Le Jour du pain : Médaille d'or meilleur film documentaire au Festival International Message to Man,Saint-Pétersbourg, 1998
Médaille d'or meilleur film documentaire au Festival International de documentaires de Leipzig, 1998
Golden Dragon, 1999.
Highway : Grand prix au Festival du film documentaire de Marseille, 1999
Prix du meilleur film au festival du nouveau cinéma documentaire de Perme, 2000
Paradis : Prix du meilleur film documentaire au Festival de la jeunesse à Kiev, 1995
Meilleur premier film au Festival international "Message to man" à Saint-Pétersbourg, 1995
Médaille d'or au Festival international de San Francisco, 1996
Biographie
Sergueï Dvortsevoy est né le 18 août 1962 à Tchimkent (Kazakhstan). En 1982, il termine ses études à l'école d’aviation de Krivy Rog (Ukraine)et jusqu’en 1988, suit les cours par correspondance de la faculté de radio électronique de l’Institut d’Electronique de Novossibirsk. En 1992 il sort diplômé du Cours Supérieur de formation de Scénaristes et Réalisateurs de Moscou où il a été l'élève de L. Gourevitch et S. Zelikine.
Sergueï Dvortsevoy est un des représentants des cultures kazakh et russe au cinéma. Il réalise d’abord des films documentaires et rencontre le succès avec Le jour du pain en 1998. Portrait des derniers habitants d'un camp de pionniers à Saint-Petersbourg, le film est nominé au Joris Ivens Award à Amsterdam. Véritables chroniques sociales, ses documentaires dépeignent des lieux et des individus rarement visibles au cinéma, comme les nomades des steppes dans Paradise ou un cirque familial dans Highway qui se déroulent au Kazakhstan, son pays d'origine. En 2004, avec son film Dans le noir, il décrit la vie d'un vieillard russe. En 2006, il s'éloigne du documentaire pour s'essayer à la comédie. En 2007 il réalise son premier long métrage de fiction : Tulpan (Тюлпан).
Extrait de l'interview de Sergueï DORTSEVOY publiée dans le dossier de presse relatif à Tulpan en janvier 2009.
(On pourra lire le complément de l'interview en se reportant à la fiche du film)
A l'origine, vous étiez ingénieur radio. Comment en êtes-vous venu à vous inscrire au cours supérieur de cinéma à Vgik en 1990, période très troublée en Russie ? J'ai travaillé neuf ans dans un aéroport au Kazakhstan. Nous faisions des vols d'essais, testions le matériel. J'en ai eu assez, c'était la routine. Je connaissais les avions par coeur. Un soir, j'ouvre le journal local et je vois que quiconque souhaitant s'inscrire au Cours Supérieur de cinéma à Vgik devait leur envoyer un essai. Alors, n'ayant rien de mieux à faire, et sans approfondir, j'ai écrit quelque chose et je l'ai envoyé à Kazakhfilm. Ils m'ont télégraphié pour que je vienne passer l'examen d'entrée. J'ai réussi l'examen et j'ai été admis à Moscou. Je n'avais pas particulièrement envie de devenir réalisateur. Si le journal avait dit "Inscrivez-vous au cours de danse", j'aurais fait exactement la même chose parce que je m'ennuyais. Je n'ai jamais rêvé de faire des films. Je n'avais jamais touché à une caméra. Je ne savais même pas vraiment prendre des photos. Je ne m'intéressais pas non plus vraiment à l'art. En fait, je lis beaucoup. Comme vous le savez peut-être, les Russes sont par tradition de grands lecteurs. Mais je ne connaissais pas grand-chose au cinéma et rien du tout au documentaire. Dès mon inscription, l'Union Soviétique s'est disloquée. Je me souviens qu'au moment où ils ont apporté les journaux, nous nous jetions dessus, totalement sidérés. Kazakhfilm m'a envoyé à Moscou. On m'avait donné une bourse et quand l'Union Soviétique fut désintégrée, je n'ai plus eu aucun moyen pour vivre. Il a alors fallu que je m'en sorte par différents moyens. En y réfléchissant, tout est possible dans la vie. Prenez mon cas. J'ai commencé à faire des films à 31 ans, alors qu'à 28 ans, cela ne m'intéressait même pas.
Qui étaient vos professeurs au Cours Supérieur ? A cette époque, l'école était dirigée par Lyudmila Golubkina. C'était un tout petit lieu très ouvert. Il n'y avait pas de notes et l'enseignement se faisait sous forme de discussions. Nous discutions absolument de tout, de films, de musique, de philosophie, de religion, de peinture, lors de séminaires et nous avions des ateliers avec toute sorte de gens intéressants. Nous regardions beaucoup de films, trois ou quatre par jour. C'était un enseignement vraiment intensif. J'ai fait cela pendant deux ans.
