1939, en Bukovine. Liess, le sonneur, est trop pauvre pour élever ses nombreux enfants. Aussi , il va « vendre » au village ses quatre fils aînés pour subvenir aux besoins de la famille. Le pope achète le plus jeune, Gueorgui. Mais la guerre commence, et l’Armée rouge abat le poteau-frontière, signe de l’annexion de la région à l’Ukraine. Citoyens soviétiques, les frères sont devenus frères ennemis : Orest rejoint les « bandes noires » fascistes, Piotr choisit l’uniforme russe. Dana, la fille du pope, doit épouser un soldat soviétique, mais Orest l’enlève et s’enfuit dans les Carpates. Un incendie perpétré par les fascistes détruit l’isba de Liess. Les violences barbares se multiplient. Puis la paix revient, difficilement. Gueorgui revient, jeune médecin, et s’installe au village. Il est l’homme blanc sans aucune tache noire.
Commentaires
En 1918, la Bukovine, région des Carpates orientales, est cédée à la Roumanie. En 1939, l’URSS exige la cession de la partie septentrionale de la province. Reconquise grâce aux Allemands par la Roumanie, cette partie de la Bukovine fut définitivement annexée à l’Ukraine soviétique en 1947.
Jean de Baroncelli, dans un article du journal Le Monde souligne l’importance de l’histoire dans ce récit qui pourtant est « une fresque folklorique » et non un film historique. « Mais la guerre-celle entre l’URSS et la Roumanie « fasciste »- n’est pas moins continuellement présente à l’arrière-plan du récit. C’est elle qui ajoute l’horreur à la misère, le massacre à la servitude, et qui jette dans des camps opposés les fils aînés de Liess, le pauvre sonneur de cloches, dont Ilienko nous décrit, en images fulgurantes, le long calvaire ».
Le titre du film L’Oiseau blanc marqué de noir s’explique par la légende que la mère de Gueorgui lui raconte lorsqu’il est enfant : Dieu a changé l’homme en cigogne pour le punir d’avoir ouvert le grand sac qui renfermait le Mal. Depuis ce jour, la cigogne est condamnée à ramasser la vermine du monde. Elle ne perdra la marque noire de son châtiment que lorsqu’elle aura complètement achevé son devoir.
Opinion :
"Troisième long métrage de Youriї Illienko et superproduction tournée en 70 mm, L’Oiseau blanc marqué de noir est l’une des dernières manifestations de l’Ecole poétique de Kiev. Cosigné par Ivan Mykolaїtchouk et Youriї Illienko, le scénario part de l’idée archétype des vieux films bolcheviques : jeter dans des camps opposés les fils d’une même nation. L’idée originale de cette tragi-comédie revient à Ivan Mykolaїtchouk qui ne fit que raconter ce qu’il a vu et entendu pendant son enfance. Il a vécu dans les Carpates, la région où se déroulent les évènements et où chaque personnage exprime le drame d’une population déchirée par son contentieux idéologique et politique. Drame social et humain vécu par une modeste famille pendant la réorganisation géopolitique de la Bucovine de 1939 à 1950, L’Oiseau blanc marqué de noir est avant tout la rencontre de deux Ukraine qui ne se connaissent pas. Tour à tour occupée par les Turcs, les Russes, les Autrichiens et les Roumains, la Bucovine septentrionale devient soviétique en 1940. Envahie par les Allemands, elle sera définitivement annexée à l’Ukraine soviétique en 1947. Pour la première fois depuis la mort de Staline, un réalisateur ukrainien réussit une investigation poussée sur une période relativement récente et douloureuse de l’histoire de l’Ukraine, tout en s’appuyant sur le concept universel du Bien et du mal et en discourant sur le sens de l’existence auquel l’homme ne peut donner une réponse, même devant la mort. Les fameuses bandes noires fascistes que l’on arrive pas très bien à situer dans le film sont, en réalité, les maquisards de l’Armée Insurrectionnelle ukrainienne qui combattent à la fois les armées allemandes et soviétiques, les sympathisants communistes et les collabos de tout poil. Bien que primé au Festival de Moscou, le film n’a pas eu de diffusion commerciale en Ukraine. Reçu avec froideur par les responsables du Parti communiste de la région de Lviv, il fut frappé d’interdiction pour ses intentions ouvertement idéalistes et son discours passéiste, trop dangereux pour être montré à la population de la Galicie, foyer du nationalisme ukrainien. C’est au secrétaire général du PCU Petro Chelest, lui-même blâmé pour avoir idéalisé sa nation dans son ouvrage intitulé Notre Ukraine soviétique, qu’incomba, le 10 novembre 1971, de dénoncer publiquement cette dérive. Et pourtant, chez Illienko, toutes les conditions préalables à la réalisation d’un film bolchevique, prônées en son temps par Dovjenko, étaient réunies : contenu social, portrait collectif de la nation, cinéma de poésie. A ces préceptes, Illienko ajouta une forte connotation politique, un enracinement régional très prononcé, des ressources profilmiques et techniques extrêmement percutantes. L’Oiseau blanc marqué de noir était-t-il, dans ces conditions, une œuvre à doublure réactionnaire, comme le fut La Terre de Dovjenko selon Demian Biedny. Ici encore, les avis restent partagés. Illienko rappelait plutôt Dovjenko à la sortie de Arsenal, faisant acte de foi et d’allégeance au Parti. Les quelques dizaines de milliers d’Ukrainiens qui ont eu la chance de voir le film se sont sentis fatalement visés par rapport à leur conviction idéologique antérieure et à leur appartenance politique du moment."
Lubomir Hosejko