Un jeune homme pétri d'idéal communiste, modèle pour la nouvelle société en construction, tombe amoureux de la femme d'un professeur "bourgeois" et conservateur.
Les textes et les images ci-dessous sont extraits du dossier consacré au film L’Homme sévère dans le livre Gels et dégels, une autre histoire du cinéma soviétique sous la direction de Bernard Eisenschitz, Centre Pompidou, Mazzotta, 2002
Présentation de la pièce Le Jeune Homme sévère, première pièce pour le cinéma de Youri Olecha à la Maison de l'Ecrivain soviétique le 3 juillet 1934
A. Fadeev, P. Judin, V.Kirpotin, V. Sklovski, G. Korabelnikov, Vs. Meyerhold, D. Mirskij, A. Surkov, Katinov (Sojuzfil'm), le réalisateur Abram Room et bien d'autres ont unanimement souligné la valeur de cette œuvre où Olesa pose le premier le problème de l'homme nouveau, des nouveaux sentiments et des nouvelles relations socialistes, ce qui en fait une œuvre littéraire d'une profonde signification philosophique.
Meyerhold a reproché à l'écrivain d'avoir choisi la forme d'un scénario. Cette œuvre aurait gagné à être une nouvelle facile à adapter au cinéma.
« Mon rôle en tant que réalisateur », dit Abram Room, « est de faire de ce merveilleux scénario un grand film.
Intervention d'Olecha au premier Congrès des écrivains soviétiques (17/8-1/9.1934)
« Je veux créer un type déjeune être humain, en le pourvoyant du meilleur de ce qui fut dans ma jeunesse. (...) Je me suis personnellement assigné pour mission d'écrire à propos des jeunes. J'écrirai des pièces et des récits dont les personnages devront résoudre des problèmes de caractère moral. Quelque part en moi existe la conviction que le communisme n'est pas seulement un système économique, mais aussi un système moral, et les premiers à incarner cet aspect du communisme seront les jeunes gens et les jeunes filles.
Youri Olecha, Nouvelles et récits, l'Age d'homme, Lausanne 1995
Télégramme de Room à Olecha
« Cher Youri Karlovitch, le montage du Jeune Homme sévère a été montré hier pour la première fois. Les dirigeants du studio l'ont vu avec attention, intensité et intérêt. Ils ont souvent ri et soudain, les larmes ont jailli. »
Publié par Vladimir Zabrodine in Abram Matveevic Room 1894-1976, Musei Kino, Moscou 1994
Résolution de la compagnie Ukrainfilm sur l'interdiction du film Le Jeune Homme sévère 10 juin 1936
Après avoir visionné le premier montage du film le Jeune Homme sévère (pratiquement terminé), nous sommes arrivés à la conclusion que son réalisateur, Abram Room, non seulement n'a pas tenté de combattre le caractère idéologique et artistique pernicieux du scénario, mais a ouvertement mis en valeur son fondement « philosophique » qui nous est étranger et son système mensonger de symboles. Par sa conception idéologique, son traitement des images, son esthétique et son style, le film est un modèle de pénétration des influences étrangères dans l'art soviétique. Cela se reflète avant tout dans ce qui suit :
1. Le pivot idéologique du film - un nouveau code de morale, des réflexions sur l'égalité et le nivellement - est un mélange de sentences prétentieuses («La générosité, pour anéantir le
sens de la propriété ») et de lieux communs abstraits, auxquels sont mécaniquement ajoutés, dans le but évident de donner au film une meilleure chance de «passer», des paroles du camarade Staline sur la clarté de l'objectif du bolchevisme, nouveau trait de caractère des Soviétiques.
2. Les personnages du film déclinent sur tous les tons l'idée bourgeoise de technocratie. Par la bouche de jeunes Soviétiques, de «bons komsomols», les auteurs affirment que c'est à l'élite de l'intelligentsia qu'appartiendra le pouvoir «dans la future société sans classe» (pouvoir personnifié ici par l'antipathique docteur Stepanov).