Quels films vous montraient-ils ? A la fois l'histoire du cinéma mondial et du cinéma russe y compris les tout premiers films, les films d'animation, les longs métrages, les documentaires. Les étudiants en documentaire avaient aussi des ateliers de travail avec des acteurs, par exemple, nous avons fait des petites mises en scène de théâtre. Ils nous ont aussi montré des films tchèques de Chytilova, les premiers films de Forman
Et votre réalisateur préféré ? Je n'ai pas de réalisateur préféré, j'aime un très grand nombre de metteurs en scène : Antonioni, Vigo, Forman, mais il y a toujours quelque chose que je ferais autrement. Je n'ai pas de modèle favori, même parmi les réalisateurs de documentaires. Le meilleur réalisateur est Dieu, nous autres ne sommes que ceux qui ont suivi…
Avez-vous mis du temps à trouver le financement pour votre premier film dans le chaos qui régnait à l'époque en Russie ? Non, c'est étonnant mais j'y suis parvenu très rapidement. Juste après avoir quitté l'école en 1993, je savais que je voulais faire un film sur une famille kazakhe. J'étais fasciné par ce thème, celui d'une petite famille vivant isolée dans la steppe. Je cherchais de l'argent et une de mes connaissances m'a donné le numéro d'un homme d'affaires. Je ne sais toujours pas comment elle a obtenu son numéro. Je suis allé le voir, c'était un Géorgien, je pense qu'il appartenait à une bande d'escrocs. Ils faisaient du business dans les métaux, trafiquaient de l'aluminium. Je n'avais que des séquences vidéo à lui montrer. Il les a vues. Il m'a demandé de combien j'avais besoin. Je lui ai répondu 5000$ et il me les a donnés sur-le-champ. Il a envoyé un assistant les chercher dans le coffre. Comme ça, simplement : "Prenez-les !". Plus tard, quand le film a eu du succès, qu'il a gagné des tas de prix et a été présenté dans plein de festivals, j'ai rediscuté avec des gens de cette société. Ils m'ont dit qu'ils ne s'étaient pas attendus à ce que je fasse réellement un film. Ils m'avaient donné l'argent pour que je les laisse tranquilles. Ils devaient vraiment avoir beaucoup d'argent…
Et ensuite, grâce aux récompenses internationales obtenues, vous avez pu trouver un financement pour votre film suivant ? J'ai gagné des prix, je me suis fait un nom, mais mes films sont particuliers, ils ne sont pas vraiment adaptés à la télévision, et les documentaires sont, pour la plupart, financés par la télévision. Néanmoins, j'ai gagné un prix au festival du film de Sotchi. Le grand prix est récompensé de 10 000 mètres de pellicule Kodak en 35 mm. Cela équivaut à 20 000$. Alors, j'ai pris la pellicule, j'ai loué une caméra, j'ai demandé à un de mes amis caméraman de m'accompagner et on est partis sans argent, sans équipe, pour ce village. J'ai payé la location de la caméra et mon ami. J'ai enregistré le son moi-même.
Vos films ont toujours une forte dimension sociale, mais en même temps, vous réfléchissez beaucoup à la composition d'un plan, à sa valeur esthétique. J'essaie toujours de trouver de la poésie dans la vie de tous les jours, quelque chose de métaphysique. Quand j'observe un phénomène social et que j'y réfléchis, je trouve une signification profonde, une image. Et dans ce village où a été tourné Le Jour du pain, dès que je les ai vus pousser cette voiture remplie de pains, j'ai compris qu'il y avait là un film fort à faire. C'était une situation très banale, mais si vous la regardez sous un certain angle, il y a de la profondeur là-dedans. Tout ce que vous avez à faire, c'est la restituer. J'aime regarder, observer la vie. L'essentiel est là. Si vous aimez la vie, vous voyez beaucoup de choses, il faut juste faire attention. Le problème est que la plupart des gens n'aiment pas la réalité. Ils la trouvent sordide, sans intérêt, donc, ils la fuient. Ils en ont peur. Moi, au contraire, j'aime la réalité, je l'adore, j'adore simplement la vie.
Pouvez-vous transformer la vie des gens quand vous faites un film sur eux ? Le film documentaire, tout au moins le genre de documentaire créatif que je fais, est bien particulier, il n'aide pas beaucoup les gens. Quand je fais un film, je ne le fais pas pour aider les gens. Je les aide au moment où je réalise le film, mais le film en lui-même ne peut pas les aider. Et en fait, parfois, il leur fait du mal et rend leur situation encore plus pénible.
