Le temps scellé : de L'Enfance d'Ivan au Sacrifice
Auteur : Andreï TARKOVSKI
Edition : Cahiers du cinéma, 2004
ISBN 2866423720, 9782866423728
301 pages
Langue : Français
Site / Google : http://books.google.fr/ ...
Période : 1950 - 1986
Désormais, Andrei Tarkovski, tout au long de son œuvre cinématographique - Andrei Tarkovski, Solaris, Le Miroir, Stalker - rédigera des notes de travail, des réflexions sur son art, restituant dans le même mouvement son itinéraire d'homme et d'artiste. Exilé en Italie où il réalise Nostalghia en 1983, puis en France, il rassemble ses écrits qui seront d'abord édités en Allemagne puis dans les pays d'Europe occidentale. Il y aborde une large réflexion aussi bien sur l'art cinématographique, son ontologie et sa place parmi les autres arts, que sur la civilisation contemporaine ou des objets plus concrets comme le scénario, le montage, l'acteur, le son, la musique, la lumière, le cadrage... Il confère enfin une place particulière à son dernier film, Le Sacrifice, auquel il consacre toute la fin de l'ouvrage. Andrei Tarkovski est décédé en France en décembre 1986.

Analyse de Le temps scellé par Kinoglaz :
Tarkovski précise, dans l’introduction, que son livre est le fruit des réflexions nées de son expérience de cinéaste, et que ce sont les difficultés qu’il a rencontrées auprès des autorités et du public qui l’ont incité à formuler sa théorie du cinéma.
Le livre s’attache à cerner la mission propre de l’artiste, à préciser la spécificité de l’art cinématographique, et à analyser les méthodes et les techniques susceptibles de réaliser ses objectifs.
Méditation sur l’œuvre d’art, l’essai de Tarkovski est aussi une profession de foi. L’art est la quête de l’absolu, la poursuite d’un idéal, commun au créateur et à son public : « L’art existe et s’affirme là où il y a une soif insatiable pour le spirituel, l’idéal. Une soif qui rassemble tous les êtres humains. » L’artiste doit sacrifier son existence à sa vocation, il « est un serviteur, éternellement redevable du don qu’il a reçu comme par miracle », et à ce titre, il doit communiquer aux spectateurs la foi et l’espérance qui l’animent. En ce sens le cinéma est un art comme la littérature, la peinture, la musique : l’émotion est le vecteur de la vérité qu’il révèle. Cependant, Tarkovski définit l’originalité et la nouveauté de l’art cinématographique : l’émotion s’y exprime à travers des images, donc de manière sensorielle, et immédiate, ces images étant empruntées directement à la réalité. Le cinéma se sépare de la littérature, nécessairement discursive, mais aussi de la peinture, statique. La conquête essentielle du cinéma, c’est d’être « la matrice du temps », et le travail du cinéaste est de « sculpter le temps ».
Tarkovski analyse les méthodes et les techniques propres à accomplir cet objectif, c’est-à-dire la révélation de l’unité du temps qui définit chaque vie, unité qui est la respiration propre du film. Celui-ci ne peut être l’œuvre que d’un auteur, parce que la subjectivité artistique, liée à l’expérience du temps vécu par l’auteur, ne peut se partager avec le scénariste, le chef-opérateur et les acteurs. La collaboration de tous, nécessaire à une vision commune de la réalité, doit se faire sous la seule direction du réalisateur. Par ailleurs, Tarkovski récuse le montage narratif, qui réduit le temps à la succession chronologique des faits et le « montage intellectuel », qui le rationalise. Le cinéaste, pour recréer la substance du temps, doit le représenter dans chacun de ses plans, avec son épaisseur propre, celle du passé, dont chaque instant présent est chargé, et qui est aussi gage d’avenir. Ainsi dans le Miroir, la chronologie est-elle totalement brouillée, superposant à l’intérieur même des plans le regard de plusieurs générations, lesquelles revivent à travers la mémoire du narrateur. Le montage des différents plans obéit à « la liaison poétique » : ce sont les émotions et le temps propre à ces émotions qui rythment l’enchaînement des séquences. D’autre part, le scénario n’est qu’un « brouillon » du film, que le « temps » du tournage bouleverse nécessairement. « Le tournage, le montage, la sonorisation, mènent à la cristallisation de l’idée première, en lui donnant des formes plus précises, et la structure du film n’est définitivement arrêtée qu’au tout dernier moment. Le processus d’une œuvre est une lutte avec le matériau pour le maîtriser et l’amener à la pleine réalisation de l’idée qui animait l’artiste dans sa toute première inspiration. » L’unité ainsi trouvée est vécue par le cinéaste comme une « illumination » (la révélation de l’absolu) partagée avec les spectateurs. La beauté de l’œuvre est la découverte de la vérité « toujours belle. L’esthétique rejoint ici l’éthique. »
Au cours de sa réflexion Tarkovski analyse ses films et les différents problèmes qui se sont posés à lui dans la recherche de l’unité « organique » de chacun d’entre eux, et qui tous s’expriment en termes de recherche de la réalité du temps vécu par la conscience du personnage du film, telle que le réalisateur l’éprouve et telle que chaque spectateur peut la reconnaître en lui-même.
Thèmes : Histoire du cinéma, réalisateurs, théorie du cinéma,