3. Les ratiocinations des auteurs (le monologue du docteur Stepanov, entièrement approuvé par les héros positifs) sur la damnation éternelle de l'homme, sur le fait que - quelle que soit la société, communiste ou capitaliste - le destin de l'homme sera toujours marqué par la souffrance et la peur de la mort, et que seule l'alternance de joies et de souffrances donne à l'existence sa beauté et son sens, tout cela constitue le refrain d'un pessimisme philosophique dont les idées sont dirigées contre les idéaux communistes du prolétariat révolutionnaire.
4. Les komsomols sont représentés de telle manière que le film donne l'impression d'unecaricature. En faisant énoncer au principal personnage positif - Grisa Fokin - les idées exposées plus haut, Room dépeint la jeunesse soviétique, les komsomols, comme dépourvus de volonté, incapables de faire obstacle à l'ennemi de classe (Citronov et ce qu'il représente), et esclaves du «génie» de Stepanov.
5. Celui-ci, entouré de l'attention exclusive du pouvoir soviétique (là encore, le réalisateur grossit le trait), ce savant que révère la jeunesse, doit être perçu comme un représentant typique de l'intelligentsia scientifique soviétique. Mais en fait, Stepanov est un être vaniteux, limité et vulgaire, hautain et arrogant, totalement étranger à la réalité soviétique.
6. La réalisation du film comporte de graves écarts de style par rapport au réalisme socialiste. Des fioritures formalistes, une stylisation de mauvais goût, une volonté de joliesse -tout cela marque fortement le film, en particulier les scènes au stade, le rêve de Grisa, les scènes dans les coulisses du théâtre, etc. L'opérateur Ekeltchik, entièrement soumis au style choisi par Room, a adopté la même esthétisation et stylisation, cette stérilité mystique des formes.
Au vu de tout cela, Ukramfilm a décidé :
a) d'interdire la sortie du Jeune Homme sévère. Le studio doit faire cesser les travaux sur le film.
b) Sur décision du GUKF, le réalisateur du film, Abram Room, déjà licencié de Mosfilm pour indiscipline et désorganisation du travail, est privé de son droit à travailler comme réalisateur de cinéma.
c) L'opérateur, le camarade Ekeltchik, pour les graves erreurs qu'il a commises, pour son absence de résistance et de principes, reçoit un blâme.
d) Le directeur du studio de Kiev, le camarade Netches, et le chef de la direction artistique et de production d'Ukrainfirm, le camarade Levit, n'ont pas fait preuve d'assez de vigilance et ont laissé à Room la liberté totale d'appliquer ses idées nuisibles à l'orientation idéologique et stylistique du film. Une discipline financière et organisationnelle insuffisante a entraîné de graves dépassements budgétaires, des périodes d'arrêt du travail et un laisser-aller qui ont fait monter le coût du film à plus de 1 800 000 roubles. La question de la responsabilité des camarades Netches et Levit doit être posée devant les organes dirigeants. Le directeur adjoint du studio de Kiev chargé des problèmes artistiques et de production, le camarade Lajourine, qui était personnellement chargé du film le Jeune Homme sévère (et qui porte déjà la responsabilité de la sortie de films comme l'Intrigant et Prométhée) est démis de ses fonctions à la direction du studio.
Le Directeur d'Ukrainfilm Tkac Kino, 28 juillet 1936
Room se consacre au théâtre pendant plusieurs années et réalise des films de commande, jusqu 'à ce que l'écrivain Leonid Leonov l'impose pour Invasion (Nachestvie), 1944.
Après la guerre, il réalise Dans les montagnes de Yougoslavie (V gorah Jugoslavi), 1946 et travaille irrégulièrement pour le cinéma jusqu 'en 1972.
La première projection publique du Jeune Homme sévère a lieu en août 1974, à l'occasion d'une rétrospective de Room pour ses quatre-vingts ans.
Le scénario est publié en français dans Nouvelles et récits de Iouri Olecha, l'Age d'homme, Lausanne 1995.