Faire un film sur quelqu'un ne lui apporte pas forcément du bonheur. En avez-vous fait l'expérience vous-même ? L'ancien chef du collectif du village où j'ai tourné Le Paradis m'a reproché d'avoir filmé leur manière de vivre. Il y a une scène dans laquelle une femme se lave les cheveux avec du kéfir (boisson au lait fermenté), et le chef s'est plaint : "Pourquoi avez-vous fait un film aussi affreux ? Pourquoi est-ce que vous la prenez en train de se laver les cheveux avec du kéfir ? Voulez-vous montrer à tout le monde que nous n'avons pas de shampoing au Kazakhstan ?".On dirait une blague, mais les chefs pensaient que mon film présentait le Kazakhstan sous un mauvais jour. Mais c'est parfaitement normal là-bas, presque toutes les femmes se lavent les cheveux avec du kéfir. Ce reproche m'a vraiment peiné. Le film avait été montré dans le monde entier et partout, les gens disaient : "Quel beau pays. Quel peuple !". Et chez eux, c'était tout le contraire : "Vous vouliez nous faire passer pour des imbéciles aux yeux du monde entier."
Faites-vous des projections pour les gens que vous filmez ? Non, je ne fais pas de projection spéciale. Premièrement, c'est très loin, et puis, avec le temps, j'ai pris la décision que sauf s'ils me le demandent, cela ne vaut vraiment pas la peine de leur montrer. Pendant que je tournais "Highway", nous avons photographié la mère de la famille représentée dans le film. Le caméraman s'est donné du mal pour la photographier le mieux possible, pour bien l'éclairer. Ce n'est pas ce qui nous préoccupe dans le film, nous essayons de filmer de manière réaliste, mais nous voulions lui faire de belles photos, nous pensions qu'elle serait contente, mais en fait, elle était consternée. "Pourquoi me prenez-vous comme ça ? J'ai l'air de rien du tout." Alors, on lui a demandé comment elle voudrait être photographiée et elle a dit : "Avec un foulard sur la tête et une mosquée derrière moi". Après cela, je me suis rendu compte que peu importe votre manière de filmer, elle ne conviendra jamais parce que les gens ont leurs propres idées. Et d'une manière générale, ils n'aiment pas voir une image réaliste d'eux-mêmes. Les gens aimeraient probablement qu'on les embellisse, mais ce n'est pas du vrai cinéma, c'est du film de commande. Nous avons une émission de télé au Kazakhstan qui s'appelle "Greetings" dans laquelle les gens envoient leurs propres photos qui sont alors diffusées accompagnées d'une musique et d’un sous-titre qui dit : "Nous souhaitons un très joyeux anniversaire à un tel ou une telle." Tous voudraient un film de ce genre, mais ça ne serait pas un documentaire. Voilà pourquoi à présent je fais des longs métrages parce que quoi que je fasse par rapport au film, les gens ne seront jamais satisfaits. Cela ne les contentera jamais. Leur vie devient de l'art et c'est une chose dangereuse. Pour moi, c'est une chose très déplaisante parce que vous vous immiscez dans la vie des gens, vous passez trois mois avec eux jour après jour, puis vous finissez le film mais vous ne pouvez pas tout montrer, seulement une partie de la vérité, pas toute la vérité. La vie humaine a tellement d'aspects différents, cela ne tiendrait jamais dans un seul film. Alors vous ne montrez qu'une partie de leur vie, et là, il y a un énorme problème éthique, un dilemme moral parce que ce sont de vraies personnes et leur vie réelle que vous transformez d'une certaine façon. Et je ne suis pas content de faire cela. Je m'immisce beaucoup dans la vie privée de quelqu'un et puis j'en fais de l'art. Je suis très partagé à ce sujet.
Les thèmes de vos films sont toujours très fortement ancrés dans un lieu, mais en même temps, ils sont compréhensibles pour tous ceux qui les regardent dans le monde entier. J'essaie de prendre un thème universel. Bien sûr, mon but est que le film parle au spectateur, mais tout d'abord, je dois m'en tenir au thème. Dans Dans le noir, il y a cet homme qui fabrique des sacs en ficelle et qui les offre aux passants - et tous les passants ont des sacs en plastique. Si j'avais fait un long métrage, j'aurais dû inventer ce personnage, mais là, cet homme était devant moi dans la vie réelle. La vie passe et il se tient là avec ses sacs en ficelle, il est vivant, mais en même temps, il est en train de mourir parce que personne n'a besoin de lui. Il est vieux, personne ne veut de ses sacs en ficelle. Mais on ne peut en vouloir aux gens qui ne lui en prennent pas, c'est juste que la vie est ailleurs à présent. Il est vrai que certains sont cruels avec lui, parfois les gens sont grossiers, mais c'est la vie. C'est ainsi pour chacun d'entre nous. Un jour viendra où je ferai des films qui n'intéresseront plus personne. Chacun d'entre nous atteint un moment dans sa vie où plus personne ne se préoccupe de ce qu'il ou elle fait. C'est universel. J'aime qu'un film paraisse simple mais qu'il ait davantage de sens qu'il n'y parait à première vue. Vous voyez un film, et vous le comprenez le jour suivant.
