?
Quels films russes pouvons-nous nous attendre à voir en France en 2009 ? Parmi les films déjà terminés et que l’on aimerait voir on peut citer
La Russie 88 de Pavel Bardine. Ce film, qui a reçu le Prix de la critique au Festival des débuts cinématographiques de Khanty-Manssijsk (L’Esprit du feu), traite du problème du néo nazisme, malheureusement de plus en plus présent dans la Russie d’aujourd’hui.
Le nouveau projet de Karen Chakhnazarov La Chambre n° 6, d’après Anton Tchekhov, sortira en Russie le 18 juin prochain.
Pavel Lounguine, déjà très connu en France, termine la production du film historique
Tsar (Ivan le Terrible et le métropolite Philippe), qui doit sortir en salles cet été en Russie et participera programme d'Un Certain regard à Cannes. Aleksej Outchitel a terminé le tournage du
Train. Ce film parle des premières années d’après la guerre 1941-1945. Aleksei Popogrebski, auteur du film
Les Choses simples, a terminé le tournage de son nouveau film Le Dernier Jour, une histoire dramatique entre deux hommes qui se passe dans l’extrême Nord, à Tchoukotka et dont les images magnifiques nous sont garanties. Larissa Sadilova continue à travailler à son nouveau projet Compagnon de route qui parle d’une relation père–enfant. En octobre 2009 sortira La Génération P, tourné d’après le roman éponyme de Victor Pelevine et réalisé par Victor Guinsbourg. Le film d’Aleksei Guerman d’après le roman de frères Strougatski Il est difficile d'être un Dieu devrait sortir à la fin de 2009. Et enfin, le 9 mai 2010 ce sera la suite de Soleil Trompeur de Nikita Mikhalkov - Soleil Trompeur 2
Une information très récente concerne la promotion du cinéma russe à l’étranger. Selon la presse russe, cette tâche sera confiée à la société Sovexportfilm, l’organisme qui depuis 1945 s’occupait de la promotion du cinéma russe en Union Soviétique et qui, jusqu’en 1989, avait le monopole de la distribution des films russes à l’étranger et des films étrangers sur le territoire russe. Menacée encore très récemment par la privatisation dont la procédure vient d’être stoppée début mars 2009, Sovexportefilm sera responsable de l’organisation des semaines et des festivals du cinéma russe dans le monde en s’inspirant d’UNIFRANCE (association française crée en 1949 et dont le budget annuel est d’environ 7 millions d’EURO). Cette information est d’autant plus importante que l’année 2010 est annoncée comme l’année croisée de la Russie en France et de la France en Russie, donc on pourrait s’attendre à un nombre accru de manifestations liées à la culture russe et notamment au cinéma. Aujourd’hui, un grand nombre de festivals et de semaines du cinéma russe ont lieu chaque année partout en France. Il faudrait citer surtout le Festival du cinéma russe à Honfleur dont la 17ème édition aura lieu en novembre 2009, mais aussi les festivals et semaines du cinéma russe à Nantes, à Strasbourg, à Marseille et à Paris. Ce qui unit les organisateurs de tous ces événements c’est leur amour inconditionnel pour le cinéma russe, mais aussi les difficultés énormes qu’ils rencontrent pour obtenir des copies sous-titrées de nouveaux films russes. Il est évident qu’en apportant une aide à l’organisation de ces événements, l’organisme chargé de la promotion du cinéma russe à l’étranger pourrait bénéficier à son tour du soutien et de la logistique d’un réseau très large d’amateurs du cinéma russe en France.
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