Comment définiriez-vous un film d'auteur ? Que peut-on attribuer aux collaborateurs (caméra, montage, son) et qu'est-ce qui doit dépendre de l'auteur? Je fais des documentaires avec deux ou trois personnes, je fais le son moi-même, pas parce que je ne fais pas confiance aux autres mais parce que dans des petites pièces, les gens seraient trop serrés. Il y a aussi le contact personnel, c'est vraiment important pour moi. Si je fais un film sur quelqu'un, je lui suis totalement dévoué, sans aucune réserve. Il devient très proche de moi, et après cela, il m'est difficile de m'en séparer. Si quelqu'un de nouveau apparaissait soudain, l'atmosphère d'intimité disparaîtrait.
Et en ce qui concerne le montage ? Quand je faisais Le Paradis, j'avais une monteuse qui a annihilé tout mon désir de collaborer avec quelqu'un dans ce domaine. J'étais assis à côté d'elle à la table de montage, à lui indiquer où coller et elle ne faisait que ce que je lui disais de faire, sans jamais m'apporter d'idées nouvelles. J'ai décidé que je pourrais aussi bien le faire tout seul. Je sais le faire, ce n'est pas difficile pour moi. C'était plus compliqué avant de travailler sur un film. Maintenant que l'on fait le montage sur ordinateur, c'est bien plus rapide, on n'a plus besoin d'un monteur.
Pourquoi avez-vous commencé à travailler sur des longs métrages comme " Tulpan" ? Comme je l'ai déjà dit, le documentaire m'a épuisé moralement... Le financement des documentaires vient en grande partie des chaînes de télévision, ils sont distribués par des gens qui sont eux-mêmes des produits de la télévision et il y a une sorte de concept de films standardisés encore plus profond. Les films sont censés être d'un certain standard, pas différents. Et par conséquent, le documentaire devient de plus en plus de la télévision et de moins en moins de l'art.
Vous ne tournez jamais en vidéo, toujours sur pellicule ? C'est une question de concentration, je m'interroge beaucoup sur comment filmer, sous quel angle. Je prépare beaucoup plus intensément. Dans Le Jour du pain, par exemple, la première prise avec l'arrivée du train dure de huit à dix minutes et il nous a fallu deux semaines de préparation. Le caméraman et moi avons déambulé avec la caméra sans le train. Nous savions où le train allait arriver, où seraient les gens qui pousseraient les chariots et le caméraman courait partout avec une caméra de vingt kilos. Au début, il ne pouvait pas la porter plus de trois minutes. On s'est entraînés pendant environ deux semaines pour parvenir à bouger avec la caméra. On a envisagé toutes les possibilités, que ferait-il si quelqu'un venait de ce côté etc... Nous avons tout imaginé, les déplacements du train et tout cela. Nous ne savions pas exactement ce qui allait se passer mais nous avions envisagé de nombreuses éventualités. On a répété les mouvements de caméra avec une caméra vidéo, on a fait des essais, décidé de la composition, de la taille des prises, s'il fallait faire un gros plan ou pas. Mais quand c'est de la pellicule, c'est pour de vrai. Vous savez que vous n'avez qu'une prise. Et même si vous pouvez en faire une autre, elle sera différente et ça vous coûtera beaucoup d'argent. Cela vous oblige à plus de rigueur et vous donne une concentration totalement différente. C'est maintenant ou jamais. C'est comme dans la vie, soit on sait que l'on ne vit qu'une fois, soit on prend la vie comme un jeu, sans réfléchir. Faire de la vidéo signifie que vous n'avez pas besoin de vous concentrer. Vous pouvez filmer autant que vous voulez. Tout est possible. La nature humaine est paresseuse. Par exemple, en ce moment, vous et moi préférons être assis que debout. Il est plus agréable de ne pas travailler que de travailler. Le fait d'utiliser de la pellicule en permanence vous oblige à travailler alors que la facilité de la vidéo vous conduit à l'inaction.